Le labyrinthe McMaster

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Le labyrinthe McMaster

Conseiller pour la sécurité nationale du président et directeur du NSC et remplaçant du malheureux Général Flynn, le Général H.R. McMaster fut considéré dès son arrivée à la Maison-Blanche comme un représentant spécial authentifié et mandaté du Deep State pour maintenir Trump dans le droit chemin. D’ailleurs, un néologisme (à notre connaissance c’en est un) fut créé à cette occasion, pour le qualifier : McMaster est un DeepStater (et également, s’avancerait-on à juger, – mais le terrain est miné à cet égard, – également désigné comme un neocon pur et dur).

Pourtant, McMaster, le “surveillant”, a été convoqué le 3 août par le “surveillé” (le président) pour un entretien de “recadrage” comme on dit en sabir franco-parisien de la politologie médiatique ; entretien d’où il est ressorti, – et nous voilà tous rassurés, – que McMaster « is very pro-Israel »... Comment ? De quoi s’agit-il ? McMaster, le DeepStater “également neocon pur et dur” aurait été soupçonné de n’être pas “very pro-Israel” puisqu’on (Trump accompagné de son gendre, l’inamovible Kushner) s’est cru obligé d’affirmer que, si si, il l’est en vérité ? C’est là que la polémique s’affiche, et elle nous présente aussitôt des formes labyrinthiques semées d’embûches contradictoires qui vont bien au teint de “D.C.-la-folle”.

• Il est difficile d’offrir une chronologie précise de la polémique, ou de cette séquence de l’appréciation polémique qu’on a du personnage. (En fait, McMaster est, dès le premier jour, l’objet d’une polémique pemanente puisqu’en général considéré par les pro-trumpiste comme DeepStater/neocon et déclenchant en retour un déluge des anti-trumpiste.) On sait en première analyse qu’elle porte sur le limogeage de trois ou quatre membres du NSC, qui sont en général présentés comme des “loyalistes de Trump” par la presse antiSystème pro-Trump.  Il y a également le cas d’une accréditation d’accès à des documents classifiés que McMaster aurait fournie en avril à Susan Rice, qui l’a précédé à son poste et qui fut une des principales maximalistes-interventionnistes de l’équipe Obama (une des harpies d’Obama, une neocon, etc.), et qui est explicitement mentionnée comme une des personnalités les plus activistes avec Samantha Power, autre harpie fameuse, dans la campagne anti-Trump qu’Obama a fait démarrer dès avant son départ et qu’il poursuit avec zèle et alacrité.

L’affaire a donc provoqué, comme on l’a vu, une convocation de McMaster par Trump pour un entretien à ce propos, dont les résultats restent assez imprécis. (Voir aussi le Washington Times du 3 août 2017 en plus de l’article déjà référencé [« He is very pro-Israel »] de Breitbart.News.) McMaster est donc perçu, et dénoncé dans le sens d’être un interventionniste, DeepStater-neocon, également comme un “homme du Général Petraeus” par certains, etc., par divers articles (voir TheDuncan.com). Le même 3 août 2017, le Daily Caller ajoute ceci d’une rencontre avec une source non identifiée, qui classerait évidemment McMaster comme un ennemi de Trump et, d’une façon plus ambigu et là se précise si l'on peut dire le labyrinthe, – comme un ennemi des antiSystème :

« “Everything the president wants to do, McMaster opposes,” a former senior official said in a wide-ranging interview. “Trump wants to get us out of Afghanistan — McMaster wants to go in. Trump wants to get us out of Syria — McMaster wants to go in. Trump wants to deal with the China issue — McMaster doesn’t. Trump wants to deal with the Islam issue — McMaster doesn’t. You know, across the board, we want to get rid of the Iran deal — McMaster doesn’t. It is incredible to watch it happening right in front of your face. Absolutely stunning.” »

Nous disons que “se précise le labyrinthe”, car le fait d’affirmer vouloir rester en Afghanistan (et y envoyer des troupes supplémentaires) et celui d’envoyer des troupes en Syrie, contre l’avis de Trump, en fait effectivement un “ennemi des antiSystème” ; par contre, le fait de s’opposer à un affrontement avec la Chine et à une dénonciation de l’accord avec l’Iran, contre l’avis de Trump, le met beaucoup moins dans la catégorie des “ennemis des antiSystème” jusqu'à en faire pour les cas cités un antiSystème. Reste d’ailleurs le fait de savoir et qu’on ne saura sans doute pas, comme l’observe Adam Gurrie de TheDuran.com, si cette source est fiable et si le compte-rendu qu’elle fait de la position de McMaster est conforme à la situation...

