Vers un débat “hagélien” à Washington

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Vers un débat “hagélien” à Washington

De très nombreuses sources, de très nombreux articles annoncent comme acquise la nomination de Chuck Hagel comme secrétaire à la défense, en remplacement de Leon Panetta. Le président Obama annoncerait la chose au début de la semaine prochaine. (Dans une interview, dimanche dernier, sur la chaîne NBC, Obama avait répondu à une question sur Hagel par des propos flatteurs, qui laissaient penser que l’ancien sénateur du Nebraska était toujours considéré pour ce poste, malgré la campagne furieuse lancée contre lui : «I've served with Chuck Hagel. I know him. He is a patriot… […] He is somebody who has done extraordinary work both in the United States Senate, somebody who served this country with valor in Vietnam. And is somebody who's currently serving on my intelligence advisory board and doing an outstanding job.»)

Le site The Daily Beast, parmi de très nombreuses autres sources, a un article annonçant la nomination de Hagel, ce 4 janvier 2013 : «After averting the fiscal cliff by reaching a deal with Republican leaders on New Year’s Eve, President Obama appears set to wade into a new fight with Congress next week by nominating former Nebraska GOP senator Chuck Hagel to be the next secretary of defense. Key Democrats working closely on the nomination process tell The Daily Beast that the president is expected to announce the Hagel selection Monday or Tuesday. These sources also say Obama did not decide on Hagel until this week, after weighing Ash Carter, the current deputy secretary of defense, and Michèle Flournoy, a former No. 3 at the Pentagon, for the job. […]

»Steve Clemons, a senior fellow at the New America Foundation and friend of Hagel’s, said, “I think the fundamental issue is the White House has a number of compelling candidates that it could have chosen, that it has elected to bring someone who is the first combat veteran in over 30 years to head the Pentagon.” […] Clemons said he expects Hagel will meet with members of the pro-Israel and gay-equality communities to address concerns these groups have had about him. Overall, Clemons said he is pleased Obama is going with Hagel. “This shows a maturity and resolve of the president to pick someone based on core rationale as opposed to blowing with the winds,” he said. “The fact that Obama is willing to take on some of the communities that have expressed concern shows the president is maturing and becoming more self-confident in his national-security and foreign-policy vision.”»

Ces appréciations de Clemons, vieil ami de Hagel et partisan modéré d’Obama, trahissent ses positions. Clemons considère cette nomination de Hagel par Obama, malgré le fantastique tir de barrage contre Hagel, comme un signe indubitable de la résolution d’Obama d’apporter des changements sérieux dans sa politique extérieure. C’est effectivement une interprétation.

Une autre interprétation (en notant que les deux peuvent cohabiter, restant à voir laquelle est prépondérante) est à peu près inverse. Elle est donnée dans une simple remarque de The Hill, du 4 janvier 2012 : après le retrait de la candidature de Susan Rice à cause de l’opposition des républicains, Obama ne pourrait se permettre une seconde dérobade qui serait une seconde défaite dans ce champ des nominations aux postes essentiels de sécurité nationale. («Obama faced the potential loss of a second national security selection if he did not pick Hagel, as U.S. Ambassador to the United Nations Susan Rice took herself out of consideration to be the next secretary of State amid an avalanche of criticism from Republicans over the attacks in Benghazi, Libya.»)

L’on sait que, sans évidemment chercher à prévoir avec certitude telle ou telle issue ni même en favoriser nécessairement aucune, nous ne sommes pas vraiment favorable à la thèse selon laquelle Obama soutiendra et imposera Hagel jusqu’au bout et contre vents et marées. Il n’y a là, bien entendu, de notre part, aucun doute sur la qualité d’un Hagel, non plus que sur l’intelligence d’un Obama, mais des doutes sans cesse grandissants depuis quatre ans sur le caractère d’Obama et sa capacité à affronter ce qui, en cet instant et en cette circonstance, représente et représentera le Système (le rassemblement tonitruant, caquetant et relativement inattendu des neocons, des républicains va-t-en-guerre, des purs et durs défenseurs des droits des gays et ainsi de suite).

Il existe bien entendu toujours des avis pessimistes sur l’issue de la nomination, y compris de la part de partisans de Hagel, comme Arnaud de Borchgrave (UPI, le 4 janvier 2013) : «The AIPAC-orchestrated campaign via its neo-conservative yeomanry is now the hot favorite among odds-makers. But then there is the unknown among unknowns – and the unknown unknowns. It is still AIPAC vs. Obama and the odds-on favorite? AIPAC…» Si cette perspective est démentie, Obama aura droit à un satisfecit, sans pourtant aucune certitude que la nomination confirmée et effective de Hagel change beaucoup de choses à la situation de paralysie et d’impuissance caractérisant les principales forces du Système, le Pentagone en premier ; simplement parce que personne, fût-ce un Hagel, ne peut prétendre parvenir à accomplir une telle tâche.

