Bolton à l’ONU, le loup dans la bergerie

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Bolton à l’ONU, le loup dans la bergerie

8 mars 2005 — C’est la surprise du printemps de George Bush, peut-être pour fêter le 20ème anniversaire de la fin de la Guerre froide (à un jour près : Gorbatchev est nommé secrétaire général du PC de l’URSS le 8 mars 1985, — la Guerre froide est finie). La nomination de John Bolton à l’ONU, à un poste-clé pour les affaires internationales depuis les événements (à l’ONU) de l’automne et de l’hiver 2002-2003, est une très forte indication de la continuité de la politique radicale (et unilatéraliste) de l’administration GW Bush.

Dès ces premières lignes, une hypothèse doit être avancée : outre le rôle général qu’on attend de lui, — ultra-dur, voire violent, dans les débats de l’ONU, à la fois contre l’Organisation et contre les pressions extérieures, — il est possible, sinon probable, que les Etats-Unis préparent avec un homme comme Bolton l’éventuelle venue de la question iranienne à l’ONU. Si les négociations entre Européens et Iraniens n’aboutissent pas, cette affaire pourrait effectivement être portée à l’ONU par les Américains à la fin juin, et l’on peut compter sur Bolton pour en faire une machine de guerre sans précédent onusien dans le registre de la violence.

En saluant Bolton, Condi Rice a eu des mots complètement extraordinaires. Saluer Bolton comme un “multilatéraliste efficace” (« He is a tough-minded diplomat, he has a strong record of success, and he has a proven track record of effective multilateralism ») ajoute une sympathique note de surréalisme à cette décision de l’administration GW. Mais le surréalisme est général puisque, hier également, Bolton déclarait que sa carrière montrait un « clear support for effective multilateral diplomacy ». Ces explications à couper le souffle montrent qu’à Washington on est attentif au reste du monde, et surtout aux Européens, pour leur faire des concessions. Dans ce cas, la concession est de dire que le coup de poing qu’ils (les européens) reçoivent n’est pas un coup de poing mais une caresse; qui peut quelque chose pour vous si une caresse vous met KO?

En effet, la nomination de Bolton est une douche froide sur les rares espoirs qui subsistaient, du côté des Européens, d’un deuxième mandat de coopération avec l’administration GW Bush. Bolton est un guerrier sans le moindre intérêt pour la pitié, l’arrangement, le compromis, qui plus est socialement insupportable et qu’il faudra pourtant supporter. (Les Nord-Coréens avaient, à un moment, rompu les négociations multipartites en cours à cause de Bolton dont ils réclamèrent le départ de la tête de la délégation US. Ils l’obtinrent.) Bolton est, à l’ONU, une bombe à retardement qui ne cache même pas son “tic-tac”: le présenter comme le mieux placé pour susciter une réforme en profondeur de l’ONU suggère quelle sorte de réforme les Américains ont en tête. Bolton va à l’ONU pour casser l’ONU, comme il a été à la tête du service du département d’État sur la prolifération des armes pour casser les différents cadres de traités et d’accords sur ces armes. Ceux des Européens qui ont travaillé et négocié avec Bolton durant les dernières années en portent témoignage : avec Bolton, traités et accords étaient littéralement vidés de leur contenu par la technique de l’obstruction, de l’absence, du refus pur et simple, de l’indifférence, du sabotage, de l’invective, etc.

Les Britanniques (The Financial Times (FT) de ce matin) interprètent la nomination de Bolton comme le signe d’un renouveau d’optimisme dans l’administration GW et en Amérique, parce que la démocratie triomphe partout depuis quelques jours (les événements historiques se mesurent en heures et jours, pas plus, ces temps derniers). C’est bien là l’état de la pensée britannique, qui s’arrête aux considérations tactiques sans se risquer aux considérations stratégiques (que ne devrait-on dire, si l’on s’y risquait, des sacrifices de la souveraineté britannique sur l’autel des special relationships ?). Voici donc l’essentiel de la pensée britannique :

« President George W. Bush will give “an update” on the war on terror on Tuesday at the National Defense University, a speech intended to reinforce his argument that the Iraq war has served as a catalyst for democratic change across the region. “We're seeing the spread of freedom throughout parts of the Middle East,” the White House said on Monday, previewing Tuesday's speech.

» When Condoleezza Rice took over as secretary of state at the beginning of the year, Mr Bolton's departure from the State Department was seen by some as evidence the Bush administration was seeking to adopt a less ideological approach to foreign policy. But the diplomatic line-up, exemplified by the nomination of Mr Bolton, reflects an administration feeling renewed confidence about the president's “liberty doctrine”.

» News last week that the White House has been considering Paul Wolfowitz, the deputy defence secretary and a neo-conservative hawk, as a candidate to head the World Bank further illustrates the spirit of international outreach in Mr Bush's second term. »

Bien entendu, tout cela est hautement contestable. Le discours d’inauguration sur “le feu dans les esprits” date du 20 janvier, avant le “triomphe” de la démocratie en Irak, et il maintenait pure et dure la ligne néo-conservatrice, il l’accroissait même, il l’élargissait, montrant ainsi que la pensée-GW dépassait celle de ses inspirateurs initiaux. De même, tout l’appareil neocon est resté en place (sauf le départ de Feith) depuis la réélection, durant le soi-disant “passage à vide” de la pensée révolutionnaire de GW, tel que le FT nous le décrit implicitement. Tout cela est de l’analyse tactique, sophistiquée mais sans substance. La réalité est que GW n’a jamais changé, son administration non plus. La tactique, c’est lorsque GW se rend en Europe et mesure les limites de son pouvoir et de ses capacités en étant obligé de céder du terrain.

La réalité washingtonienne, c’est plus que jamais et comme toujours depuis le 11 septembre 2001 la pensée neocon/GW améliorée par GW, les éditoriaux dithyrambiques, la démocratie portée au pinacle comme la nouvelle religion américaniste, la volonté d’interventionnisme affirmée plus forte que jamais; tout cela dans le champ virtualiste, bien entendu, puisque les moyens (militaires) n’existent plus et que la démocratie américaniste comme solution aux problèmes mondiaux n’est là que pour attiser les incendies du désordre mondial. La promotion de Bolton pour venir paralyser l’ONU par la terreur est la dernière trouvaille de cette “ligne” implacablement poursuivie.

 

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