Entre deux mondes furieux & ébranlés

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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Entre deux mondes furieux & ébranlés

03 décembre 2016 – La situation aux USA est extrêmement fascinante dans ceci qu’elle fait évoluer deux mondes parallèles, aussi révolutionnaires l’un que l’autre, chacun avec ses péripéties internes, sans pourtant que l’un ait semblé avoir, jusqu’ici, quelque influence décisive sinon marquante que ce soit sur l’autre, et vice-versa bien entendu. Le premier monde est celui de la préparation et de la construction de l’administration Trump, avec tous les remous, les commentaires en tous sens, y compris des partisans de Trump craignant d’être trahis, et les changements d’humeur évoluant autour du personnage du President-elect et de ses décisions. Le deuxième monde est celui des remous civils et politiques anti-Trump dans le pays, des manifestations, des incidents, des démarches diverses jusqu’aux plus subversives pour renverser le résultat des élections, jusqu’aux plus audacieuses comme celles des mouvements sécessionnistes.

Mon tout est un univers totalement insaisissable où l’affirmation le 25 novembre par un officiel de l’administration Obama au New York Times selon laquelle le président en fonction reconnaît que le President-elect Trump a bien été élu en toute intégrité président le 8 novembre est présentée comme une nouvelle importante ; où vous pouvez fabriquer n’importe quelle histoire selon laquelle vous seriez un individu basané de type hispanique, ou bien non plutôt Indien-Américain, qui aurait été bousculé par un blanc partisan de Trump qui vous aurait insulté et menacé, – pour envoyer l’anecdote à un site (Mic.com) friand de scène vécue de l’anti-trumpisme, pour la voir aussitôt mise en ligne sans aucune vérification, et ensuite avoir quelque répliques embarrassées et aucune rectification en ligne lorsque vous aurez dévoilé la réalité du subterfuge ... « In fact, when a reader challenged the fantastical story’s veracity, Harvard responded by mocking the person’s “logic.” »

Ainsi, par conséquent, oscillent le jugement, l’attention et l’humeur de l’observateur. Il y a eu des phases typiques à cet égard, comme deux journées de suite la semaine dernière, deux jours typiques à cet égard, dans tous les cas pour mon compte, pour ainsi avoir vécu avec une sorte d’étonnement fataliste ce balancement ultra-rapide de mon intérêt et de mon attention d’un monde à l’autre. Le mardi, j’étais tout entier absorbé par les interventions de Trump, les rumeurs sur les nominations, leurs significations, etc., la pression continuelle, la narrative qui n’a pas bougé d’un poil des commentateurs de la presse-Système ; les hypothèses dans tous les sens, les contradictions inquiétantes, notamment avec des nominations allant dans le sens contraire des promesses faites pendant la campagne ; les écarts de The-Donald (il en a encore, et pas mal) changeant d’avis ou inventant une nouvelle diplomatie de pression par le tweet rigolard, continuant à faire des déclarations tonitruantes et contradictoires, complètement hors des normes-Système.

Le mercredi, je basculai dans l’autre monde, celui des manœuvres vicieuses, des plans pour changer le cours politique du résultat des élections, des plans révolutionnaires qui bousculeraient l’édifice entier du pouvoir s’ils arrivaient à leur terme de la contestation ; de la révolte dans les rues et les campus, celui des mots d’ordre hystériques, des accusations hurlées et scandées et qui s’envolent dans l’univers extraordinaire de la construction d’une menace monstrueuse dont on cherche en vain les signes tangibles et compréhensibles.

Après la courte saga de Jill Stein qui semble se terminer en une sorte d’enlisement de plus en plus discret, on se dit qu’il en est fini des manœuvres diverses et qu’on va passer à une phase nouvelle ; d’ailleurs, cette réflexion plutôt inconsciente et sans satisfaction particulière puisque l’on sait que, si d’un côté je balance pour l’installation rapide d’une administration Trump avec peut-être la possibilité d’une politique nouvelle, d’un autre côté je m’en défie et continue à penser que “Trump ce n’est pas assez”, donc que la poursuite du désordre vers le chaos qu’on espère “nouveau” est la chose à souhaiter pour continuer à pousser à l’autodestruction du Système. Mais voilà que me viennent des nouvelles selon lesquelles, au contraire, rien n’est vraiment fini, que l’initiative de Stein est loin d’être enterrée bien au contraire, que l’attaque contre Trump se poursuit sans relâche, peut-être même avec des moyens nouveaux et des stratégies plus larges...  