• Là-dessus, bien entendu, il faut savoir d’où viennent essentiellement les attaques contre McMaster, qui ont été répercutées au départ à Wahington D.C. par un article de Breitbat.News. Cet article consiste en fait à une reprise d’un très long commentaire sur son compte Facebook d’une journaliste du Jerusalem Post, Caroline Glick... (Tout cela se passe chronologiquement dans un mouchoir de poche, ce qui implique sans aucun doute diverses manœuvres de coordination. La rencontre de Trump et de McMaster a lieu dans l’après-midi du 3 août, l’article de Glick est du même 3 août, à cinq heures du matin, soit un peu moins d’un jour avant avec le décalage horaire.)

Le Jerusalem Post est plutôt à droite en Israël, et en contact avec les neocons US où l’on trouve nombre de juifs proches d’Israël. En 2003, Richard Perle était réputé pour être un des actionnaires du journal (nous ignorons où en est cette situation aujourd’hui, aussi bien que Richard Perle qui se fait très vieux). L’article de Glick est une virulente attaque contre McMaster, accusé, d’un point de vue israélien d’être pro-palestinien et partisan du maintien de l’accord nucléaire avec l’Iran ; d’autres critiques virulentes lui sont adressées dans ce très long article qui est considéré comme exprimant des vues assez proches du gouvernement israélien... Quelques paragraphes en donneront un avant-goût au lecteur, qui ne doit pas ignorer que d’autres infamies de McMaster sont dénoncées et qu’il est vivement recommandé au président Trump qu’il hurle à l'intention de McMaster : “You’re fired !”  

« The Israel angle on McMaster's purge of Trump loyalists from the National Security Council is that all of these people are pro-Israel and oppose the Iran nuclear deal, positions that Trump holds. McMaster in contrast is deeply hostile to Israel and to Trump. According to senior officials aware of his behavior, he constantly refers to Israel as the occupying power and insists falsely and constantly that a country named Palestine existed where Israel is located until 1948 when it was destroyed by the Jews.

» Many of you will remember that a few days before Trump's visit to Israel, Prime Minister Benjamin Netanyahu and his advisers were blindsided when the Americans suddenly told them that no Israeli official was allowed to accompany Trump to the Western Wall. What hasn't been reported is that it was McMaster who pressured Trump to agree not to let Netanyahu accompany him to the Western Wall. At the time, I and other reporters were led to believe that this was the decision of rogue anti-Israel officers at the US consulate in Jerusalem. But it wasn't. It was McMaster. And even that, it works out wasn't sufficient for McMaster. He pressured Trump to cancel his visit to the Wall and only visit the Yad Vashem Holocaust memorial – à la the Islamists who insist that the only reason Israel exists is European guilt over the Holocaust.

» In May, Adam Lovinger, a pro-Trump national security strategist on informed that his security clearance was revoked. He was fired and escorted from the White House like a spy and put on file duty at the Pentagon. Lovinger is a seasoned strategic analyst who McMaster hated because he supported India over Pakistan, among other things. Lovinger has not been told the grounds for his sudden loss of clearance but Mike Cernovich reported that the grounds were that he traveled to Israel for a family bar mitzvah. In other words, there were no grounds for dismissal. His boss at the Pentagon -- unbelievably named James Baker, is an Obama hire who hates Trump and supports Obama's agenda.

» As for Iran, well, suffice it to say that McMaster supports the deal and refuses to publish the side deals Obama signed with the Iranians and then hid from the public... »

Dans l’article où il annonce que Trump semble avoir pris le parti de McMaster après sa rencontre en affirmant qu’il “strongly pro-Israel”, le site Breitbat.News confirme sa position anti-McMaster en observant que par cette rencontre, « Trump défie sa base [populiste] » qui vient de lancer un hashtag #FireMcMaster qui a été retweeté plus de 50.000 fois depuis son lancement mercredi dernier. Le New York Times qui hésite un peu pour choisir la voie dans laquelle il doit engager ses FakeNews, pour ou contre McMaster, rapporte que le neocon notoire (et co-auteur d’un livre avec le Général Flynn), Frank Gaffney Jr., a accusé McMaster d’« insubordination vis-à-vis de son président » en refusant d’attaquer de front le terrorisme islamiste. Enfin, le même article dit que McMaster pourrait bien être viré pour être envoyé en Afghanistan, en étant remplacé par Mike Pompeo, nouveau-actuel directeur de la CIA.

