La guerre des antiSystème

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La guerre des antiSystème

Jusqu’ici, ils n’ont guère parlé l’un de l’autre (Trump de Sanders et Sanders de Trump). D’une façon générale, personne ne parlait de personne dans tous les cas, vu l’accès réduit aux médias de l’un (Sanders), vu la bataille interne aux républicains de l’autres (Trump) pour concourir dans les normes du parti. De ces deux points de vue, et en fonction de leurs positions respectives et qui ne se démentent pas dans les sondages, les situations respectives vont commencer à s’éclaircir.

D’autre part, on pourrait considérer que c’était également la trêve, c’est-à-dire la veillée d’armes, entre républicains et démocrates à propos de leurs excroissances monstrueuses respectives qu’il fallait traiter en priorité. (“Excroissances monstrueuses”, c’est-à-dire Sanders et Trump ; et il semble que les “excroissances” tendent à devenir la norme et qu’elles ne sont par conséquent pas si “monstrueuses” que cela.) Bill Clinton, lorsqu’on l’interrogea il y a bien peu sur un jugement en-passant de Trump sur Hillary, et quelle serait sa réponse à lui, Bill, il répondit qu’il n’y avait rien à dire, qu’on répondrait à Trump lors de la dernière phase des présidentielles, s’il est désigné candidat républicain. (...D’ailleurs, cela dit en passant, l’on pourrait même dire, aujourd’hui, avec plus de chance de rencontrer la vérité-de-situation à venir : “si elle [Hillary] est désignée candidate du parti démocrate”.)

Finalement, quelqu’un, et pas des moindres, – le présentateur de radio d’ultra-droite Paul Savage, ultra-partisan d’un Trump maximaliste, – a posé la question à Donald Trump : quel serait votre sentiment si Bernie Sanders est désigné candidat démocrate et que vous devriez l’affronter comme candidat républicain ? The Donald serait très content si Sanders était désigné, parce que Sanders est un “socialiste”, c’est-à-dire et pour faire bref et juste un “communiste”, et que dans ce pays (les USA), on n’élit pas les communistes.

Voici le compte rendu du segment de l’émission The Savage Nation, le 26 janvier, par le site de Ed Brayton (Patheos.com), qui n’aime pas du tout ni Trump, ni Savage, ni tout le reste du côté de ladropite et de la droite extrême US, – compte-rendu datant du 28 janvier : « Donald Trump never misses an opportunity to say something entirely simpleminded and inane, so it’s no surprise that he’s leveling an attack on Bernie Sanders that is straight out of Idiot’s Guide to Politics for Dummies. He says Sanders is “probably a communist” who would “destroy the fabric of what we are.”

» Trump told Savage that he “would be very happy” if Sanders won the Democratic nomination, saying that the Vermont senator is “probably a communist” who will “destroy the fabric of what we are.” “I just can’t believe that this country is ready for socialism or communism, because it’s pretty close to communism, some of the things he wants to do,” Trump added. Savage, in turn, said he is praying for a Sanders nomination because “it’d be the greatest landslide in history,” predicting that Trump would take 85 percent of the vote.

» Oh, how beautiful the sun must be in the fantasy land these people live in. And I propose a rule: Anyone talking about anything destroying “the fabric” of society should be laughed at, loudly and often. It’s a gibberish phrase. »

...Il faut dire, et dire encore, et le répéter encore si les premiers résultats des primaires confirment les sondages et montrent que Trump et Sanders sont bien en position de quasi-favoris pour la désignation, que nous allons connaître une situation formidablement inédite. Le jugement de Trump (Sanders communiste !), assez sommaire et expéditif quand on juge raisonnablement des choses, a toutes les chances d’être le porte-drapeau de Trump si les deux pieds-nickelés sont désignés par leurs partis respectifs. (Et même, il le serait sans doute également, ce jugement porte-drapeau, si Sanders était désigné et pas Trump, car Trump ne donne pas là un avis très original dans ce cas. Il ne fait que traduire le sentiment de la majorité des républicains, et la démagogie autant que le simplisme politique pousseraient dans ce sens et avec quelle force si Sanders était le candidat démocrate.)

