Bruissements nucléaires entre Russie et Turquie

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Bruissements nucléaires entre Russie et Turquie

Le 18 février sur son site ConsortiumNews, Robert Parry consacre un article à ce qu’il estime être un risque sérieux de guerre nucléaire à partir d’une évolution en Syrie où l’armée turque entreprendrait une incursion en Syrie qui menacerait les forces russes qui y sont stationnées. Le titre que choisit Robert Parry (« Risking Nuclear War for Al Qaeda? ») mesure bien l’énormité de l’enjeu d’une part (la guerre nucléaire) et d’autre part l’absurdité de l’enjeu (“pour protéger al Qaïda”) par rapport à la situation qui s’est développée dans le monde depuis 9/11. Voici les premiers paragraphes de l’article de Parry, donnant l’essentiel de sa nouvelle...

« When President Barack Obama took questions from reporters on Tuesday, the one that needed to be asked – but wasn’t – was whether he had forbidden Turkey and Saudi Arabia to invade Syria, because on that question could hinge whether the ugly Syrian civil war could spin off into World War III and possibly a nuclear showdown.

» If Turkey (with hundreds of thousands of troops massed near the Syrian border) and Saudi Arabia (with its sophisticated air force) follow through on threats and intervene militarily to save their rebel clients, who include Al Qaeda’s Nusra Front, from a powerful Russian-backed Syrian government offensive, then Russia will have to decide what to do to protect its 20,000 or so military personnel inside Syria. A source close to Russian President Vladimir Putin told me that the Russians have warned Turkish President Recep Tayyip Erdogan that Moscow is prepared to use tactical nuclear weapons if necessary to save their troops in the face of a Turkish-Saudi onslaught. Since Turkey is a member of NATO, any such conflict could quickly escalate into a full-scale nuclear confrontation.

» Given Erdogan’s megalomania or mental instability and the aggressiveness and inexperience of Saudi Prince Mohammad bin Salman (defense minister and son of King Salman), the only person who probably can stop a Turkish-Saudi invasion is President Obama. But I’m told that he has been unwilling to flatly prohibit such an intervention, though he has sought to calm Erdogan down and made clear that the U.S. military would not join the invasion. »

Si l’on s’attache à cette nouvelle, c’est à cause du crédit que nous accordons de longue date à Parry, notamment pour la qualité de ses sources. Il faut noter que c’est la première fois que Parry fait état d’une source “proche de Poutine”, alors que jusqu’ici il a toujours cité des sources US, et particulièrement venues des milieux du renseignement US. Pour autant, on pourrait voir dans cette occurrence inhabituelle, justement, une confirmation de la connexion et des liens qui existeraient entre certains milieux militaires US et les Russes et dont nous parlons beaucoup ces derniers temps : il est tout à fait possible que Parry ait eu accès à une source russe proche de Poutine par l’intermédiaire de sources du renseignement ou des militaires US, selon l’hypothèse largement développée et substantivée que ces milieux ont depuis quelques années des contacts réguliers, sinon une coopération dissimulée avec les Russes. Cela est d’autant plus possible que ces mêmes milieux du renseignement et des militaires US auraient bien entendu tout lieu d’être extrêmement inquiets de la possibilité d’une guerre nucléaire, et de l’inaction d’Obama, complètement enfermé dans sa bulle-R2P à la Maison-Blanche. Enfin, si l’on tient compte de l’hostilité antirusse, terrifiante par son déterminisme-narrativiste, qui caractérise toute la presse-Système US, il s’avère effectivement qu’un journaliste du crédit de Parry, avec l’engagement qu’on lui connaît, devient le meilleur relais possible dans cette sorte d’occurrence.

Un commentaire de l’information de Parry, vient d’Alexander Mercouris, autre commentateur de bon niveau et d’un engagement similaire à celui de Parry, dans Russia Insider le 19 février. Mercouris signale certaines précisions concernant l’activité de la direction russe et de Poutine ces derniers jours, qui ne démentent certainement pas l’information de Parry. (Notamment une réunion du Conseil de Sécurité russe et un coup de téléphone entre Obama et Poutine le 14 février.)

« Generally I would be skeptical of such a story from an anonymous source. However Parry is a journalist of the highest reliability and integrity so there can be no doubt he actually has been told this by a real source. Of course it is possible the source is making the story up, or that he is not as close to Putin as Parry believes.  

» However on 11th February 2016 Russia’s Security Council held a meeting the public report of which is unusually terse, whilst on the same day the Russian military reported to Putin about a series of military exercises arranged at short notice in their southern military district, which look like they were intended to prepare the Russian military for rapid action at short notice against Turkey should the need arise.. If a warning really was given it might have been given either on that day or possibly on the day after, to coincide with the military exercises whose meaning in that case would not be lost on either the US or the Turks. The meeting of the Security Council (whose importance I discussed here) would in that case have been convened to discuss and authorise it.

» The fact Obama telephoned Putin a day later on 14th February 2016 might also be connected to the warning, if it really was given. Both the Turks and the Russians would surely have informed the US of such a warning. It would be entirely understandable in that case that sIn fact it would be astonishing if he did not want to.

