Fureurs des croyants et décomposition de l’American Dream

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Fureurs des croyants et décomposition de l’American Dream

2 octobre 2010 — Cette fois, il s’agit de mettre en évidence, pour entamer ce propos, la fureur et l’amertume de plus en plus perceptible chez un nombre sans cesse en augmentation de croyants de qualité, de grand standing et de haut vol, de croyants assermentés de l’American Dream, – pour les territoires extérieurs de l’Empire (désignation romantique), du système (désignation plus proche de la réalité). Certes, nous parlons de l’American Dream, supposé inaltérable, qui est la représentation par le système de la communication de soi-même, du système de l’américanisme et, par voie de mimétisme empressé, de l’occidentalisme.

Citons donc les pièces du dossier…

• …D’abord en rappelant un Bloc Notes en date du 30 septembre 2010, rapportant les remarques fondamentales d'un interlocuteur allemand représentatif sur la nature du “rêve” en question remis à sa place ; “rêve” qui se révèle être un système général, anthropotechnique ou anthropobureaucratique, manipulant une civilisation entière pour l’entraîner avec une puissance inouïe, nihiliste et suicidaire, vers son terme catastrophique.

• En citant cette intervention furieuse de Ambrose Evans-Pritchard, honorable chroniqueur financier du Daily Telegraph de Londres, le 27 septembre 2010, qu’on pourrait résumer sous l’expression “Fed up with the Fed !”. AEP dénonce la fascination de Bernanke pour l’impression gargantuesque de billets verts valant le prix du papier, sa course vers la déflation, l’application d’une doctrine ridiculisée par Keynes dans les années 1930 («Bernanke is reviving a doctrine that was already shown to be bunk eighty years ago»). AEP demande à ses lecteurs de l’excuser pour avoir encore récemment soutenu la politique de Bernanke, qu’il considère désormais comme un dangereux allumé circulant en aveugle sur un territoire inconnu et truffé de mines financières et monétaires, justifiant les jugements les plus venimeux et les plus soupçonneux à l’encontre de la Fed : « So all those hillsmen in Idaho, with their Colt 45s and boxes of krugerrands, who sent furious emails to the Telegraph accusing me of defending a hyperinflating establishment cabal were right all along. The Fed is indeed out of control.» L’écœurement et la fureur de l’élégant chroniqueur britannique, soutien inconditionnel de l’hyperlibéralisme et de l’américanisme, est complet… Aussi termine-t-il par cette hypothèse encore impensable il y a peu pour tout esprit anglo-saxon de bon niveau : «Are the Chinese right? Are the Americans and the British now so decadent that they will refuse to take their punishment, opting to default on their debts by stealth?»

• En citant enfin le très distingué et très britannique-international Timothy Garton-Ash (TGA), intellectuel “libéral” transatlantique type, sorte de BHL qui serait sorti de son quadrilatère germanopratin et aurait l’habitude de prendre les vols transatlantiques, comme un homme moderne. Le 29 septembre 2010 dans le Guardian, TGA n’y va pas par quatre chemins, comparant l’état du pouvoir américaniste à Washington à cette référence puante, faisandée et en décomposition avancée que fut le pouvoir soviétique dans les dernières années Brejnev («Washington moves at the pace of Brezhnev's Soviet Union»), ponctuant ce jugement de la même référence que APE à une Chine triomphante et ricanante… «On present form [the présent US political prospect] would mean still more gridlock and Brezhnevite delay. But the US can no longer afford that. It cannot go on like this. Or rather it can, but if it does, it must continue its relative decline – and China will be laughing all the way to the bank.» Sentimental et optimiste invétéré, TGA cite tout de même l’habituelle “good new”, qui est une référence également un peu faisandée, à une Silicon Valley en pleine fiesta d’innovation, – vieux plat qu’on nous ressert, réchauffée aux petits oignons technologiques, depuis plus de quarante ans et Le défi américain du regretté JJSS (Jean-Jacques Servan-Schreiber)… Mais tout cela se termine par cette horrible question dont on dirait assez tristement que la poser c’est déjà y répondre : «But in 2010, one of the questions of this decade is plainly posed: can the United States be reformed?»

Notre commentaire

@PAYANT Nous ne nous intéresserons guère aux constats, inquiétudes, analyses furieuses, conclusions désespérées qu’on trouve dans ces diverses interventions. Pour nous, certes, le sort des USA est scellé et il sera bien plus vite accompli que ne le craignent ces distingués commentateurs. Quand on est dans une situation brejnévienne, avec un président de la Fed devenu incohérent, sans se référer à tant d’autres situations aussi folles (Pentagone, Tea Party, etc.), quand on observe la rapidité du processus de décomposition depuis l’arrivée d’Obama qui était censé nous redresser tout cela après la fiesta GW, on ne peut être que frappé par le rythme de progression du sort métahistorique catastrophique des Etats-Unis d’Amérique, et, surtout, par l’inéluctabilité de la chose.