• ...Pas du tout ! réplique Justin Raimondo ce 7 août 2017 : McMaster va effectivement être viré mais c’est l’excellent colonel à la retraite Douglas McGregor, un anti-interventionniste, qui le remplacerait. (Voir la vidéo d’une interview de McGregor par l’imbattable et intraitable Tucker Carlson, de FoxNews, le 1er août 2017.) L’article de Raimondo est plein de feu et résolument favorable à un licenciement en bonne et due forme de McMaster (« Fire McMaster », nous dit le titre) mais parfois teinté de ce qu’on jugerait être une certaine ironie à propos de lui-même car il (Raimondo) devrait éprouver d’étonnantes sensations à se retrouver sur la même ligne de bataille qu’Israël et que les neocons les plus notoirement pro-israéliens. Au reste, il le reconnaît a contrario en reconnaissant à McMaster certaines bonnes orientations (pro-palestiniens, favorable au traité nucléaire avec l’Iran), – mais quoi, il faut bien faire son choix et observer assez justement que la dynamique anti-McMaster est une dynamique anti-interventionniste...

« ...Of course, it isn’t that cut-and-dried: McMaster has his good points. However, if we paint the two opposing factions with a broad brush, the anti-McMaster campaign is a healthy development, one that is driving the Trumpified conservative movement farther down the “America First” road. This is precisely why liberal internationalists and neoconservatives have rallied to McMaster’s defense – and why conservative and libertarian anti-interventionists should take up the battle-cry to #fireMcMaster. »

Il n’empêche... Qui pourra dire à l’issue de cette rapide revue qu’il comprend parfaitement l’enjeu de cette bataille, les positions des uns et des autres par rapport aux étiquettes qui leur sont attribuées, la logique en marche d’un côté comme celle qui est en marche de l’autre et ainsi de suite ?

Le principal enseignement d’ores et déjà évident de cette séquence, – qui n’est pas terminée, tant s’en faut, et qui nous réserve sans doute bien d’autres surprises, – est bien l’extraordinaire difficulté où l’on se trouve aujourd’hui de déterminer qui est antiSystème et qui ne l’est pas, et la vanité du jugement consistant à trancher : le Deep State tient Trump et lui fait faire ce qu’il veut ou non, untel est un DeepStater intouchable, untel ne l’est pas, Trump n’y comprend rien ou bien Trump est un fin manœuvrier, Israël fait ce qu’il veut à Washington ou bien non, les neocon soutiennent Israël envers et contre tout ou pas tant que cela, et ainsi de suite... Rien dans tout cela n’est assuré en aucune façon, dès lors qu’il est question d’acteurs humains que l’on charge d’intentions et de vertus secrètes, dès lors qu’on évoque tel complot, telle cabale, telle puissance humaine dissimulée et maîtresse de notre destin.

(Toujours et de plus en plus pour notre compte cette tendance à minorer l’importance du facteur humain qui ne sait plus se contrôler lui-même ni comprendre ce qu’il faut et pourquoi il le fait, et encore moins distinguer les effets et les conséquences de ses actes ; toujours et de plus en plus pour notre compte cette tendance à nous référer à des forces suprahumaines pour comprendre la marche des choses et admettre non sans une réelle satisfaction qu’elle est de plus en plus défavorable aux intérêts du Système qui se résument au maintien d’un ordre qui lui est favorable, – là où règne désormais le désordre.)

Ainsi émerge devant nos yeux le règne fondamental et la règle impérative de “D.C.-la-folle” : le désordre, toujours le désordre, encore le désordre. Il n’existe plus aucune référence permettant de se situer par rapport au Système et suivant ses instructions, et cela dans la matrice même du Système, à Washington D.C. Ceux qui apparaissent comme les plus assurés des représentants du Système, les DeepStaters les plus confirmés, nous dirions les plus certifiés, sont soumis à cette même règle de l’incertitude, de l’insaisissabilité, de l’incontrôlabilité. Pour un commentateur de l’antiSystème, la tâche n’est pas aisée, et il doit suivre ce que nous pourrions désigner comme une sorte de “principe de l’incertitude” absolument fondamental impliquant que rien n’est sûr et aucune orientation assurée... C’est une tâche complexe mais c’est une tâche assez joyeuse pour ne pas dire jouissive car elle implique une situation fondamentalement différente de celle que nous connaissions il y a quinze ans, il y a dix ans, il y a cinq ans, il y a deux ans encore, dans tous les cas jusqu’en 2016, lorsque le Système était la référence inévitable et indépassable. Aujourd’hui, le désordre a remplacé le Système comme référence.

 

Mis en ligne le 07 août 2017 à 11H07