Balade dans la chaotique complication européenne

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Balade dans la chaotique complication européenne


19 juin 2007 — Certains de nos lecteurs n’ont pas aimé notre “après tout pourquoi pas ?” à propos de “Blair président européen”. Nous ferions à certains de nos lecteurs le discret reproche de se méprendre à propos de l’Europe. On a l’impression qu’ils ont l’impression que l’Europe c’est comme la nation : on ne transige pas, cela existe en tant qu’objet accompli et sanctifié par l’Histoire ou bien c’est une horrible trahison, — une sorte de tout ou rien, répondant à la puissance de la raison et à la fermeté de l’honneur. L’“Europe”, cette espèce d’ectoplasme à peau de poisson sans écailles, ce n’est pas ça.

Egrenons quelques réflexions.

• “Blair président”, une “contradiction insurmontable” ? Ou bien, nous autres, à dedefensa.org, nous aurions fini par nous “faire avoir par les feux de la rampe” ? Voire. Considérez la situation actuelle (à Londres) et demandez-vous si, dans la situation hypothétique envisagée, “Blair président” européen ne serait pas le plus féroce ennemi de son ami Gordon Brown, — ce qui ferait les affaires de pas mal d’autres, dont les braves et vertueux Français. Nous aurions deux Britanniques fameux bien occupés à s’entre-déchirer sans pourtant complètement abandonner l’option européenne et ce serait la situation la plus acceptable, compte tenu des réalités, pour une Europe la moins inacceptable possible.

• Il est bon, il est excellent qu’un Gordon Brown, par anti-européanisme borné et démagogique si vous voulez, et pour contrer son ami-ennemi Blair, penche pour un référendum britannique pour le “mini-traité”, si “mini-traité” il y a. D’abord et essentiellement, parce que cela rappelle à tous que les peuples et les nations existent. Sarko, en France, devra en tenir compte : si pas pour imposer un référendum, dans tous les cas pour rappeler à un moment ou l’autre les exigences de la nation française, celle qui a voté “non” en mai 2005 et qui a réaffirmé son identité nationale pendant la campagne présidentielle.

• Dans la situation actuelle, avec un Sarko emporté par l’élan d’un activisme dont il a fait sa vertu principale si pas unique et rencontrant ses premières difficultés, et conduit à faire des concessions pour pouvoir boucler son traité, nous considérons par conséquent que nos meilleurs alliés temporaires et occasionnels, pour quelques jours, sont Gordon Brown et, surtout, les jumeaux polonais (qui menacent le “mini-traité” d’un veto), — alors qu’en général nous ne sommes tendres ni pour l’un, ni pour les jumeaux. “Conclusions un peu paradoxales”, dans notre cas ? Il n’est pas question de conclusions. Il est question de situations, avec des rôles changeants et un jeu de chaises musicales. L’essentiel est de distinguer ce qui peut pousser vers le plus acceptable. En l’occurrence, Sarko oublie un peu vite la défense de la souveraineté mais Brown et les jumeaux sont là pour freiner en en rappelant l’existence ; même si leurs motifs peuvent être jugés exécrables, le principe de la souveraineté reste essentiel.

• A Luxembourg, en marge de la réunion des ministres des affaires étrangères du week-end, on a entendu le Premier ministre luxembourgeois Jean-Claude Juncker, excellent homme au demeurant, vitupérer contre l’idée de “Blair président” et contre Sarko qui s’en fait le promoteur. Bravo Juncker, dirions-nous sans la moindre ironie. “Contradiction insurmontable”? Pas du tout. C’est ce genre de situation qui forcerait un Blair à se faire encore plus européen qu’il n’est, et encore plus adversaire de l’“isolationnisme transatlantique” très britannique de Gordon Brown, s’il est intéressé par la présidence et veut séduire Juncker. (Par ailleurs, ne pas oublier : Juncker guigne également la future possible présidence, et son hostilité à l’encontre de Blair et de Sarko promoteur de Blair s’explique encore mieux. Et tant mieux : si Juncker veut convaincre Sarko d’abandonner l’idée d’une présidence Blair, il devra faire des concessions aux idées des Français d’une Europe affirmée, notamment du point de vue de la défense.)

• Cela dit, rassurez-vous. Dans les couloirs de la Commission, où se propagent les humeurs européennes les plus pures, on n’apprécie guère l’idée d’un “Blair président”. Vous voilà rassurés, lecteurs purs et durs? Pour compenser, sachez qu’on commence à jouer avec l’idée de reconduire Barroso dans ses fonctions à la fin de son premier mandat (lui, pour la Commission). Voilà une perspective notablement plus exaltante que “Blair président”, n’est-ce pas ?

