La porte est fermée

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La porte est fermée

17 mars 2008 — La Grande Peur s’est installée à Wall Street, avec le “‘D’ word” selon le langage médiatique, — ou le “‘GD’ word” tant l’expression Great Depression semble, dans la pychologie américaniste, ne faire qu’un seul mot pour définir cette Grande Peur. La Grande Dépression est l’événement catastrophique par excellence de l’histoire de l’Amérique, même s’il est concurrencé, voire battu en importance historique pour la plupart des historiens conformistes par la Guerre Civile (Guerre de Sécession pour nous). Psychologiquement, c’est l’événement catastrophique par excellence parce qu’il est destructeur fondamentalement du système alors que la Guerre Civile est perçue dans le conformisme du système comme son événement historique reconstructeur.

A Wall Street, le “mot” Great Depression est partout dans les esprits. Un article de The Independent du 16 mars en rend bien compte. L’article concerne bien entendu l’effondrement de Bear Stearns et les mesures qui suivent, prises de toute urgence, à commencer par l’intervention précipitée de la Federal Reserve (puis du rachat de Bear Stearns par JP Morgan). Mais il s’attarde essentiellement sur le sentiment de cette Grande Peur qui a envahi les milieux de Wall Street. (Plus généralement, ce sentiment touche les milieux financiers anglo-saxons. L’article montre bien que les spécialistes de la City ne sont pas épargnés. La crise est bien celle du système anglo-saxon qui domine le monde.)

«...One UK economist warned that the world is now close to a 1930s-like Great Depression, while New York traders said they had never experienced such fear. The Fed's emergency funding procedure was first used in the Depression and has rarely been used since.

»A Goldman Sachs trader in New York said: “Everyone is in a total state of shock, aghast at what is happening. No one wants to talk, let alone deal; we're just standing by waiting. Everyone is nervous about what is going to emerge when trading starts tomorrow.”

»In the UK, Michael Taylor, a senior market strategist at Lombard, the economics consultancy, said on Friday night: “We have all been talking about a 1970s-style crisis but as each day goes by this looks more like the 1930s. No one has any clue as to where this is going to end; it's a self-feeding disaster.” Mr Taylor, who had been relatively optimistic, has turned bearish: “It really does look as though the UK is now heading for a recession. The credit-crunch means that even if the Bank of England cuts rates again, the banks are in such a bad way they are unlikely to pass cuts on.”

»Mr Taylor added that he expects a sharp downturn in the real UK economy as the public and companies stop borrowing. “We have never seen anything like this before. This is new territory for us. Liquidity is being pumped into the system but the banks are not taking any notice. This is all about confidence. The more the central banks do, the more the banks seem to ignore what's going on.”

»Mr Taylor added that the problems unravelling at Bear Stearns are just the beginning: “There will be more banks and hedge funds heading for collapse.”»

Conformément à notre approche, nous voyons que le problème central est bien entendu celui de la confiance, ou, plus gravement, celui de “la perte de la foi”. Le mot (“foi”) implique bien la dimension irrationnelle, parce que psychologique, de la chose. Ces remarques de Mark O'Sullivan, directeur des échanges à Currencies Direct, à Londres, renvoient au constat que faisait Paul Krugman le 15 février, sur l’effondrement de la foi dans le système: «This crisis is one of faith. We are going to see even more problems in the hedge funds as they face margin calls. What we are waiting for now is for the Fed to cut interest rates again this week. But that's already been discounted by the market and is unlikely to help restore confidence.»

La “psychologie de la situation” de 1932-33

Encore une fois, nous nous concentrons sur cet aspect psychologique qui domine plus que jamais la crise financière. Il l’a toujours fait dans les crises financières et, comme toujours, il s’exacerbe lorsque la crise devient pressante. Il prévient et neutralise par avance toutes les mesures qu’on peut envisager («What we are waiting for now is for the Fed to cut interest rates again this week. But that's already been discounted by the market...»). Il attend le pire qui va succéder au pire, – ou, comme l’écrit le Financial Times ce 17 mars, «Wall Street waits for the next domino to fall». Comme nous l’avons déjà observé, la “psychologie de la situation” n’est pas aujourd’hui celle du crash d’octobre 1929. La psychologie aujourd’hui est bien celle du pire de la Grande Dépression aux USA (1932-33), même si les conditions sont différentes du point de vue technique, – le point de vue financier et économique.

La psychologie de l’administration en place est exactement celle de l’administration Hoover durant la Grande Dépression. Les déclarations de Bush renvoient à celle de Hoover, avec l’extrême platitude du président actuel en plus. Elles sont celles de la foi (dans les marchés) péniblement réaffirmée parce que les événements mesurent chaque jour sa totale impuissance. Comme l'était l'administration Hoover, l’administration actuelle est prisonnière de sa foi obligée, et réaffirmée malgré l’évidence des événements, bien plus que d’une politique. Quant aux candidats à l’élection présidentielle, ils sont très loin d’avoir mesuré l’ampleur du désarroi catastrophique qui affecte le système. McCain est totalement aveugle devant cette question, se contentant de raffirmer la primauté du libre-échange selon un état d’esprit copie conforme de celui de Bush; les deux démocrates, eux, sont occupés à s'entre-déchirer.

Le contexte général est essentiel, comme il le fut durant la Grande Dépression. C’est grâce à ce contexte que Roosevelt réussit à interrompre la crise de la psychologie américaniste au printemps 1933. (En 1933, les USA n’avaient pas d’engagement extérieur majeur. Ils étaient appuyés sur une puissance encore largement autarcique.) Aujourd’hui, le contexte est catastrophique et nourrit cette crise. Au contraire de 1933, les USA n’ont pas les mains libres. Aujourd’hui, nous nous trouvons devant une situation qui contracte les périodes et mélange les domaines par rapport à l’analogie des années 1930. Nous avons à la fois la crise, la psychologie de la crise (1932-33) et le “remède” (1939-40) qui s’avère être le contraire de ce qu’il fut.

Le principal événement à cet égard est le rapport direct établi par Stiglitz entre le conflit irakien et la situation catastrophique des USA. (Nous parlons bien du rapport direct de cause à effet, c’est cela qui importe. Les débats sur l’exactitude ou la nature du volume astronomique du coût de la guerre sont complètement secondaires et vains.) Sur le terme, c’est la guerre (1941) et le boom industriel de la guerre (à partir de 1939-40) qui sortirent définitivement les USA de cette Grande Dépression-là. Aujourd’hui, l’Irak démontre en temps historique réel que la guerre n’agit plus désormais dans ce sens, qu’elle agit dans le sens contraire, qu’elle contribue directement à provoquer et à aggraver la crise. Même si ce “remède” de 1939-40 pouvait être considéré comme temporaire ou vicieux, – vicieux, il le fut puisqu’il conduisit à la militarisation de la politique et de l’industrie US (complexe militaro-industriel) jusqu’à nos jours, – il n’empêche qu’il a agi dans le moment historique comme “remède”. Aujourd’hui, le “remède” est non seulement pire que le mal, il est créateur du mal lui-même. Il n’y a plus de porte de sortie.


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