A propos des USA évidemment trotskistes…

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A propos des USA évidemment trotskistes…

L’appréciation des “USA trotskistes” semblerait selon les commentateurs communs et les idées reçues, comme une idée absurde et un commentaire cherchant le paradoxe sollicité et grossier. On comprend aussitôt que ce n’est pas le cas et on laisse les idées reçues à ceux qui les reçoivent avec soulagement et reconnaissance. L’idée, en général sous-jacente à toute étude sérieuse du comportement des USA tel qu’il se fait naturellement et parfois un peu indépendamment des politiques annoncées, est beaucoup plus souvent évoquée ces dernières années, notamment à propos des néo-conservateurs, inspirateurs de la politique de GW Bush. (Nous avons baptisé cette politique, “politique de l’idéologie et de l’instinct” selon l’expression forgée par Harlan K. Ullman, – puis, plus tard, évoluant en “politique-Système de l’idéologie et de l’instinct” sous le magistère de l’idéologiquement très incertain et très flottant Barack Obama.) La filiation des neocons, en effet, est nettement d’origine trotskiste ; nombre d’inspirateurs et d’activistes neocons de la première génération sont venus de la gauche trotskiste américaniste, très prospère aux USA dans les années 1930 et 1940 (un signe qui, rétrospectivement, ne trompe pas : le terrain est fécond…). Au reste, les neocons sont passés par l’aile activiste du parti démocrate, notamment sous l’égide du sénateur Scoop Jackson, mort en 1983 ; leur anticommunisme, déjà actif lors du maccarthysme, avait pour racine l’antistalinisme furieux et sans retour du trotskisme… Comme on voit, dans ces diverses considérations introductives, nous nous gardons bien de parler d'une façon sérieuse de “démocrates” et de “républicains”, ces drôles d’étiquette type-Prisunic.

C’est Martin Sieff qui, dans The American Conservative, le 15 octobre 2012, nous parle de l’Amérique «From Kennan to Trotsky»… Son idée est qu’on se trouve devant une situation qui est le contraire de ce qu’elle fut durant le XXème siècle, et particulièrement durant la guerre froide où l’URSS eut comme politique l’exportation de la révolution et les USA le maintien des structures politiques en place, quelle que fut la “moralité” de ces structures. Pour Sieff, la politique de l’URSS renvoyait implicitement à l’idée de “révolution permanente” de Trotski. (Sieff considère que l’épisode stalinien, à partir de l’élimination de Trotski et de ses thèses à la fin des années 1920, jusqu’à la mort de Staline, diverge de cette analyse générale de la politique soviétique, – ce qui est une thèse acceptable, et proche de celle des trotskistes, mais néanmoins discutable, – mais c’est un autre débat.) D’une façon très juste pour ce cas particulier, Martin Sieff situe à l’arrivée de Madeline Albright au département d’État ce qu’il juge être une dégradation décisive de la politique US ; nous parlerions beaucoup plus volontiers, plutôt que de “dégradation”, d’une “évolution opérationnelle” décisive de ce qui fut toujours au cœur de la politique US, neocons ou pas. (Effectivement, Albright fit un discours qui aurait dû rester fameux le 15 février 1999, avant l’attaque de la Serbie, où elle réfutait le principe de la souveraineté pour justifier le “principe”, contre-principe en l’occurrence, de l’interventionnisme humanitaire.) Sieff : «Since the advent of Madeleine Albright as secretary of state in 1997, the United States has become increasingly ideologically committed to the spreading of “instant powdered democracy” in every nation of the world, as defined and approved by the United States. Russia and China have become the main “conservative” or “right-wing” powers committed to preserving the status quo.»

Le principal de la thèse de Martin Sieff sur une Amérique trotskiste est exposé de cette façon : «Today, it is the United States under presidents of both parties that has embraced the Trotskyite delusion. The bipartisan policy of the United States has become Permanent Revolution until Total and Perfect Democracy is finally achieved. This can only end the way it ended for Maximilien Robespierre in the French Revolution and for Trotsky in the Bolshevik one. It is fitting that so many of the older generation of American neoconservatives started life as communist enthusiasts in the 1930s and ’40s. For today’s neocons are really neo-Trotskyites promoting the old, doomed enthusiasms under a new label.

