Ullman-Diogène cherche un leadership

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Ullman-Diogène cherche un leadership

Notre vieux compère et néanmoins grigou Harlan Ullman, qui est une de nos références courantes depuis qu’il identifié la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, ou politique-Système, ne pouvait manquer d’utiliser sa tribune de UPI pour nous donner son analyse des USA durant et après la crise du government shutdown. Il le fait le 23 octobre 2013, avant que ne lui soit connue l’ampleur de la fureur alliée (bloc BAO) et autres en conséquence de la crise NSA/Snowden et des commentaires accompagnant ce paroxysme crisique, notamment sur l’isolement des USA et l’affaiblissement dramatique du leadership US qui l’accompagne (voir le Guardian du 25 octobre 2013). Ce dernier aspect, de complète actualité, alimente évidemment et renforce le propos d’Ullman en adjoignant un volet extérieur à une réflexion qui ne concerne que l’aspect intérieur du problème considéré.

Ce qui est remarquable dans cette chronique de cet observateur expérimenté des caractères et de l’évolution de l’establishment, membre renommé de l’establishment lui-même, c’est l’espèce de confusion qui s’en dégage. En fait la question, pour Ullman, est de trouver comment transmuter son analyse qui pourrait être dans sa logique finale que les USA sont perdus, finished, etc., en une option d’une chute lente et d’un atterrissage “en douceur” des USA dans une situation qui, malgré la marginalisation qu’elle implique, sauverait l’essentiel qui est le système de l’américanisme et l’unité du pays. Ainsi commence-t-il par une sorte de prospective qui ressemble plutôt à une prière déguisée, ou à un vœu qu’on pourrait aisément qualifier de “pieux”, tout cela appuyé sur la magie entêtée de l’exceptionnalité du système de direction politique (check & balance).

«A political system of checks and balances unable to compromise won't become as defunct as the old Roman Empire or the Soviet Union. Rather than fall or implode, the United States will simply become less relevant. Unless the ship of state is righted, U.S. global leadership will be increasingly ignored, downgraded or barely tolerated. The United States will still remain the world's strongest economic and military power. However, translating that power into effective and relevant leadership to protect U.S. interests will be far more difficult...»

Pourtant, en développant son analyse et en envisageant différentes prospectives, Ullman semble comme un papillon attirée de l’extérieur par une lumière intérieure et qui se heurte continuellement à une vitre invisible séparant les deux espaces. Il convoque le précédent soviétique, sans aucune retenue de conformisme américaniste pour ce parallèle implicite entre URSS et USA, tout en soulignant son échec («Gorbachev introduced glasnost (openness) and perestroika (restructuring). The combination was fatal. [...] the Soviet Union dissolved»). Pourtant il n’a pas l’air de repousser la recette pour les USA, tout en constatant, avec une déception qui pourrait sembler paradoxale, – puisqu’ainsi les USA ne se “dissoudraient” pas  ! – qu’elle ne peut fonctionner avec les USA à cause de pesanteurs paralysantes ; donc, les USA pires que l’URSS malgré le paradoxe ... «The United States could surely use a large dose of openness and restructuring to its political system. Unfortunately, money and politics make bad bedfellows. Continuous pursuit of dollars for campaign financing abuts against every principle of good government.»

Après diverses considérations, il en vient, ou en revient à la crise du shutdown, pour constater 1) que personne ne peut résoudre le problème de la dette, 2) que la crise a abouti à une victoire trompeuse d’Obama, l’encourageant à ne rien faire en attendant la destruction du parti républicain, 3) que cette destruction n’aura pas lieu et que l’on en restera, ou on en reviendra à un gouvernement divisé, c’est-à-dire pas de gouvernement du tout ... La seule solution proclame Ullman, c’est un leadership qui ne peut venir que du président, et ce leadership devant notamment s’affirmer en proclamant que la situation est grave et qu’il faut s’atteler à la prendre en main ; mais, poursuit-il, la dernière fois qu’un président s’y est essayé, – Carter en 1979, – il a été balayé et a perdu les élections ... Obama ne se jettera pas dans ce piège et n’appellera pas à cette mobilisation au nom du pire et pour sauver le pays ; pourtant il faudrait qu’il le fasse ; mais d’autre part, qui l’écouterait ? Pourtant il faudrait que quelqu’un assure ce foutu leadership...

«The debate over the debt ceiling and ludicrous Tea Party arguments that the United States could weather any financial storm smacked of King Canute attempting to stop the oceans. And sadly, the temporary measure that defers tough debate isn't governing. It isn't even crisis management. It is an admission that the system no longer works.

»Meanwhile, the White House sat back relishing the self-destruction of the Republican Party as its favorability ratings sunk like iron weights. The prize is 2014 and winning the House of Representatives. So why exert leadership and get drawn into this unpleasant process? The country will get through this debacle. Republican fortunes will improve. And divided government – which means no government – will remain the order of the day.