» If it was the warning Obama and Putin discussed, then that might explain why the US and the Russians are giving such completely different accounts of the conversation. Neither side would want to make the warning public – something which would escalate the crisis to stratospheric levels – and each would want to concoct a cover story to hide what was really discussed, which given the circumstances and the urgency they might be unlikely to coordinate with each other. That might explain why the accounts of the conversation differ so much. Against that it must be said that it is by no means unusual for Russian and Western governments to publish radically different accounts of conversations Russian and Western leaders have with each other... » 

Il s’avère donc assez possible que l’information donnée par Parry ait quelque réalité, ce qui correspondrait assez bien à la situation sur le terrain et à l’habitude des Russes qui, par prudence et sens des réalités, ne dissimulent jamais les risques et enjeux en présence quand la situation s’avère tendue. Sans aucun doute, le plus effrayant dans cette situation serait alors moins la possible menace de guerre nucléaire qui serait plus ou moins contenue par l'affirmation de la détermination des Russes, que les psychologies de certains des acteurs les plus impliquées (« la mégalomanie ou l’instabilité mentale d’Erdogan et l’agressivité et l’inexpérience du prince saoudien Mohammad ben Salman [ministre de la défense et fils du roi Salman] », – dont on sait, pour le cas du roi, qu’il est lui-même décrit comme dans un état proche celui d’une folie sénile).

Ainsi s’explique l’“absurdité de l’enjeu” que nous citions plus haut, parce qu’en aucun cas, même si al Qaïda était à l’extrême, dès l’origine et sans discontinuer depuis, complètement un instrument de l’un ou l’autre des acteurs, ou des trois (USA compris), cela ne peut cas justifier le risque d’un conflit nucléaire. C’est à ce point de l’absence de mesures de la vérité-de-situation des risques allant jusqu’au risque nucléaire que se trouve la dimension tragique, mais tragique-bouffe certes, de tout cela, et nullement dans les diverses manipulations, coups bas, inversions diverses jusqu’à l’extraordinaire imbroglio que représente la situation syrienne que personne de sensé n’est capable de décrire d’une façon logique ; et, dans ce cas, l’on voit bien que cette dimension tragique-bouffe touche essentiellement les psychologies. Aucun de ces acteurs (le Turc, les Saoudiens, et le président US d’une certaine façon, sans parler des bouffons européens qui poursuivent leur ronde ininterrompue de “sommets de la dernière chance”) n’est capable de figurer d’une façon efficace et de maîtrise dans une situation de tension sérieuse ; ce sont des manipulateurs, des corrupteurs, des maître-chanteurs, des sauteurs, c’est-à-dire des brigands de rencontre parvenus par les voies impénétrables de la situation-Système, à des postes de direction dont le poids de la responsabilité leur échappe tout à fait. Ces remarques valent de toutes les façons, – risque nucléaire ou pas, mais encore plus certes avec le risque nucléaire, – et illustrent combien la situation de désordre du monde que nous ne cessons de décrire répond finalement, elle, à une logique complète lorsqu’on mesure le désordre psychologique qui règne.

Dans cette pièce de la sorte de la tragédie-bouffe à laquelle nous commençons à être habitués, Erdogan pourrait bien être l’antéchrist que nombre de personnes attendent ou craignent, mais alors c’est l’antéchrist qui correspond bien à l’époque, par l’extraordinaire stupidité où l’a plongé son hybris mégalomaniaque en l’amenant d’une situation remarquable d’opportunité et de sagesse en 2009-2011 à la situation de folie complète où il se trouve aujourd’hui... Par ailleurs, cerise sur le gâteau pour un homme qui fait courir à son pays et le reste un tel risque, lui-même dans un état de complète forfaiture et de complète illégitimité puisqu’il usurpe les pouvoirs qu’il exerce en assurant une présidence qui n’a pas encore été réformée dans un “sens gaullien”, qui n’est peut-être pas prête de l’être, et par conséquent alors qu’il devrait se contenter d’inaugurer les chrysanthèmes. Mais qui se soucie encore de la légitimité de quoi que ce soit ?

La caractéristique de ces situations entièrement nées des pressions nihilistes de la politique-Système est qu’elles nous confrontent à des occurrences dont l’effet est (peut-être) effrayant et dont les causes sont absolument inconsistantes, molles et insaisissables, voire ridicules si on parvient à les observer, – car comment qualifier autrement les rêveries de “Califat mondial” de l’un ou l’autre des guignols engagés, et suivis attentivement par les observations minutieuses de nos experts en terrorisme et en islamologie ? La suppression de l’enchaînement logique de-cause-à-effet pour nous en tenir à l’“éternel présent”, qui est la marque essentielle de la “pensée” postmoderne, a ainsi permis au nihilisme du Système de supprimer les causes des situations auxquelles nous arrivons. Dans le cas exposé par Parry, et qui a tout de la probabilité logique si effectivement une invasion turque sérieuse et menaçante pour les Russes de la Syrie avait lieu, – ce qui reste à notre sens extrêmement douteux, car leur folie de la communication marquée de vitupérations diverses accouche le plus souvent de l’impuissance dans l’action, – on se trouverait devant le cas d’une guerre nucléaire devenant possible, sans aucune cause pour la justifier, ni même un accident comme on en craignait durant la Guerre froide ; une guerre nucléaire “pour faire quelque chose”, qui n’aurait d’autre stratégie que le nihilisme du Système, avec les “idiots” de service pour nous raconter comme de coutume “une histoire pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien”. A côté de tous ces gens agréés par le Système, il faut bien admettre que The Donald finit par nous apparaître comme un génie miraculeux et sans limite...

 

Mis en ligne le 19 février 2016 à 13H49