Un système à la merci de la crise de la psychologie

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Un système à la merci de la crise de la psychologie

11 mars 2006 — Les réactions américaines à la dernière, — et, semble-t-il, définitive, — péripétie de l’affaire DPW versus USA sont très extrêmes. Elles marquent aussi bien la gravité de l’affaire et sa dimension globale que l’extrême nervosité de l’opinion des experts américanistes. Ceci va avec cela, ou bien ceci explique cela.

Hors des constats immédiats, nous choisissons dans ce deuxième texte de commentaire de nous concentrer sur cette partie des commentaires américains qui offrent une généralisation de cette affaire. Nous cherchons à mesurer mieux son effet dans le système international en place. Le constat général est immanquable : il s’agit effectivement d’un effet dévastateur. Certains parlent d’un “tournant” et ils ont peut-être raison, — voire même un “tournant profond”, selon le mot du révolutionnaire Victor Serge.

Une lecture du texte de Jim Lobe d’aujourd’hui, « Mass Casualties in Collapse of Port Deal », est une bonne base de réflexion pour mesurer la tension générée par cette polémique. La distance entre les dimensions réelles de l’affaire, — importante mais tout de même pas essentielle, — et les conclusions qui en sont tirées est considérable. Les analyses portent sur rien moins que la viabilité du système américaniste (occidental), — le libre-échange et la globalisation, — au travers de ce qui est perçu comme un tournant fondamental. Quelques citations de Lobe, et des citations choisies par Lobe lui-même, font l’affaire pour mesurer cette situation de la perception.

• « Indeed, écrit Lobe, some analysts suggest that the deal's collapse will contribute mightily to a growing popular revolt both here and abroad against economic globalization and may even tip the balance in favor of economic nationalists against internationalists and free traders, who find themselves increasingly on the defensive in many Western countries. »

• Lobe cite The Weekly Standard et un auteur invité, Irwin Stelzer, directeur des études de politique économique au Hudson Institute: « This might be one of those turning points in economic and political affairs. In economics, we might be seeing the end of the era of free trade. In politics, we might be witnessing the reemergence of nationalism and its close cousin, protectionism. »

• La mise en cause concerne bien la globalisation et tout le système libéral: « The New York Times Friday pointed to recent controversies in Europe over foreign takeovers which, in light of the stalled European Union integration process, may be part of a broader trend. “It may be well part of a global backlash against globalization,” the paper quoted Michael Grenfell, a London-based international lawyer, as saying. “America could usually be relied on to champion free trade,” he said. “If that changes, things could get quite chilly.” »

Il importe de se détacher de la “réalité” quand il s’avère que cette réalité est pervertie au point de ne plus être que la réunion grossière de quelques débris de son apparence. Le fait de savoir si ce marché mettait ou pas en danger la sécurité des ports américains n’a qu’un intérêt très moyen puisque la question était envisagée par rapport au terrorisme international, dont la réalité est elle-même complètement sujette à caution. Phantasme pour phantasme, le débat est assez creux. Tout ce qui importe ici est le point de vue de la perception dans tous les sens.

Du point de vue du virtualisme lui-même, on nous joue “L’arroseur arrosé”. GW brandit depuis quatre ans la “guerre contre la terreur” (dernière version, circa 2006 : “the Long War”) ; on lui ressort la sécurité des ports US menacée par une société des ÉAU, nid de terroristes puisque certains des auteurs de 9/11 en étaient des nationaux. Que répondre à cette grotesque affirmation quand on s’appuie soi-même sur la grotesque logique de “the Long War”?

Par conséquent, le débat sur la sécurité des ports est un non-débat. Dans le champ ainsi libéré pour la réflexion fondamentale, on en vient très vite à l’essentiel.

Appuyés sur l’argument imparable de la “sécurité nationale” et sur la pression publique pour la défense des biens nationaux, donc doublement démagogues, les parlementaires s’en donnent à cœur joie. Mais cette double démagogie ne l’est que par rapport à une fiction virtualiste : les bienfaits de la globalisation et du libre-échange, chose effectivement vertueuse du point de vue des élites mais incomparablement obscène du point de vue des peuples qui voient chaque jour voler en éclats leur bien-être, leur sécurité, leurs traditions, leurs structures communautaires et ainsi de suite. Dans ce jeu à multiples faux miroirs, on parvient tout de même à des réalités, à des convictions qui s’appuient sur des situations réelles. D’où la fermeté extraordinaire d’une classe politique (le Congrès US) par ailleurs vertigineusement corrompue et donc à première vue totalement étrangère à la conviction vraie. Le paradoxe s’explique et se comprend.

Si la “sécurité” des ports par rapport à la “guerre contre la terreur” est une balourdise sans substance, la sécurité des ports par rapport à la perception de la fragilité nationale contre la globalisation est une très forte réalité, — peut-être la plus forte aujourd’hui, puisqu’elle parvient à bousculer méchamment le système qui a été bâti pour faire la promotion publicitaire de cette globalisation. Pour cette raison, le débat est sérieux. Pour cette raison, on laisse très vite de côté la question ports US-DPW pour en venir à la question de la globalisation.

On annonce des événements déstabilisants pour la fin mars. En voici un, imprévu, inattendu, comme toutes les choses importantes dans notre époque. C’est une bonne leçon : rien de ce qu’on est fondé d’attendre logiquement ne se produit nécessairement ; par ailleurs, tout peut arriver (y compris ce qu’on est fondé d’attendre) — mais surtout les pires attaques contre le système venues du cœur de la logique du système.

Une chose essentielle doit retenir notre attention : l’extraordinaire fragilité des convictions qui soutiennent les affirmations dogmatiques et idéologiques gouvernant sans la moindre concurrence notre temps historique. Les convictions de ces dogmatismes et de ces idéologies s’avèrent soutenues elles-mêmes par une hystérie de la psychologie qui est, elle aussi, et elle aussi paradoxalement, l’indice de cette même fragilité.

Le système complet de l’attitude politique est caractérisé par la fragilité. L’explication en est que les élites partisanes de la globalisation raisonnent toutes en se référant à l’univers virtualiste, dont le principal matériel est évidemment le mensonge. Ils sont tous conduits à se convaincre, en toute bonne foi (parfois sonnante et trébuchante, mais qu’importe), de la validité des mensonges sur lesquels ils s’appuie. Cet exercice de conviction forcée à propos d’artifices évidents d’une fausse réalité épuise la psychologie et la rend infiniment fragile. Lorsque la réalité pointe son nez, les convictions volent en éclats.

Ne nous demandez rien en matière de prévision monétaire, économique ou stratégique. Tout, aujourd’hui, se trouve dans notre tête. Notre système est aujourd’hui au bord de la rupture à cause de la fragilité des psychologies, pas à cause de la fragilité des réserves monétaires ou des artifices de la globalisation. Il est bien entendu, par ailleurs, que la fragilité des psychologies entraînera, dans la succession de crises nerveuse qu’elle suscite, les réserves monétaires, la globalisation et le reste.


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