L’incontestable nouveauté est la vigueur des dénonciations de ces honorables gentlemen et, surtout, la façon dont ils se rapprochent de la vérité américaniste. Ils mettent en cause le désordre des élites et des processus, la déraison schizophrénique des réactions des dirigeants, la déstructuration du système lui-même, l’emprisonnement des élites à ce système en décomposition jusqu’à transformer ces mêmes élites en hordes de robots psalmodiant les mêmes phrases absolument, minutieusement vides du moindre sens, la corruption générale des psychologies épuisées par l’exercice quotidien des mensonges bienpensants qui constituent le tissu de leur virtualisme. Ce n’est pas une crise conjoncturelle qu’ils décrivent, c’est une pathologie généralisée et un processus structurel d’effondrement accéléré d’un système. Rien de nouveau pour nous, mais bien de la nouveauté de lire tout cela sous ces plumes distinguées…

Il y a donc la confirmation que nous sommes entrés dans une phase nouvelle de notre séquence catastrophique enfantée par 9/11, ses ors et ses manigances. Cette séquence, du point de vue de ces considérations nouvelles que nous citons, est celle où les psychologies épuisées des amis extérieurs et inconditionnels qui jusqu’alors suivaient tant bien que mal les consignes, en arrivent à l’épuisement insupportable et sont désormais tentées de hurler avec fureur que le roi est nu, – mais nu, nu à ne pas croire ! Notez bien cette fureur, cette amertume, tout cela qui exprime une terrible blessure qui est celle du croyant découvrant qu’il adorait une idole en carton-pâte et bouilli. Cela n’en fait ni des esprits audacieux, ni des résistants héroïques. Il n’y a rien de plus à attendre d’eux, dans les actes, que ces manifestations, qui seront de plus en plus répétées, de rage impuissante et de fureur désespérée. Ils ne changeront rien à la situation, ils n’agiront pas, parce qu’ils sont ce qu’ils sont, mais ils participent désormais à l’action générale de déstructuration du système déstructurant qui s’effondre et emporte la civilisation avec lui. Pas résistants héroïques certes, mais résistants tout de même, involontairement, indirectement, “à l’insu de leur plein gré” comme on dit, – alors qu’on ne sait plus, parce qu’eux-mêmes ne savent plus, à quoi exactement ils agréent pleinement aujourd’hui.

Certes, il leur vient des bulles de leur fonction d’hommes de raison et de commentateurs avisés, tels qu’ils sont placés dans le système. Alors, ils pointent vaguement le doigt vers la Chine en affirmant que la Chine, qui rigole paraît-il, ne fera bientôt plus qu'une bouchée de ce système anglo-saxon décadent (dixit, sacrilège, AEP). Il faut bien entretenir l’impression chez les lecteurs, et dans l’esprit des dirigeants des journaux qui rémunèrent ces chroniqueurs, qu’on est encore capables de prévoir l’avenir. Mais il s’agit d’un avenir de pacotille, un avenir virtualiste, qui sera balayé avec l’effondrement du système ouvrant les portes sur l’inconnu. Ils n’aiment pas ça, l’inconnu, à peu près à égalité avec la haine qu’ils éprouvent pour le désordre qu’ils découvrent dans leur modèle adoré, la statue grandiose de la Liberté qui s’avère icône de carton-pâte et bouilli… Ils détestent cela parce que la blessure est profonde et touche ce qu’ils ont de plus sacré, – leur foi.

Orphelins de l’American Dream

Se pourrait-il en effet que nous assistions à ce phénomène fondamental que serait la fin, ou le début de la fin de l’American Dream ? Certes, on s’y prépare, et l’on pourrait parler de l’entame du processus de déconstruction de l’American Dream chez les zélotes. En soi, cela ne paraît ni révolutionnaire, ni décisif mais c’est un signe qui mérite amplement d’être signalé parce que tout de même un peu révolutionnaire et participant à la préparation d’un événement décisif.

Il a fallu deux bonnes années pour incuber le poison, pour découvrir combien la potion magique avait en réalité un goût bien amer qui faisait craindre le pire. Le temps passé est suffisamment long désormais pour conclure, ou voir la confirmation d’un jugement proche d’être ferme que l’arrivée au pouvoir de BHO n’a rien changé. De toutes les façons, on ne cesse de découvrir combien le président est prisonnier de toutes les forces d’intérêt, Wall Street, le Pentagone, etc., – celui-là, d'ailleurs, comme ceux qui ont précédé, les autres présidents. Simplement, le système, maître de tout, étant dans une spirale accélératrice d’effondrement, tout le reste suit, BHO, les comparses, etc. L’état intérieur actuel de l’Amérique, tant infrastructurel que politique, tant sur le plan des processus de la décision que sur celui de la corruption, surtout psychologique, cet état est tel qu’on ne peut décemment continuer à écrire le contraire. Car, – et c’est là l’essentiel, – contrairement aux affirmations des psychologues des structures complotistes qui donnent à l’homme un rôle conscient et essentiel de contrôle et de direction, et par conséquent une capacité de dissimulation et de mystification à mesure, il y a (il y avait) une réelle sincérité dans la croyance en lui, des zélotes de l’American Dream ; leur déception est à mesure, et, elle aussi, elle est sincère, et elle s’exprime dès lors sans frein. (S’il y avait effectivement manigance jusqu’à l’extrême des thèses qu’on cite ici, tous ces gens devenant “complices” conscients s’épargneraient la publication de textes si dévastateurs.)

