Le JSF affole même les conservateurs britanniques

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Le JSF affole même les conservateurs britanniques


24 février 2006 — On a peu remarqué l’intervention à Washington, le 16 février, de Liame Fox, “Shadow Defence minister” chez les conservateurs. Fox faisait partie d’une tournée de trois jours à Washington, pour tenter de réparer des relations entre Washington et le parti conservateur britannique, paradoxalement compromises (les conservateurs, qui mènent leur travail d’opposition, ont reproché à Blair ses erreurs en Irak, ce qui n’a pas plus à Karl Rove, le mentor de GW Bush).

D’une façon générale, la visite des trois conservateurs (Fox, Hague et Osborne), tous trois “shadow ministers” dans le “cabinet fantôme” des tories, était une tournée de relations publiques très appuyées, avec encensement à répétition de l’administration Bush et des special relationships. Cela impliquait la bonne humeur collective permanente et les constantes félicitations britanniques et admiratives à l’intention des Américains. La surprise vient de ce que le discours de Fox a comporté un passage qui était pourtant très critique, voire menaçant pour les Américains. Il s’agit du JSF et de l’engagement britannique dans le programme.

La délégation conservatrice tenait à ce que cet engagement très critique fût connu, au point où elle en avertit les journalistes britanniques avant même le discours. Par exemple, le Guardian du 16 février annonçait, avant même que le discours fût prononcé et montrant par là qu’il en avait obtenu copie et les encouragements des conservateurs pour en parler : « Dr Fox, who is addressing the rightwing Heritage Foundation today, will urge Mr Bush not to scale back his commitment to the Anglo-American Joint Strike Fighter programme for a new generation of military jets. Dr Fox will warn that failure to press ahead with the JSF model designed for the Royal Navy's planned new aircraft carriers would undermine British confidence in the ‘special relationship’ with America. And he will urge Mr Bush to save a £1.4bn project involving Britain's Rolls-Royce to develop an alternative engine for the JSF, which the president scrapped from his budget for 2007. »

Le Times de Londres du 17 février a rapporté l’intervention de Fox une fois qu’elle eut été faite, dans le même sens que le Guardian, avec un peu plus de détails.

« The Shadow Defence Secretary also used his speech to challenge President Bush over plans to scale back a commitment to the Anglo-American Joint Strike Fighter (JSF) programme for a new generation of military jet aircraft.

» He warned that the move could undermine British confidence in the “special relationship” with America.

»  “This particular programme is of great importance to Britain. We are relying on the JSF variant for use on our planned new aircraft carriers. But this variant may apparently be cancelled. Those two supercarriers will be central to our ability to project our power and to protect our interests. Large sacrifices have been made elsewhere in the defence budget to afford them,” he said.

» If the project is scaled back, Dr Fox said that the ramifications would be profound. “Such an outcome would confirm in many people’s minds the mistaken idea that America cannot be relied upon to support us, even while calling upon our support to fight its wars.” »

L’intervention de Liame Fox est remarquable sur deux points :

• Le ton, on l’a dit. Le contraste est frappant avec toute l’orientation de la visite. Il y avait la volonté générale de la délégation tory de raccommoder les relations du parti avec les Américains, au besoin en manifestant un empressement un peu servile au niveau de la rhétorique. C’est de bon ton chez les Britanniques lorsqu’il s’agit des relations avec les Américains. Mais sur la question du JSF, changement complet. C’est d’autant plus remarquable que le JSF n’est pas une question de grande politique, dont il va de soi qu’elle serait soulevée dans une intervention sur les ‘special relationships’. Si la question est effectivement soulevée, c’est qu’elle est brûlante. On le savait mais le ton et l’orientation de l’intervention de Liame Fox nous apprennent que la question est vraiment très brûlante pour tous les Britanniques, tous partis confondus. Il y a, comme on dirait, union nationale sur la question. C’est une mesure décisive de son importance.

