Blair “président européen”?

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Blair “président européen”?


17 juin 2007 — Le Financial Times d’hier publie une courte nouvelle donnant quelques détails sur une idée qui flotte dans les déplacements européens, et qui est notamment promue par le président français Sarkozy : Tony Blair comme premier “président” européen (« first full-time European Union president»). Une drôle d’idée? Une idée monstrueuse? Une idée habile? Et d’abord, voir s’il s’agit bien d’une idée…

«Tony Blair, the British prime minister, could end up swapping Downing Street for a job as the first full-time European Union president, under a plan being actively touted by Nicolas Sarkozy, the French president.

»Mr Sarkozy is understood to have discussed the idea with other EU leaders ahead of next week’s European summit, Mr Blair’s last major international event as prime minister.

»His support for Mr Blair taking on a big European job is a remarkable sign of Anglo-French rapprochement since Mr Sarkozy replaced Jacques Chirac as president last month.

»German diplomats say Mr Sarkozy put his plan to Angela Merkel, the German chancellor, while EU officials say the French president has also touted his idea around other capitals, including Madrid. But the British prime minister remains unpopular with governments in countries such as Italy and Spain, which opposed the Iraq war. Mr Blair’s failure to take Britain into the euro will also count against him.»

Il s’agit pour l’instant d’une hypothèse délicate. Tony Blair (Premier ministre jusqu’à la fin de ce mois, ensuite en congé) n’est pas populaire, ni au Royaume-Uni, ni en Europe. L’idée d’un “président permanent” (pour une durée située en général autour de deux ans), nommé par les 27 de l’UE et remplaçant l’actuelle présidence tournante d’une durée de six mois, conformément à la présidence de six mois donnée à chaque pays à son tour, est effectivement discutée dans le cadre des entretiens en cours pour un traité minimum remplaçant le traité constitutionnel rejeté notamment par la France et la Hollande. Les pouvoirs réels d’un tel président seraient limités mais une telle fonction représenterait une position symbolique très forte, par conséquent avec un poids politique non négligeable où la personnalité (la notoriété) de la personne désignée compterait beaucoup. Le FT définit ainsi cette fonction : «The president would have few formal powers, but would give the EU strategic leadership and represent the bloc on the world stage on issues such as climate change, bilateral relations and development in conjunction with the new foreign minister.»

Le quotidien britannique cite une source proche de Sarkozy, qui ne confirme pas l’information développée mais juge l’idée intéressante, — façon de confirmer indirectement l’intérêt, sinon l’activité de Sarkozy dans ce sens. («Pourquoi pas [une présidence européenne Tony Blair]? dit la source. Il est qualifié pour cela. Nous voulons une Europe politiquement forte. Nous voulons un président qui soit crédible.»)

Pourquoi pas une responsabilité européenne pour les Britanniques?

In illo tempore (le 24 juin 2004), nous regrettions grandement que le Britannique Chris Patten n’ait pas eu la présidence de la Commission européenne, — et nous regrettions encore plus que la France n’ait pas soutenu sa candidature. A la place, nous avons eu Barroso. Les faits parlent d’eux-mêmes. La médiocrité en apparence effacée de la candidature qui conduisit à ce choix final nous vaut le président de la Commission le plus aveuglément, le plus vaniteusement et le plus mécaniquement pro-américain de toute l’histoire de l’Europe institutionnelle. N’importe qui, — façon de parler, — eût été préférable, et Chris Patten eût été, à la place de Barroso, un choix grandiose et d’une rare intelligence.

Mais Tony Blair n’est pas Chris Patten. D’où la question à nouveau posée, qu’on peut effectivement saucissonner : Blair président de l’UE, — “Une drôle d’idée? Une idée monstrueuse? Une idée habile?” (Nous mettons ici en position d’équivalence la présidence de la Commission et le nouveau éventuel “président de l’UE”. Formellement cela n’est pas justifié ; dans la perception des positions et des influences, — mais aussi des concurrences, comme on verra plus loin, — on comprend qu’on puisse accepter cet exercice sémantique comme une évidence utile pour la réflexion.)

