Le FT et BAE aux USA : une odeur de roussi

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Jusqu’ici, le Financial Times a été impeccablement vertueux dans sa critique des pratiques supposées de BAE et de l’attitude du gouvernement de Londres. Il s’agissait effectivement de la question de la vertu anti-corruptrice comme facteur essentiel de protection du prestige de l’économie libérale, anglo-saxonne, etc., vue de la “City”. On remarque désormais un imperceptible changement, qui s’exprime notamment par la plume d’une de ses commentatrices.

… Le commentaire de Patti Waldmeir publié le 5 juillet dans le FT prend en effet nettement position contre la décision US d’enquêter sur BAE (décision du département de la justice [DoJ] du 25 juin). Américaine, Waldmeir est une spécialiste des questions du droit des affaires et c’est de ce point de vue qu’elle développe son argumentation. Pour elle, Washington a outrepassé ses droits dans cette affaire.

Le début de l’article aborde effectivement l’affaire de ce point de vue, pimenté d’arguments dont on pourra apprécier le poids à la mesure de ce qu’il faut accepter des déclarations officielles («Those allegedly involved say they did nothing wrong», explique Patti sans rire). On observera qu’aucun des personnages impliqués, de Bandar à la direction de BAE, n’a jamais envisagé la moindre action judiciaire pour diffamation contre la horde de journaux britanniques, menée par le Guardian, qui matraque cette affaire d’accusations de corruption depuis octobre dernier.

«When the US government decides to investigate a UK company for bribing a Saudi prince, there are lessons for every company, everywhere: beware the global fraud squad. We Americans have never been shy about using our laws to regulate what happens in other countries, but does it really make sense to run a bribery investigation of BAE (“B” as in “British”) from Washington, DC?

»No one yet knows the facts of the BAE Systems case. The US Department of Justice is not talking and reports of nefarious dealings between the British defence contractor and the House of Saud are unsubstantiated. Those allegedly involved say they did nothing wrong.»

Mais Waldmeir montre un peu plus le bout de son porte-plume, sans éviter les ambiguïtés nées d’une position où l’on doit à la fois critiquer et défendre la même décision (celle du DoJ) lorsqu’elle précise deux choses :

• «The real blame surely lies in London: the decision by the UK’s Serious Fraud Office, to call off its investigation after intervention by Tony Blair, left the Americans no choice but to step in. The international community was outraged by the UK's assertion that it could not investigate BAE because of national security concerns. Washington may be overreaching, but London is at fault. This could so easily have been avoided, if London – unlike Washington, for once had the courage of its convictions and pursued allegations of bribery, beyond the bounds of politics.»

• «[Any U.S. investigation] will probably never be tested in court; BAE is very likely to settle the case before it ever gets to a judge. The costs, in public relations and other terms, are just too high.»

Dans le premier cas, on maintient l’ambiguïté entre le fond et la forme. La décision de Blair de stopper l’enquête du SFO aurait choqué par la forme de cette intervention, donc c’est cette forme choisie par Blair qui est fautive, pas le fond. Waldmeir semble effectivement oublier de s’interroger sur le fond de l’affaire : peut-être le SFO approchait-il d’une conclusion positive de son enquête, car on ne voit pas Blair prendre un tel risque si ce n’avait été le cas. Au contraire, un SFO blanchissant Bandar et les autres, voilà qui eût été touchant et spectaculaire. D’autre part, l’intervention pressante, voire impérative de Bandar, le 5 décembre 2006 au 10 Downing Street où il est comme chez lui, ne présageait également rien de bon quant au résultat de cette même enquête. Si Washington ne pouvait pas faire autrement que reprendre l’enquête, Londres ne pouvait pas faire autrement que de l’arrêter…

Quant à savoir si l’enquête du DoJ se réglera par une transaction, c’est à voir, et c’est à voir surtout selon ce que sera cette transaction. Le Congrès démocrate (John Kerry) est en partie derrière cette enquête. Le cas est peut-être trop beau pour ne pas s’en emparer. Peut-être y aura-t-il transaction, mais elle ne se limitera pas à de l’argent ; des mesures fondamentales seront exigées (pourquoi pas une séparation des activités US de BAE de la maison-mère compromise dans le scandale ?). Dans tous les cas, le soupçon de corruption sera largement alimenté. Le Congrès pourrait alors bien avoir le goût d’ouvrir une série d’auditions sur le cas BAE-Arabie.

Bref, le FT a du pain sur la planche pour concilier son besoin de vertu et la défense de certains intérêts britanniques.


Mis en ligne le 6 juillet 2007 à 18H36