»By contrast, Russia and China are led by pragmatic governments guided by the concepts of profit and self-interest. They support and want to do business with existing governments and governing systems around the world. This has made them the 21st century’s major global powers of the right. This is the strategic and psychological force behind China’s immense success in displacing the United States and the European Union in Africa. Chinese investment and aid comes free from the destabilizing, potentially revolutionary ideological strings that undermine existing systems of government throughout the region.

»The governments of China and Russia hate and fear revolution and see the endless ideological promotion of democracy American-style in small countries around them and in their own homelands as planting the seeds of chaos and disintegration.

»Democracy works admirably in societies where it is allowed to develop organically. But when other governments try to accelerate its growth artificially or hasten its triumph from outside, especially when they resort to military force to do so, the result is almost always a fierce reaction against the forces of democracy. This reaction often generates extreme fascist, repressive, and intolerant forces. And these forces usually win and take power. Then they impose themselves on the societies in question, delaying any real democratic development for decades or generations.

»The efforts of the French Revolutionaries and Napoleon to export liberty, equality, and brotherhood across Europe by fire and sword instead ensured the survival of the old traditional empires for another 120 years. The efforts of Lenin and Trotsky to export socialism and communism by similar means were even more catastrophic. The backlash against them in Germany propelled Adolf Hitler to power.

»It is not in America’s interests to follow in those footsteps—to put it mildly.

Effectivement, cette référence au trotskisme pour définir la politique étrangère des USA n’est certes pas nouvelle, dans la mesure où elle s’appliquait essentiellement au groupe le plus influent des néo-conservateurs pendant l’époque GW Bush (2000-2008). Par ailleurs, on sait que cette approche envoie valser toutes les étiquettes convenues et les diverses historiographies officielles. Martin Sieff désigne fort justement Albright comme la porte-parole la plus en vue du lancement, non pas de cette doctrine nouvelle, mais de cette doctrine qui est naturelle aux USA, mais en mode-turbo à partir de 1996-1997. (Cela correspond parfaitement avec la montée en surpuissance qui s’est depuis transformée en autodestruction de l’élément américaniste du Système, d’une façon extrêmement marquée mais totalement ignorée de l’histoire officielle, à partir de l’événement symbolique de juillet 1996, des Jeux Olympiques d’Atlanta. Ce fut aussitôt entériné par Bill Clinton, réélu et faisant passer sa politique extérieure en mode expansionniste, avec la première aventure du genre, du Kosovo en 1999.) A ce moment, il s’agit des démocrates transformés en liberal hawks et suivant une doctrine qu’on désignait comme du néowilsonisme. GW Bush, avec les neocons et 9/11 dans sa musette, ne fit que poursuivre en l’accentuant encore le mouvement, et proclama cette orientation dans un discours resté fameux le 20 janvier 2005, où il promettait le “feu de la liberté” embrasant le monde sous les couleurs de la démocratie universelle. (Il y avait déjà les fureurs des républicains conservateurs orthodoxes dont Sieff est le dernier écho, comme ce texte de Patrick Buchanan que nous commentions le 21 janvier 2005, où Buchanan accusait Bush de trahir les idéaux isolationnistes des conservateurs et des républicains.) Il s’agissait effectivement de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, devenue avec BHO “politique-Système de l’idéologie et de l’instinct”, tout cela reconduisant les mêmes éléments et les mêmes objectifs.

Effectivement, en fait de néowilsonisme il s’agit d’un domaine qui demande bien des éclaircissements… Grâce à la présentation vertueuse qu’en fait le système de la communication américaniste avec ses mots-hochets (démocratie, utopisme, etc.), l’expression “néowilsonisme” (comme le “wilsonisme” initial, d’ailleurs) est un peu trop aimable, un peu trop politiquement conviviale dira-t-on, ou “politiquement correcte”, et un peu trop bien insérée dans les bornes de la pensée politique conforme du bloc BAO qui se fait croire à elle-même qu’on est tous de la famille, parfumée, poudrée et maquillée par les mêmes “valeurs”. Parler d’une façon différente de la même chose, c’est-à-dire exposer dans ces termes l’application américaniste de la doctrine trotskiste de “la révolution permanente”, c’est déjà progresser sur la voie de la mise en évidence des choses. Mais là aussi, laissons les étiquettes sans intérêt de côté, – révolution, démocratie, etc. Ce qui importe, c’est bien sûr les caractères de déstructuration et de dissolution de ces politiques, comme principes d’action et principes (subversifs ou anti-principes) tout court, et l’attaque contre les principes structurants qui les accompagne. Comme Trotski, c’est bien cela, la vérité principielle et structurelle, que l’américanisme attaque, obéissant parfaitement au Système issu du “déchaînement de la Matière” ; c’est bien cette posture-là, cette dynamique d’entropisation, qui lie intimement les deux phénomènes. Ainsi peut-on dire que les USA sont effectivement une puissance expansionniste trotskiste si l’on admet que Trotski est un dynamiteur effectivement né du “déchaînement de la Matière”.