Tony Blair n’est pas Chris Patten en ce sens que Chris Patten avait montré plus d’une fois, lorsqu’il était Commissaire aux Relations Extérieures (2000-2005), sa complète indépendance critique vis-à-vis des USA. Par exemple, fait peu connu et fait significatif, ce fut la seule personnalité européenne à intervenir auprès du Premier ministre hollandais, en février 2002, pour tenter d’empêcher que la Hollande fasse le choix crucial d’entrer dans le programme américain JSF. Néanmoins se pose, à propos de Tony Blair, une autre question : passant à un poste de responsabilité européenne, ne peut-on envisager qu’il redevienne le Tony Blair prè-9/11?

Il y a deux Tony Blair : celui d’avant 9/11 (Blair-I) et celui d’après (Blair-II). Le premier, c’est l’homme du traité de Saint-Malo (entre France et UK), qui constitue à ce jour l’avancée la plus audacieuse en matière de défense européenne et qui fut voulu et élaboré personnellement par le Premier ministre britannique (à l’automne 1998, les Français, recevant les propositions britanniques, n’en croyaient pas leurs yeux). Le second, c’est l’homme de la croisade irakienne et, par conséquent, de l’alignement aveugle sur les USA. Notre jugement sévère sur Tony Blair, souvent rencontré dans ces colonnes, tient à ce que l’aveuglement et la fièvre de Blair-II ont complètement subverti et corrompu Blair-I. Mais nous pensons que l’aveuglement du croisé a précédé et suscité l’alignement aveugle sur les USA ; Blair-II est un Blair-I égaré sur les chemins de la passion et de l’extrémisme fondamentaliste et moderniste, et s’alignant férocement et incroyablement sur les USA pour cette raison. Blair-II est plus caractérisé par le fondamentalisme que par le pro-américanisme, même si le second a pris des proportions grotesques. Installé à la tête de l’Europe mais sous haute surveillance, Blair peut retrouver la modération et l’habileté pro-européenne de Blair-I, perdre ses emportements de croisé et mettre de l’eau dans sa vinasse pro-US.

Voici quelques remarques supplémentaires tenant au fait même d’une présidence européenne occupée par un Britannique, et un Britannique nommé Blair.

• Patten fut écarté par les Français parce qu’il était Anglais. L’addition de l’expérience française (référence à l’histoire et à l’hostilité historique France-UK) et de la pratique parisienne (référence à la politique pro-US de UK) constitue dans certaines exceptions bien malheureuses une formule suggérant un cas d’école d’un acte de sottise politique. Le refus de la présidence Patten parce que Patten était Anglais relève, dans ce cas particulier d’une fonction européenne, d’une singulière absence de discernement au profit du préjugé. Placer un Britannique à la tête de l’Europe (pour en revenir au cas Blair et ne considérant que sa nationalité), dans un poste nécessairement contraint et aux pouvoirs contrôlés, représente au contraire une idée séduisante. Si l’on considère (assez justement, vu les habitudes britanniques de loyauté nationale) que ce Britannique représentera en bonne partie le Royaume-Uni, cela implique qu’en bonne partie le Royaume-Uni se trouvera impliqué dans une orientation européenne en n’ayant pas les pouvoirs d’une vraie présidence ; cela impliquera que le gouvernement britannique en place devra prendre des gants avant de refuser un engagement européen, ou faire des concessions ailleurs pour le refuser. (Cela implique d’ailleurs, comme dans tout arrangement de ce genre qui doit être l’arrangement d’une vraie coalition, — pas les montages américanistes où il y a le patron et les porteurs d’eau, — que le chef désigné devra prêter attention à ne pas prêter le flanc à l’accusation de favoritisme [pour son pays]. Ainsi, en 1918, c’est avec Pétain plutôt qu’avec Haig ou Pershing que Foch eut les pires difficultés. En 1944-45, Eisenhower était l’objet des critiques acerbes d’un Patton pour trop céder à Montgomery sur le théâtre européen.)

