Un bonus trop loin, – pour Wall Street ou pour BHO?

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La fureur déclenchée à Washington et dans tout le pays par l’affaire des bonus de AIG pourrait éventuellement constituer un tournant dans la crise aux USA. On connaît le principe, qui renvoie aux plus saines et morales pratiques du capitalisme financier: $165 millions de bonus, la plus récente tranche, en cours de paiement depuis vendredi dernier à des employés et des dirigeants de AIG pour 2008, pour les récompenser de leur travail, notamment à l'été et à l'automne dernier, alors que le géant de l’assurance s’effondrait, qu’il était “nationalisé” à l’américaine, – c’est-à-dire bénéficiant sans aucun contrôle du gouvernement d’une aide express, puis d’une autre et d’une autre, et ainsi de suite, pour un total qui doit approcher les $170 milliards.

Le vrai est que nous avons de la peine à suivre tous ces montants d’aide publique sans le moindre contrôle et laissée à la discrétion de la moralité laborieuse des gens de Wall Steet, avec pour résumer notre propos et notre réaction une idée un peu dans le genre (comme Joseph Staline disait des morts): “$1.000 c’est de l’argent, $170 milliards c’est de la comptabilité”; enfin, nous repliant sur la remarque que tout cela prête à sourire avec un air incrédule, comme devant une énorme caricature de la vie courante de la crise à Wall Street, comme pour dire: “Allez, il ne faut pas trop exagérer, tout de même”... Et puis, il y eut les $165 millions de bonus.

Résumé des chapitres précédant la découverte de l’horrible pot aux roses, d’après le rapport de CNN du 17 mars:

«AIG came under attack in October when it spent hundreds of thousands on a retreat for executives after it accepted the billions in bailout funds. AIG maintained that most of the event was paid for by the participants and partners at the conference.

»AIG, which has more than 74 million insurance policies issued in 130 countries around the world, lost a record $62 billion in the fourth quarter of 2008. After reporting the losses, AIG received another $30 billion from the Treasury Department.»

Une autre précision nous est donnée par le Wall Street Journal, via WSWS.org, le 16 mars : «According to the Wall Street Journal, AIG International is paying out $450 million in bonuses to executives at its London-based subsidiary AIG Financial Products, which was primarily responsible for the company's staggering $99.3 billion loss in 2008.»

Poursuivons donc avec l’étape fatale, – “et puis, il y eut les $165 millions de bonus”. Le même rapport de CNN examine les conséquences politiques de cette affaire, qu’il juge très importante, au point de l’apprécier éventuellement comme un tournant politique pour Barack Obama.

«The American International Group debacle could be setting President Barack Obama up for trouble, should his administration try to move forward with additional bailouts. Echoing the sentiment of taxpayers, the president on Monday called the ailing insurance giant's plans to dole out $165 million in bonuses an “outrage” and said he would attempt to block the additional compensation. […]

»David Gergen, a senior political analyst for CNN, said the AIG controversy could be a “turning point” in Obama's efforts for bailouts “in the sense that this is igniting so much public anger.” “I think the president is in an awkward position, because he wants and he may need to continue bailing out big banks, big institutions, the car companies. But there's so much anger over this that people may say: ‘The hell with it. I don't care what happens to these people. Let them go. They are abusing us. They're taking our money and exploiting it,’” he said.»

Effectivement, la colère est générale. On entend des sénateurs républicains (Charles Grassley) s’écrier, dans un premier élan, que les patrons d’AIG devraient faire comme les patrons japonais coupables d’erreurs de gestion ou de fraude, c’est-à-dire faire hara-kiri. (Grassley est, depuis, un peu revenu sur ses déclarations, sans doute effrayé par l’archaïsme de sa suggestion qui ne prévoit même pas l’usage d’armes à feu américanistes.) Le chef de la minorité (républicaine) au Sénat, McConnell, reproche au gouvernement de n’avoir pas établi une surveillance et un contrôle de la direction d’AIG lors de la dernière gâterie ($30 milliards) donnée, en janvier, à l’assureur-géant soi-disant “nationalisé”. Venues de la part des républicains, ennemis jurés traditionnels de toute forme d’interventionnisme, de contrôle public sur les entreprises dites “nationalisées” comme sur les entreprises privées, ces observations sont piquantes et nous indiquent que ces mêmes républicains ne reculent devant aucun sacrifice en fait de culot et d’impudence.