• Autre surprise, l’intervention est détaillée jusqu’à comprendre un développement sur deux points : les Américains doivent restaurer les fonds budgétaires pour le second moteur (Rolls-GE) pour la version ADAC/V (le F-35B). Ils doivent soutenir fermement le développement de cette version (F-35B), qui est celle de la Royal Navy autant que du Marine Corps. Si le premier point n’est pas une surprise, le second est par contre très inattendu. On pensait qu’avec la QDR 2005, le développement des trois versions du JSF n’était plus mis en cause — pour l’instant en tous cas, disons pour les trois ou six mois à venir, tant les choses changent vite sur cette question à Washington. L’intervention de Fox semble refléter une inquiétude nouvelle des Britanniques.

Des indications et des spéculations nous ont été communiquées officieusement après cette visite, sur les points précis mentionnés ci-dessus. Elles tendent à montrer que, dans le contexte qu’on a décrit, ces prises de position de Liame Fox décriraient une situation précise. Si Fox est intervenu de façon aussi appuyée et détaillée, c’est que le cas du JSF resterait plus que jamais en discussion serrée à Washington, malgré les lénifiants développements de la QDR ; c’est aussi que Fox (et les deux autres conservateurs) n’aurait pas été rassuré par ses contacts à Washington sur cette question du JSF, qu’il aurait même reçu des précisions inquiétantes.

Voici effectivement ce qu’il ressort de ces indications officieuses :

• Le sort du moteur Rolls-GE, scellé (abandon) dans le budget FY2007 de l’administration, est l’objet d’un débat virulent au Congrès. Dès les premières réunions du Sénat sur le budget du DoD, il est apparu que nombre d’élus voudraient restaurer des fonds pour le développement du moteur parce que GE est dans le coup. C’est une simple réaction de politique dite du pork barrel, la seule qui fonctionne au Congrès aujourd’hui sur la question de la défense : le moteur garantit un niveau d’activité de GE dans certains États et les élus de ces États veulent, par conséquent, que le programme soit restauré. Les Britanniques font un lobbying d’enfer au Congrès dans ce sens.

• L’administration Bush n’apprécie pas la réaction du Congrès, mais ne peut rien contre elle. Par contre, à propos de l’activisme des Britanniques au Congrès qui l’aurait mise dans une grande colère, elle peut beaucoup et ne s’en priverait pas.

• Cette mauvaise humeur combinée à la cause essentielle de la nécessité de faire des économies (contrairement à ce qu’annonce la QDR) aurait amené officieusement à l’examen de la remise en cause, à nouveau (il en a déjà été souvent question), de la version F-35B. Cette orientation est catastrophique pour les Britanniques : non seulement plus de moteur, mais plus de F-35B pour la Royal Navy, et la nécessité de se replier sur la version embarquée conventionnelle (F-35C) avec toutes les implications de coûts et les effets sur le futur porte-avions britannique qui est aujourd’hui dans une période cruciale (décision de lancer sa fabrication, coopération avec les Français, etc.) En fait, un abandon de la version F-35B mettrait les Britanniques dans la position d’envisager inéluctablement l’abandon du JSF. Le discours de Fox se nourrit de ces informations, qui lui auraient été communiquées, ou confirmées, dans les deux premiers jours de sa visite, avant son discours.

Conclusion sans surprise : dans les négociations-affrontement USA-UK sur le JSF qui alternent la carotte et le bâton, les Américains préfèrent l’usage du bâton. Même s’ils semblent avoir besoin d’eux pour le soutien du programme, ils ne prennent pas de gants lorsque les Britanniques tentent d’affirmer leur position. C’est une attitude typique des positions américanistes, notamment vis-à-vis des Britanniques. Il n’y aucune surprise à constater que l’affaire JSF continue et continuera à se développer en un calvaire de plus en plus insupportable pour les Britanniques. Au bout du compte, seuls les intérêts US interprétés par l’administration prévaudront.


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