La girouette et la Reine-Christine

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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La girouette et la Reine-Christine

11 février 2018 – Dans notre analyse de première page des évènements en cours tels qu’ils ont été traités par dedefensa.org durant la quinzaine précédente, on termine par cette phrase : « Pour le reste, il convient aux esprits restés libres de continuer à observer la seule chose qui importe aujourd’hui, qui n’est rien de moins que l’effondrement en cours de ce Système qui a complètement transformé notre civilisation en contre-civilisation. »

Plus facile à écrire qu’à faire, comme l’on voit avec certains évènements courants, dont l'un des plus saillant est l’ouverture des JO d’hiver en Corée du Sud. “Plus facile à dire qu’à faire” mais néanmoins fascinant pour ce cas.

Il y a deux jours, j’ai suivi une table ronde à LCI, – l’une de mes incursions dans la presseSystème pour humer l’air ambiant, – où le Pujadas qui ressemble de plus en plus à un modèle réduit de lui-même recevait quelques “experts”, dont dame-Ockrent, épouse authoritative de l’improbable Bernard Kouchner, qui commence (Ockrent) à ressembler à la structure momifiée qu’elle sera lorsque sonnera l’heure de l’exposition au musée. Mais non, elle est bien vivante, toujours sûre d’elle, et pour ce cas elle-même fort intéressante ai-je trouvé... Je plaisante à peine, moi !

J’observe en effet à ce point, avec un sens de l’à-propos notable, que la vertu de l’antiSystème, qui n’a qu’un but qui est de tout observer dans le sens de l’effondrement du Système, s’opérationnalise dans une incroyable capacité d’adaptation aux évolutions des uns et des autres ; dans cette époque de “tourbillon crisique“ où qui n’a pas un très ferme et très immuable principe pour le guider ne sait plus tenir une position cohérente. La vertu de l’antiSystème est donc d’être une girouette qui tourne au gré des tempêtes du “tourbillon crisique”, mais dont “l’axe vertical fixe” qui correspond au principe de destruction par effondrement du Système comme seul adversaire irréductible est comme un principe d’une fermeté et d’une immuabilité intransigeantes. L’antiSystème, c’est cet “axe vertical fixe”. Dans les époques courantes, être traité de “girouette” était infamant ; aujourd’hui, c’est le bon sens même, et la vertu de l’observateur antiSystème.

Il était donc question des JO en Corée et de l’arrivée d’une délégation de Corée du Nord comprenant la sœur de Kim Jong-un, la toute-jeune et, ô surprise, toute-mignonette Kim Yo-jong. Son charmant visage d’une impassibilité souriante et presque complice a complètement bouleversé nos calculs géostratégiques et nos plans nucléaires les plus puissants et les plus intransigeants. Impossible de moquer un si charmant minois, encore moins le nucléariser, alors qu’on s’en payait une tranche avec le Kim et sa coiffure à la semi-punk marxiste-léniniste-staliniste.

Mais je n’avais pas encore ce constat de haute philosophie sous la main lorsque le panel s’anima sous la baguette du mini-maître Pujadas, et aussitôt la Reine-Christine prit la parole, qui lui avait été gracieusement donnée, pour royalement indiquer dans quel sens irait le sentiment général. Je maudissais l’idée qui m’avait poussé à cette vision, parce que j’attendais évidemment un torrent d’imprécations contre la Corée du Nord (fasciste, stalinien, esclavagiste, fermée à la globalisation, etc.), agrémentant un chant de louanges sans fin de la belle politique des exceptionnels États-Unis d’Amérique. Et l’on comprend que, dans ce cas, je ne puis être que contre les USA, qui sont, volens nolens, le moteur de la déstructuration au service du Système ; et l’on comprend encore que j’attendais que l’Ockrent allât dans ce sens d’acclamer la puissance américaniste... Quelle erreur ! Ainsi ai-je encore mieux compris, complètement conforté dans ma méthodologie, comment les choses virevoltent et changent dans cette étrange époque plongée dans le désordre-chaos.