Mais nous n’en sommes pas encore là, bien entendu, ni même sur les spéculations concernant l’attitude de Hagel s’il devenait secrétaire à la défense (aurait-il tendance à modérer ses conceptions pour ne pas trop attiser les attaques contre lui, ou bien au contraire les appliquerait-il sans aucune attention pour ces attaques ?). Si la nomination est confirmée la semaine prochaine va s’ouvrir une nouvelle bataille de très grande intensité à Washington, autour de la nomination de Hagel, entre d’une part ses partisans recrutés dans une partie importante de l’establishment, et même des forces hors-establishment (comme Justin Raimondo, acharné pro-hagélien, quasi philosophiquement comme le sollicite l’expression, comme on le lit encore ce 4 janvier 2012), dans l’administration Obama bien sûr, chez certains alliés, voire du côté russe qui aimerait bien voir un Hagel un Pentagone ; et, d’autre part, la coalition absolument hétéroclite que l’on sait, – les progressistes “sociétaux” défenseurs de la nouvelle identité sociale et politique des gays du côté démocrate essentiellement, d’autre part la nébuleuse archi-connue des neocons, AIPAC et tous les domaines hystériques du pro-likoudisme à Washington, avec en second rideau Netanyahou et ses longues plaintes sur les dangers courus par Israël… (Cette “coalition” est d’une extraordinaire stupidité par nombre de ses circonstances, montrant dans quels pièges le Système peut conduire ceux qui, montrant par ailleurs un esprit remarquable, se laissent aller à l’une de ses sollicitations. Ainsi de Barney Franks, démocrate de gauche et homosexuel, qui fut longtemps un complice remarquable de Ron Paul sur les questions financières, de dépenses militaires, etc., et qui se retrouve aujourd’hui dans le camp anti-Hagel, avec la possibilité de jouer un rôle prépondérant… «Former Rep. Barney Frank (D-Mass) — who lobbied Friday to be named as Sen. John Kerry’s (D-Mass.) interim replacement — said Monday he was “strongly opposed” to Hagel as defense secretary. Obama nominated Kerry as the next secretary of State in December.»)

La bataille sera terrible, avec les deux factions Congrès-président dans des situations incertaines, tant le récent accord sur la “falaise fiscale” n’a représenté qu’un piètre match nul avant une reprise très rapide des hostilités. Par conséquent, les remarques que nous faisions le 15 décembre 2012, en envisageant les différentes phases de la nomination de Hagel, restent valables pour ce que nous nommions la “phase 3” (Hagel nommé et passant devant le Congrès pour être confirmé)… Plus que jamais valable tant, entretemps, les esprits se sont échauffés.

«C’est l’hypothèse intermédiaire impliquant que BHO tient à Hagel et que Hagel tient à ce poste et à se battre pour l’avoir s’il le faut. (Hypothèse excluant une situation où un homme honorable malgré le Système comme le serait Hagel ne résiste pas au dégoût qui touche parfois cette sorte d’âme, dont il aurait une pleine cargaison lors des auditions si l’opposition se déchaîne, et abandonne la lutte ; comme le disait Charles Chas Freeman à Russia Today le 9 décembre 2012, lorsqu’on l’interrogeait sur les raisons qui l’avaient fait renoncer à toute action politique à Washington : «We can’t even pass a budget. We can’t even address our fiscal imbalance. We don’t address any of our fundamental questions of foreign policy; we continue to do more of the same. In this circumstance, the chance that one individual could make a real difference is not very great, and I am happy cultivating my garden.»)

»Dans ce cas Hagel se trouve devant ses anciens pairs du Sénat, alors que se déclencherait contre lui une campagne de diffamation et de dénigrement, certains de ses pairs la relayant lors des auditions. Hagel n’est pas tombé de la dernière pluie et il en connaît un bout sur ses collègues et sur les pratiques type-AIPAC et le reste. Il y a alors une forte possibilité qu’on assiste à des auditions où certaines vérités sévères seront échangées, où même certains aspects de la politique-Système en cours seraient violemment débattus et mis en question, avec des attaques venimeuses et diverses. Quel que soit le résultat de cette saga, le Système en sortirait amoindri par le spectacle de division qu’il aurait montré et, peut-être, avec un peu de chances, l’exposition publique de certaines infamies.»


Mis ebn ligne le 5 janvier 2013 à 11H56