La question qui me vient aussitôt et d’abord à l’esprit est celle que me souffle ma seule raison, qui concerne ces deux mondes, ces deux univers parallèles, qui peut se résumer de la sorte : au moins, suis-je assuré que l’un des deux est le monde réel ? Puis, après un instant de réflexion, et revenant sur un des grands thèmes de ce site avec lequel je me sens de plus en plus accordé, disant que la réalité a été désintégrée par la puissance de l’action du système de la communication diversement manipulé : au moins, et je dirais même au minimum minimorum de la perception, suis-je assuré qu’il existe un seul monde qui puisse être dit “réel” ? Poser la question avec cette référence à l’esprit (dedefensa.org/Glossaire.dde), certes, c’est répondre bien entendu. Dans ce cas de la situation US, nous sommes comme suspendus dans les airs, en équilibre instable mais néanmoins entêté, qui ne se décide pas à céder, entre ces deux mondes dont aucun ne représente une réalité bien sûr, et dont aucun ne peut nous fournir ce que est nommé dans cet arsenal dialectique “vérité-de-situation. Elle, la vérité-de-situation, se découvrira à cet instant où l’équilibre cédera et où les deux mondes se trouveront en position de confrontation, découvrant la situation telle qu’elle est précisément au travers de toutes ces fulgurances contraires, ces déclarations inattendues, ces initiatives incroyables qui ne semblent surprendre personne, ces deux mondes qui apparaissent, chacun, aussi impensable et imprévisible que l’autre.

C’est, exprimé autrement, dire que rien, absolument rien n’a été tranché par l’élection du 8 novembre, ni dans un sens ni dans l’autre, et que la folle aventure de USA-2016 se poursuit, prête à enchaîner sur USA-2017, qui promet d’être encore plus agitée. Finalement, cela rejoint la sagesse même telle que je la conçois, qui est de penser que rien n’est fini tant que nous ne sommes pas arrivés au but ultime, au-delà de tous les buts acessoires et de toutes les étapes nécessaires. Depuis l’origine de cette aventure, de cette séquence, au-delà des spéculations, des satisfactions, des dénonciations, flotte cette pensée que je redécouvre souvent et qui se déroule sans arrêt et sans discontinuer, comme une basso continuo qui serait également basso ostinato. Pour ce cas spécifique comme pour tous les autres, chaque fois avec une explication spécifique, il me faut sans cesse me répéter qu’il est impossible que le but central de l’accélération décisive de l’effondrement du Système, donc l’effondrement du Système lui-même, ne peut venir de la seule élection de Trump, que l’action de Trump ne suffira certainement pas à cet égard, et même que si elle réussit elle contredirait finalement le but que nous devons souhaiter puisqu’elle tendrait d’une façon ou d’une autre à faire quelque chose qui se rapprocherait de l’idée de tenter de “réparer le Système”. Je dois m’en tenir à cette pensée : il faut que tout s’effondre, dans le sens où Trump a fait s’effondrer une partie de l’édifice, mais ne rien attendre et même secrètement se prononcer contre sa tentative de réparer cet effondrement dans un autre style mais tout en conservant l’essentiel de l’édifice.

Il y avait ceci, écrit il y a quatre mois, alors que le texte cité (F&C du 11 août) envisageait la victoire de Clinton, lors d’une des plus mauvaises passes de la campagne Trump, alors qu’on évoquait également, malgré tout à ce moment, une victoire de Trump comme évidente hypothèse seconde, même si fortement affaiblie, et il était exprimé ce que je dis encore aujourd’hui alors qu’il est élu :

« Bien sûr, cela ne supprime pas, ni l’option Trump, ni le sens de la bataille tactique tout au long de la campagne, qui est de dénoncer ce qu’il y a de certainement catastrophique chez Hillary. Au contraire, cela confirme le rôle de Trump, dont nous avons dit qu’il est là, avant tout, comme un destructeur, – et nullement comme un sauveteur des USA (“America Great Again”), qui serait objectivement un sauvetage du Système, chose qui nous paraît totalement catastrophique et de toutes les façons absolument impossible. L’élection d’un Trump, qui est aujourd’hui assez improbable en raison du dispositif général du Système développé contre lui, aurait à notre sens un pouvoir de chaos sur la situation US et hors-USA que nous avons déjà envisagé, qui conduirait à une état chaotique également intéressant... C’est bien entendu toute cette situation USA-2016, quelle qu’en soit l’issue, qui développe cette crise haute comme nous l’apprécions. »

Je crois plus que jamais au “pouvoir de chaos sur la situation US et hors-USA” de l’élection de Trump, une fois cet acte important accompli, et nullement à son “America Great Again. La guerre des deux-mondes n’aura pas lieu, il n’est même pas question qu’elle ait lieu ; il s’agit du désordre des deux mondes promis à fusionner, à produire un désordre plus grand encore jusqu’à ce qu’il devienne chaos.