Et ainsi de suite…

Quelques réalités européennes avant le sommet

Contrairement aux croyances rationnelles des Français, l’Europe est un chaos. Il faut goûter le caractère d’oxymore de l’expression “croyance rationnelle” : les Français mettent souvent bien trop de foi dans des appréciations qu’ils veulent rationnelles, bien trop de passion dans l’affirmation de la raison. L’Europe est une organisation irrationnelle, faite contre la nature des choses (l’existence de nations vieilles et très spécifiques, formées au feu et au bronze de l’Histoire, qui ne sont nullement faites pour se fondre entre elles). Mais il se trouve qu’elle existe, cette “Europe”-là, et, quoique nous soyons complètement fondés par les meilleurs arguments du monde à déplorer cet état de fait, il s’agit d’en user le mieux possible.

Par conséquent, si avoir une très mauvaise opinion de l’actuel Blair et penser qu’il pourrait faire un bon président européen apparaît irrationnel et donc illogique, alors nous sommes dans la logique de l’Europe. (Mais est-il rationnel qu’il y ait eu le Blair-I de Saint-Malo et le Blair-II de l’Irak? C’est pourtant un fait historique avéré. Alors, pourquoi n’y aurait-il pas un Blair-III, type européen-standard, qui ferait notre affaire?)

Effectivement, nous sommes absolument “maistriens” et les destins individuels autant que les agitations des “scélérats” de service (Brown, Blair, Sarko, les jumeaux, etc.) ne nous intéressent guère, sauf pour le bon usage qu’on peut en faire pour un destin européen éventuellement acceptable, — c’est-à-dire un peu “moins pire“ qu’à l’accoutumée. C’est cette logique-là, la logique de l’Histoire et non celle de l’“écume des jours”, qui conduit notre réflexion. Ce n’est pas un exercice facile car l’erreur d’appréciation vous guette à chaque tournant de ce chemin sinueux. Qui a jamais dit qu’il était facile de tenter de comprendre le réel fondement des choses ?

Le sommet qui va se dérouler à Bruxelles, après-demain, entre chefs d’Etat et chefs de gouvernement ne sera pas facile, contrairement aux espoirs que la rationalité française avait mis dans l’entrain et l’allant de Sarko. Il nous étonnerait beaucoup qu’un accord parfait y accouche d’un “mini-traité” satisfaisant ; ou encore qu’un “mini-traité” adopté à l’arraché n’entraîne pas ensuite, dans divers pays, des remous graves. Cela ne nous chagrinera pas outre-mesure parce qu’il s’agit là de la simple évidence de la réalité. Nous n’attendons de l’Europe aucun miracle ; nous n’en attendons qu’une chose : que quelques “scélérats” habiles ou inconscients qui y évoluent sachent s’en servir ou s’en servent par inadvertance, de l’Europe, au moment où il faut et à l’avantage d’un bien commun qui n’a rien à voir avec l’habituel “parti de l’étranger” qui existe également à Bruxelles. Tout cela, nous le répétons, volontairement (c’est rare) ou par inadvertance (c’est le plus courant).

Pour la France, la situation n’est pas mauvaise. L’agitation tant médiatique et tant décriée de Sarko a exonéré la France du péché capital d’isolement et de mauvaise humeur, et de l’apostasie d’anti-modernisme de “repli frileux” sur soi-même. Cette tare et cette apostasie risquent d’échoir désormais à l’Anglais Brown, notablement moins sémillant que son ami-ennemi Blair, et éventuellement aux infernaux jumeaux de Varsovie qui vont finir par agacer, malgré leur pro-américanisme d’enfer, Barroso lui-même. (“Isolement”, “anti-modernisme”, des mots tout cela, comme autant de bulles inconstantes. Mais c’est avec eux que se fait l’influence de l’“écume des jours” bruxelloise. Autant s’en servir quand c’est possible, mais en n’en étant jamais la dupe, en n’oubliant pas d’entretenir un complet mépris à leur égard.)

Désolés nous sommes, mais c’est bien de cette façon qu’il faut mesurer les avantages et les inconvénients de l’Europe aujourd’hui. Nous avons l’enfant monstrueux et difforme que nous avons conçu. Un legs de ce temps historique, rien de moins, rien de plus.