• Un Britannique à la présidence de l’UE, quoi qu’on en veuille, c’est le principe de la nation qui est renforcé parce qu’un Britannique défend naturellement ce principe ; par conséquent, c’est le renforcement de facto de l’idée bien française d’une Europe faite d’identités nationales affirmées. Et puisque l’on est nécessairement conduit à comparer les fonctions là où elles se ressemblent, — pour ce cas, futur éventuel “président européen” et président de la Commission, — il nous apparaît assez probable qu’une telle fonction nouvellement installée se trouvera inévitablement en concurrence avec la présidence de la Commission. Il est alors bon qu’un homme représentant une grande nation occupe cette fonction car c’est ainsi renforcer, dans ce cas de concurrence que nous évoquons, le principe national contre le “supranationalisme rampant” (image originale) de la Commission.

• Un Britannique à la présidence jouera vis-à-vis de ses mandataires le jeu habituel d’un Britannique : diviser pour régner. C’est-à-dire que, dans certains cas, il soutiendra la France contre d’autres. C’est préférable pour la France qu’une personnalité type-Barroso, pour reprendre l’analogie avec la Commission, qui est en général systématiquement anti-français.

• Un président de l’UE, Britannique ou pas, dépendra des nations. S’il est Britannique, il sera d’autant plus attentif aux positions des grandes nations, parce que les Britanniques ont évidemment dans leurs appréciations des choses la mesure de la puissance et qu’ils savent que les nations en sont l’émanation, et qu’ils savent lesquelles en sont l’émanation la plus forte. Si l’on peut espérer d’un tel président qu’il favorise les entreprises nécessairement structurantes de l’Europe, c’est-à-dire portant sur des matières régaliennes comme la défense, c’est notamment d’un Britannique qu’on peut l’attendre parce que le Royaume-Uni est le seul pays avec la France qui en ait une idée précise et justifiée.

• Enfin, la fonction reste la fonction, avec ses limitations. Même lorsqu’un homme prend du poids et de l’expérience à un poste européen sensible, comme Solana au poste de Haut Commissaire (sorte de ministre des affaires de sécurité), il n’en transforme pas les pouvoirs. Comme on l’a vu au G8, ces pouvoirs restent aux nations (cas de Sarkozy présentant à ses collègues son initiative sur le Kosovo d’un délai de 6 mois pour la question de l’indépendance, sans en avoir avisé Solana, ni l’avoir consulté bien entendu).

Dans tous les cas, ce penchant français/sarkozien décrit par le FT pour une candidature Blair s’accorde évidemment à l’importance que l’équipe Sarkozy accorde au Royaume-Uni, — quelle que soit la formule, Brown à Londres et rien d’autre ou Brown à Londres et Blair à Bruxelles. Tout ce que nous avons décrit ci-dessus est du domaine spéculatif, et rien, absolument rien n’en garantit une bonne fin. Simplement, ces possibilités existent avec un Britannique, qui n’existent avec aucun autre. Par exemple, l’idée fondamentale d’une tentative de nucléaire franco-britannique, avec prolongement européen évident, serait évidemment facilitée par un Blair président de l’UE.

C’est un bon principe : il vaut mieux tenir ceux dont on se méfie sous les feux des responsabilités et des engagements multinationaux, surtout lorsque les pouvoirs correspondants restent contraints. Dans le cas des Britanniques, toujours selon l’hypothèse que Blair-président représenterait de facto une présidence en partie anglaise, une telle situation les obligerait à jouer le jeu commun, quelles que soient leurs arrière-pensées. Cela donnerait aux Britanniques ce qu’ils n’ont jamais eu : une responsabilité européenne, en même temps que leur habituel jeu de dissimulation, de manoeuvre et de tromperie. Jusqu’ici, nous n’avons eu que la dissimulation, la manoeuvre et la tromperie. Ce serait plutôt de bonne guerre.


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