Ce qui est remarquable, c’est le regroupement de toutes les forces américanistes liées au Système autour de ce concept, que ce soit les activités militaires, économiques, culturelles et d’influence. La politique US est autant déstructurante et dissolvante des principes dans l’attaque et le traitement général (y compris culturel) de l’Irak, dans l’application et l’imposition du libre-échange selon les préceptes de la “doctrine de choc” décrite par Noami Klein dont l’origine se trouve dans l’expansion massive des exportations US des années 1920, dans la recherche constante de l’américanisation des cultures, entre la publicité, l’hollywoodisme et la pénétration des élites étrangères par les organisations frontistes de la CIA, dans l’activisme présent du type “agression douce” de l’ambassadeur McFaul à Moscou, etc. Ainsi la situation évolutive que Sieff décrit d’une “inversion des rôles” (avant et après la chute du communisme) est douteuse. Si les USA semblèrent défendre une certaine stabilité principielle contre l’activisme révolutionnaire de l’URSS qui demande d’ailleurs à être largement relativisé, ce fut par opportunisme tactique et cela ne concernait que l’apparence ; cela n’empêcha jamais les mêmes tendances “trotskistes”, anti-principielles, de se manifester. L’hostilité US contre de Gaulle, dès 1940, repose essentiellement sur cette perception psychologique du doctrinaire prophétique, principiel et spirituel, qu’était de Gaulle.

Au reste, si l’on remonte l’histoire des USA en-deçà de 1918 et du wilsonisme, on trouve les mêmes tendances déstructurantes et dissolvantes, y compris dans leur histoire intérieure de suppression des cultures et d’annexion des terres de l’“extérieur proche”, aussi bien que de la politique des zones d’influence. L’attirance fondamentale de la “dissidence” US (essentiellement les milieux artistes US, toujours très critiques de l’américanisme et antiSystème) qui s’est exprimée pour la France surtout à partir de la fin du XIXème siècle, rompt avec la proximité franco-américaniste initiale et officielle, représentée par la personnalité de La Fayette. Elle s’appuie sur une attirance pour la structure principielle originelle du cas français (actuellement dans une période souterraine de reflux et de très basses eaux), que ne parvint pas à détruire complètement la Révolution et qui garantit de facto une reconnaissance et une protection des identités structurelles différentes ; les relations entre Baudelaire et Edgar Allan Poe, furent, au milieu du XIXème siècle, l’archétype et le symbole fondateurs de ce phénomène. (Voir le 3 avril 2010 et le 16 mai 2005, La grâce de l’Histoire.) On conclut de ces épisodes que l’américanisme, et les USA, que nous mettons par le biais de la “révolution américaniste” comme un des trois évènements fondateurs de notre “contre-civilisation” avec la Révolution française et la révolution du choix de la thermodynamique (voir le 25 janvier 2010, La grâce de l’Histoire), sont directement issus du “déchaînement de la Matière”. Cela implique à la fois la constance de la politique déstructurante et dissolvante de l’américanisme et le puissant malaise sous-jacent du à cette proximité du Mal qui affecte la psychologie américaine (et non américaniste dans ce cas), jusqu’à en faire un des éléments fondateurs de la névrose de la modernité. En ce sens, l’Amérique était trotskiste bien avant Trotski, et si l’un a une influence psychologique (et non idéologique) sur l’autre ce serait dans le sens contraire à celui qu’on a l’habitude de considérer…


Mis en ligne le 18 octobre 2012 à 06H02