Par conséquent, nous entrons dans une sorte de “crise de la foi” qui n’est pas seulement anecdotique. Cette crise est d’autant plus vive qu’elle suit le paroxysme de l’élection d’Obama, – un président jeune, Africain-Américain, promettant le changement et le progrès, – la fin du racisme (seule ombre persistante, constante et embarrassante dans le coloriage aux couleurs vives dont on a toujours paré l’American Dream), – le triomphe du progressisme multiculturel venant avant cet “âge sombre” de l’époque Bush. L’élection de BHO représentait ce qu’on pouvait espérer de mieux, et même au-delà de ce qu’on s’autorisait à espérer, en fait de “réparation de l’American Dream” (un peu comme l’écrivait sardoniquement Louis-Ferdinand Céline : «Dieu est en réparation»). L’élection de BHO était l’accomplissement du rêve postmoderniste, de l’American Dream effectivement réparé. Après l’épisode GW perçu et presque ouvertement proclamé comme une aberration, un accident si épouvantable qu’il fallait immédiatement songer à réparer la casse, l’élection du premier président Africain-Américain était une “divine surprise”. Ce n’était rien moins qu’un signe du Ciel, le signe que la réparation pouvait se faire et que Dieu lui-même serait à nouveau, et sous peu, en état de marche. La déception est à mesure, plus que déception, crise, déchirement, “stupeur et tremblements” si l’on veut...

Bien qu'ils décrivent la chose comme telle, il n’y a chez tous ces commentateurs zélotes aucune allusion spécifique aux analyses sérieuses et révélatrices de l’Amérique en crise comme constituant en réalité un système qui ne peut répondre en aucune façon à toutes leurs espérances (comme William Pfaff, après d’autres, le constate). De ce côté, la foi refuse les nuances, les hypothèses audacieuses mais très fondées, les explications qui ne sacrifient pas à leur vision uniquement moraliste et postmoderne du monde, complètement bicolore (noir et blanc). Ainsi apparaissent-ils, d’une façon paradoxale, plus sévères dans les circonstances contraires que ceux qui préfèrent des analyses plus fouillées et contrastées. Ils ont les caractères des zélotes, – de l’adoration aveugle à la haine furieuse.

Tout cela est, du point de vue de l’esprit, assez dérisoire, et témoigne des limites d’esprits servis par une psychologie à la dérive. Par contre, dans la pratique des faits, c’est un point important, puisque ce sont ces esprits et ces psychologies qui président à la rédaction de la narrative virtualiste qui nous sert de commentaire officiel et indiscutable des événements du temps présent. Leur défection est, de ce point de vue, d’une très grande importance. Ces esprits sophistiqués mais sommaires, s’ils désertent l’American Dream, vont affaiblir dramatiquement la chose, surtout dans sa version officielle si envahissante.

Il est des signes auxquels l’on peut et doit s’arrêter ; celui-là en est un, parce qu’il s’attaque au symbole d’entre les symboles, d’une puissance qui est d’abord symbolique, “empire de la communication” basé sur le système de la communication, avec l’American Dream comme marteau piqueur nous martelant les couleurs vertueuses de cette pure construction de cette même communication. La représentation du triomphe de l’américanisme, commencée il y a bien plus de 200 ans dans le chef de l’American Dream, tourne désormais à vide, devant une salle d’habitude bondée et conquise, qui est désormais elle-même vide, ne laissant en place que quelques habitués jusqu’alors inconditionnels, dont les applaudissements fascinés se sont mués en sifflets et jets divers de boules puantes. Cela n’est pas indifférent.

Nous avons dit par ailleurs, à de nombreuses reprises, combien nous tenons pour une arme essentielle ce symbole de l’American Dream, combien par conséquent sa réduction représenterait un revers sévère pour le système, et sans doute le commencement de la fin. (C’est même là notre principal argument pour justifier de l’importance décisive pour la fin du système général d’un éventuel éclatement des USA, comme la fin de cette arme de domination psychologique par la communication qu’est le symbole absolument faussaire de l’American Dream.) Par conséquent, AEP, TGA et notre interlocuteur mystérieux, bienvenu au club et continuez comme cela…


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