Ces deux-là, Trump et Sanders, ne sont réellement originaux et exceptionnels que par rapport aux normes-Système, en ceci qu’ils sont au bout du compte des antiSystème, quoi qu’ils fassent et quoi qu’ils en veuillent, parce que leur croyance, ou leurs fonds de commerce, ou leurs images, etc., c’est la mise en cause de l’establishment, et que cela implique d’être par nécessité ontologique antiSystème. Nous avons déjà longuement, à de nombreuses reprises, disserté sur ce que c’est que d’être antiSystème... Par exemple, dans notre Glossaire.dde sur “Le Système”, où nous donnions tant d’indications sur le caractère erratique, insaisissable, indéfinissable, éventuellement éphémère, etc., de l’antiSystème :

« Ce phénomène de l’antiSystème n’est pas ordonné ni coordonné, il ne répond à aucune hiérarchie, aucune centralisation ; il est une réaction “en désordre” à la poussée du Système ; il affecte des éléments divers dont certains sont souvent paradoxaux (des éléments-Système se trouvant en posture antiSystème en telle ou telle circonstance). Enfin, du point de vue de son opérationnalité, il se constitue selon les circonstances, puis se dissout lui-même toujours selon les circonstances avant de réapparaître selon d’autres circonstances ; ou bien des antiSystème peuvent se constituer parallèlement selon des circonstances différentes, mais toujours sans coordination entre eux. Il s’agit d’une sorte de “guérilla” naturelle, spontanée, qui naît de réactions à la poussée du Système, comme une résistance naturelle à la poussée déstructurante-dissolvante. Il s’agit de l’équivalent, par rapport à la situation politique qu’on constate depuis plusieurs années, d’une sorte de G4G (Guerre de 4ème Génération) fondamentale, une G4G métahistorique opposant la force naturelle des principes aux politiques de désordre engendrées par les forces politiques au service du Système et suivant les consignes de la politique-Système... »

A cela, on doit ajouter, et cela nous paraît relever de l’évidence, que deux antiSystème, tout en assumant de facto leur fonction antiSystème, peuvent être évidemment des adversaires acharnés, notamment idéologiques ou/et de communication. (On a vu cela aux présidentielles de 2012 et depuis en France : Le Pen et Mélenchon.) C’est le cas pour Sanders-Trump, bien entendu. L’intérêt de cette fiesta que constituerait leur affrontement pour la finale des présidentielles, c’est qu’il y aurait de très fortes chances pour que cet affrontement soit terrible, c’est-à-dire qu’il monte aux extrêmes à cause de leurs accusations respectives, chacun voulant alors verrouiller son engagement anti-establishment (antiSystème) qui l’a porté à la désignation de son parti et qui assure sa popularité. Trump ne cessera d’insister sur son côté nationaliste et identitaire, sachant évidemment que c’est son argument principal auprès de la masse des électeurs (notamment les “petits blancs”, les ruraux, etc.) qui le soutiennent ; Sanders ne cessera d’insister sur le côté “social” qui est également son argument principal, notamment auprès des “minorités” ; les deux types d’arguments se croisant d’ailleurs et l’argument de l’un pouvant servir à l’autre, mais là aussi selon une pente de maximalisation. Dans tous les cas, il s’agit d’un affrontement qui, selon cette logique, ne cesserait de renforcer leurs aspects antiSystème respectifs, avec des risques sérieux de graves divisions pouvant menacer d’aller jusqu’à des situations de conflit interne dans le pays.

Ce qui est remarquable dans la situation actuelle, à la veille des primaires, c’est qu’on se trouve vraiment à un moment où le Système pourrait être sur le point de perdre le contrôle de la “situation du Système”, c’est-à-dire de lui-même. Si le début des primaires confirme les sondages et leurs tendances, si l’on va vers ces désignations absolument hérétiques que seraient celle de Trump et de Sanders, alors le Système perdra complètement le contrôle du principal processus politique du système de l’américanisme, donc de lui-même effectivement. Encore une fois, nous écrivons cela en tenant compte du fait que les diverses péripéties au niveau de la communication ont fixé les“images” des deux hérétiques dans la situation qu’on décrit, comme des antiSystème, quelles que soient leurs véritables conceptions à cet égard. Dans l’hypothèse qu’on envisage, qui est très loin d’être marginale, tout le monde est prisonnier des “images” et de la narrative qui les animent ; en ce sens, ce seront les évènements qui décideront, et pas les sapiens : si l’hypothèse hérétique se réalise, plus personne ne contrôlera plus rien, et l’on se trouvera dans la terra incognita des affrontements extrêmes, avec un Système en Panic Mode...

 

Mis en ligne le 29 janvier 2016 à 16H52