«Referring to the AIG bonuses, [Mitch McConnell] said, “Many of us expressed absolute outrage. And yesterday, the White House joined that chorus and promised to do everything possible to get the taxpayers' money back. I appreciate their efforts. However, it would have been better if this pledge included action two weeks ago when the Treasury agreed to give AIG another $30 billion in taxpayer money. Wouldn't the Treasury and the taxpayer have had more leverage over AIG's executive contracts before providing another $30 billion in taxpayer money rather than allowing the bonuses to be paid with taxpayer money?»

La colère est aussi très forte dans la population. Le projet d’une nouvelle aide massive de l’administration au secteur bancaire apparaît ainsi de plus en plus difficile à présenter au Congrès. C’est un problème qui ne cesse de s’aggraver pour Obama, qui base sa stratégie sur un renflouement du secteur bancaire, qui lui est demandé par l’establishment financier et économique. (Les prévisions optimistes de Bernanke sont assorties effectivement de cette condition.) D’une façon plus générale, c’est tout le principe de l’aide publique massive telle qu’elle est actuellement pratiquée qui est mis en question, notamment par les républicains, qui étendent leur critique aux autres formes d’aide de l’administration.

De cette façon, Obama se trouve de plus en plus en position difficile par rapport à ses positions intérieures et internationales, dans ce domaine de la lutte contre la crise. Son affaiblissement intérieur pèse sur sa position internationale, l’affaiblissement de sa position internationale renvoyant à son tour à un affaiblissement de sa position interne.

• Dans le désaccord entre l’UE et les USA dans la perspective du G20, les Européens se trouvent renforcés dans leur interprétation critique des incitations de l’administration US pour qu’eux-mêmes décident des aides publiques supplémentaires («The Americans are only asking us for money because they haven’t got the guts to ask Congress for it»).

• Au contraire, les Européens peuvent juger d’autant plus justifiée, devant le cas AIG, la priorité qu’ils mettent dans la mise en place d’une régulation et d’une “police” des diverses pratiques bancaires. L’affaire des bonus de l’AIG tend alors à devenir un symbole et un exemple plus qu’un “accident”, révélateurs de pratiques de moins en moins tolérables, et un symbole et un exemple qui peuvent compromettre tout une politique de lutte contre la crise et de redressement.

Tout cela finit pas peser négativement sur la popularité d’Obama. Le 16 mars, le PEW Research Center signalait le résultat de ses enquêtes régulières: en mars, le pourcentage de popularité d’Obama (opinions favorables) est tombé à 59% (64% en février), essentiellement à cause de sa politique de lutte contre la crise.

Malgré des affirmations volontaristes et des initiatives assez radicales face au système (le budget, son action au Pentagone), Obama reste encore prisonnier d’une perception contradictoire au niveau de son action contre la crise; le populiste le cédant, dans ce cas dans l’esprit du public, au soutien de Wall Street. Cela n’est qu’en partie vrai, quand on voit l’héritage incroyable de l’administration Bush à cet égard; peu importe, pour se dégager de cette perception injuste et éviter une perte de popularité qui risquerait de devenir un problème, pour l’application de sa politique anti-crise mais aussi dans sa position face au système, Obama va très vite se trouver devant le choix de se radicaliser beaucoup plus qu’il ne l’a fait. Ce choix pourrait se présenter très rapidement.

Actuellement, avec l’affaire des bonus d’AIG, c’est le désordre et les incohérences grotesques du système US qui prennent (reprennent) le dessus sur la crise économique elle-même, tout en l’accélérant. Cela signifie que les réactions publiques, jusqu’ici contenues à la fatalité de la crise, pourraient effectivement se transformer en colère contre une réalité cette fois précisément identifiée, une réalité spécifiquement américaniste, – le système lui-même.


Mis en ligne le 18 mars 2009 à 14H55