D’abord, elle s’exprima, la Reine, comme il se doit, en contenant les enthousiasmes compromettant pour un discours qui entend se parer de la maîtrise de la raison. Il ne fallait pas se laisser emporter, comme l’avait suggéré Pujadas, cette réunion au sommet assortie d’une cause commune des deux-Corées-en-une aux Jeux n’était en rien une première. Je me dis qu’elle n’avait donc pas changé, qu’elle négociait déjà l’habituel ralliement à la cause des imbattables USA... Eh bien ! Pas du tout, là-dessus elle enchaîne en concédant ce qui va très vite devenir le cœur de son propos : l’habileté des Kim, ce coup de maître du canal établi directement avec les sudistes, la charmante Yo-jong (“Elle est tout de même mieux coiffée que son frère !”, suivi de gloussements complices des autres experts) ; puis des remarques sur les USA, lançant le débat général, – “ils sont complètement coincés”, pris à contrepied, impuissants avec leur politique sans habileté, – et l’on approuve partout, on hoche la tête, on est admiratifs, la basse-cour a reconnu sa Reine...

Je suis la chose, d’abord sans exactement comprendre la métamorphose qui se fait sous mes yeux, avec elle qui écrase de son silence méprisant la politique des USA, avec tout de même, ici et là, mais sans insister, comme l’on dirait d’un coup de brosse pour se recoiffer, “l’épouvantable régime nord-coréen”, pour aussitôt en revenir aux vertus manœuvrières de Kim, etc. Enfin tout s’éclaire, s’illumine, s’embrase splendidement, lorsqu’un des faire-valoir rappelle l’anecdote du bouton nucléaire (“J’en ai un plus gros que le sien”, s’exclame Trump). Superbe et sarcastique, la Reine-Christine pince alors les lèvres qu’elle a déjà très pincées, esquisse un sourire méprisant et, tranchante comme une guillotine, tranche avec mépris et laisse tomber : “Oui, de la diplomatie de haut niveau”...

Certes, tout s’éclaire ! Rien, absolument rien ne pourra effacer la haine extraordinaire qui s’est concentrée sur Trump, dans le parti progressiste-sociétal transatlantique, et le parti des salonards parisiens qui le complète, et dont la Reine-Christine est un membre éminent et à part entière. Il a suffi qu’une jolie frimousse comme celle de Yo-jong apparaisse, immédiatement embrigadée dans le “parti des femmes”, pour qu’aussitôt soit condamnée la politique américaniste prise en charge par l’infâme Trump. Tout se trouve résumée à cela. Que puis-je faire, je vous le demande, sinon applaudir pour cet instant la Reine-Christine qui se retrouve de mon côté, moi qui me retrouve de son côté, puisque je suis la girouette antiSystème qui ne se laisse guider que par sa vindicte glaciale et d’une fureur aussi puissante que contrôlée, contre cette chose horrible et entropique qu’est le Système. Ockrent, créature-Système s’il en est, à ce moment parfaitement alignée sur l’antiSystème en dénonçant par la simple magie des enchaînements de causes à effets, la politiqueSystème des USA. (Inutile qu’elle en soit informée, d’ailleurs.)

Ainsi me suis-je retrouvé fort approbateur des interventions de la Reine-Christine, pourtant membre-Système et d’honneur à vie du parti des salonards, et ainsi détestable dans ses positions et dans ses interventions selon mon observation stratégique. Cette fois, la tactique a ordonné d’en juger diamétralement opposé. J’ai fait la girouette, tournant d’autant plus aisément que mon “axe vertical fixe” “est d’une fermeté et d’une immuabilité intransigeantes”. Curieuse occurrence, qui rend compte d’une si étrange époque où il faut avoir la souplesse du chat et le flair du chien.

(De même mais a-contrario, je me retrouve adversaire de cet Infowars.com qui en est resté à ses enthousiasmes de la campagne de 2016 et s’étrangle de fureur parce que la gauche applaudit Yo-jong, placée fort proche du sinistre vice-président Pence que conchie la même gauche ; et Infowars.com de les accuser de trahison, parce qu’il préfèrent la Corée du Nord [stalinienne et dictatoriale] aux États-Unis d’Amérique [libérale et démocratique]. Inutile de vous dire de quel parti je suis, par rapport à mon “axe vertical fixe”, et combien ces références, venues d’un passé pourri par l’idéologie déjà postmoderniste, me sont insupportablement trompeuses, faussaires, épouvantables simulacres.)

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