»Can anything be done? Obviously, a bold, charismatic and forceful leader could emerge from the ashes. And tomorrow we can all be rich. Commissions won't work and the inertia of the political status quo made even more ponderous by gerrymandered electoral districts and irrational campaign financing laws will block any disruptive change. Popular movements from Occupy Wall Street to Vietnam-era protests to change government have little effect. There is only one way out of making mourning for the United States a permanent part of our society: Leadership.

«The president must lead. And he must convince members of both houses of Congress of their responsibility and sworn oath to the Constitution, not political parties, fundraisers or interest groups. This isn't President Barack Obama's long suit. Persuading experienced and cynical politicians such as Harry Reid, Mitch McConnell, John Boehner and Nancy Pelosi to rise above ideology and mutual animosity toward each other to pursue the greater national good returns us to King Canute.

»There is no other feasible answer than leadership. On its current course, the United States is foreswearing its leadership role politically, economically, strategically and morally. That won't come out well for anyone. For example, what happens when the U.S. dollar is no longer the world's reserve currency and the Federal Reserve cannot print our way clear of recession – a very possible long-term outcome of this gridlocked situation? One possibility is that the United States has enjoyed its finest hours. Now, it must return to Earth hopefully more safely than Icarus who flew too close to the sun and perished in the fall.

»When Jimmy Carter tried to persuade the country it was on the wrong course, the speech marked the end of his presidency. Obama will avoid that trap like death. Yet, without presidential leadership, the United States is in grave trouble. But who will listen? And who will lead ?»

On observera que les diverses interventions de Ullman que nous avons signalées dans le passé étaient toujours de tonalité catastrophique aux dépens des USA, dont il est un observateur très pessimiste, – c’est-à-dire bien informé. Ce discours correspond au tempérament d’Ullman, à son analyse générale, à sa vigueur d’interprétation. Ce qui est intéressant, c’est de rappeler tout cela en lisant ce texte qui, contrairement à l’ordinaire, est embarrassé, contradictoire, presque incohérent dans ses tentatives prévisionnistes ; Ullman va même jusqu’à laisser transparaître un regret évident dans le constat que les mouvements de protestation du temps de la guerre du Vietnam ou la vague récente des mouvements Occupy n’aient donné aucun résultat au niveau d’un changement de gouvernement, ce qui fait beaucoup pour un membre honorable de l’establishment.

L’évolution du jugement de Ullman est bien dans le constat que rien ne peut venir du gouvernement lui-même et du personnel tant de l’exécutif que du législatif, et que rien d’extérieur à ces cercles fermés n’est assez puissant pour les faire changer ... Ni une réforme gorbatchévienne ni une contestation populaire radicale ne peut rien contre un pouvoir complètement bloqué, incapable d’assurer une tâche minimale, même de simple “gestion de crise”. Rarement a transparu autant ce constat d’impuissance devant ce que nous nommons le Système, avec comme principales victimes de son poids paralysant produit par sa dynamique d’autodestruction ceux-là mêmes qu’on désigne d’habitude comme étant à son service. Quant à évoquer des manœuvres politiciennes, des pressions de divers centres de pouvoir pour s’assurer du pouvoir central, les divers Wall Street, NSA, complexe militaro-industriel, etc., Ullman en est à mille lieues. Il constate rien de moins que la dissolution du pouvoir américaniste, en regrettant implicitement, – c’est le mieux et le moins qu’il puisse faire, – que plus personne ne soit capable d’utiliser avec profit la belle mécanique originelle du check & balance.

Ullman n’annonce pas la catastrophe finale de l’effondrement comme il lui arriva de suggérer dans certains de ses précédents textes, il en est réduit, inconsciemment, à la décrire en train de se faire, sous la forme de cette dissolution, de cette implosion silencieuse, de cette agitation sans le moindre sens et le moindre gain que ce soit qui secoue Washington. Son analyse, toute confuse et presque incohérente qu’elle soit, reflète bien le véritable état des psychologies à Washington après la crise du shutdown (nous disons bien des psychologies qui enregistrent les réalités de la perception, et non des jugements qui se forment et s'émettent après avoir fait le plus souvent intervenir le tamis du conformisme-Système). Bien peu de commentateurs de l’intérieur du Système, quand il y en a, nous le disent ; Ullman, au moins, nous le dit indirectement, par défaut... Après l’avoir lu, nous ne sommes pas plus avancés, mais nous savons au moins que nous ne sommes pas les seuls, et que plus rien n’avance. Diogène cherchait un homme, Ullman cherche avec sa lanterne désabusée les dernières poussières des derniers reliefs d’un «gouvernement aussi parfait que la raison humaine peut le concevoir», – selon Germaine de Staël dans une lettre à son ami Jefferson, en janvier 1816.


Mis en ligne le 26 octobre 2013 à 16H46