Trump-Varoufakis et la logique catastrophique des convergences

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Trump-Varoufakis et la logique catastrophique des convergences

Il n’y a pas très longtemps, puisqu’il s’agit d’un texte du 31 juillet 2015, nous relevions le fait, – que nous voulions “objectif”, c’est-à-dire sans nous interroger sur les parti-pris, les idéologies, les engagements des uns et des autres, – que le Système produisait de plus en plus de “dissidents officiels“, notamment à cause des contraintes que ses narrative, et surtout la dynamique de la logique du déterminisme-narrativiste imposent aux psychologies jusqu’à devenir insupportable à certains... Nous concluions de cette façon :

«Sans qu’il soit nécessaire de parler de “révolte” ou d’“insurrection”, de démission fracassante, de mise en cause sans retour, de rupture tonitruante, de “coup de communication” mûrement préparé, au contraire selon une dynamique parfaitement restée dans les règles, ce qu’on voit marque essentiellement une évolution des vérités de situation (mise à sac de la Grèce, schizophrénie à Kiev-la-folle) qui fait que le simple exercice de leurs fonctions par des “officiels” du Système conduit à mettre ces “officiels” en confrontation directe avec le Système, sans pourtant qu’ils perdent complètement ou en partie leurs statuts. L’on va même jusqu’à envisager des procès-guignols contre eux où serait exposé, s’ils ont lieu, le désordre extraordinaire où baigne le Système, et ces procès toujours selon l’ivresse de vengeance du Système après que son hybris se soit heurté à une résistance. C’est un grand progrès par rapport à l’ère Snowden. Désormais, le Système, englué avec toute sa surpuissance dans les marais furieux de ses contradictions construites sur des narrative comme l’on dirait “sur du sable”, produit directement, toujours aussi furieusement, des antiSystème directement issus de ses rangs. Comme l’on dit fameusement, camarade, on n’arrête pas le progrès...»

Dans ce texte, nous évoquons les voyages en Crimée de parlementaires français aussi bien que certains avatars de l’ancien ministre grec Varoufakis, pour avoir révélé certaines vérités extrêmement désagréables sur le fonctionnement de l’Eurogroupe. Par contre, nous ne disions pas un mot de Donald The Donald Trump ; nous allons poursuivre en parlant de lui, avant de revenir à Varoufakis pour constater que nous parlons du même sujet évoqué dans le texte auquel nous faisons référence.

The Donald est sans aucun doute un très étrange et déroutant personnage, sur lequel il est bien difficile de se faire une opinion arrêtée, et dont on comprend aisément qu’il puisse être considéré comme détestable. Nous avons déjà observé combien sa popularité reposait sur tout ce qu’il n’était pas, bien plus que sur tout ce qu’il est (voir le 13 août 2015), et le phénomène remarquable est que cette popularité “par défaut” s’installe dans la durée, ne s’affaiblit pas malgré sa propre faiblesse, évidente dans cette forme même de popularité toujours perçue comme éphémère ... Quoi qu’il en soit, effectivement, cette popularité augmente, et nous voulons nous arrêter ici à Justin Raimondo, qui est un commentateur expérimenté, d’obédience libertarienne très affirmée, extrêmement expérimenté, etc.

Le 12 juillet 2015, Raimondo mettait en ligne un texte sans la moindre concession sur Trump, dont il faisait un candidat-bidon, sinon un candidat-faussaire, un candidat-trompeur, – non, mieux encore puisque tout le monde emploie l’expression, un candidat false flag destiné (en divisant les républicains, voire en devenant un troisième candidat) à faire gagner Hillary Clinton, la pétulante neocon, le pire de tous les cauchemars qu’entretient Raimondo. Officiellement, c’est-à-dire d’une manière explicite et substantivée, il n’a pas changé d’avis ; néanmoins il est bien révélateur d’une évolution au moins souterraine (exactement un mois plus tard, le 12 août 2015), le passage qu’il consacre à Trump dans le compte-rendu qu’il fait du débat que Fox.News a organisé avec les candidats majeurs du parti républicain, où l’on trouvait Trump malgré la haine féroce et digne du “déchaînement de la Matière” que lui voue la chaîne TV de Rupert Murdoch.

«The one intrusion of reality into these proceedings was – naturally – provided by The Donald, who sidestepped a question about his position on healthcare by saying: “First of all, I’d like to just go back to one. In July of 2004, I came out strongly against the war with Iraq, because it was going to destabilize the Middle East. And I’m the only one on this stage that knew that and had the vision to say it. And that’s exactly what happened.”

»Baier : “But on ObamaCare…”

»TrumpAnd the Middle East became totally destabilized.”

»The part about him being “the only person on stage” to have opposed the Iraq war isn’t quite true: Rand Paul, back when he was himself – or, at least, when he was not the over-calculating politician he has become – opposed the Iraq war. However, it was refreshing to hear this outburst of truth on a stage full of Republican blind men who would rather pluck out their own eyes than see what the rest of the world acknowledges as indisputable. The look of dismay on Brett Baier’s face was almost worth the price of having to sit through hours of posturing and lies...»

• A côté de Justin Raimondo, on trouve Patrick Buchanan, deux hommes politiquement proches dans le grand rassemblement conservateur US qu’on a baptisé “paléo-conservateur” (isolationniste et antiguerre). Lui, Buchanan, il soutient Trump depuis le premier jour, là non plus nullement par affection pour Trump mais parce que Trump fonce comme un bulldozer à la vitesse d’une blitzkrieg dans l’argument que Buchanan affectionne plus que tout autre : l’immigration essentiellement venue du Sud dénoncée comme une invasion des USA, – immigration désormais colossale puisque le Census Bureau annonce qu’elle atteint, illégaux et légaux additionnés, 42,1 millions de personnes. Buchanan en remet une couche le 14 août 2015 dans UNZ.com. Il décrit comment les caciques du GOP veulent liquider Trump et le défend en acceptant les références des adversaires de Trump, c’est-à-dire en citant des références en Europe à propos de la bataille anti-establishment (antiSystème pour nous) et en défendant le principe de souveraineté et d’identité nationales.

«Trump would be wise to maintain his freedom of action. For there is a plot afoot in The Washington Post Conservative Club to purge Trump from the Republican Party before the primaries begin. “A political party has a right to … secure its borders,” asserts the Post’s George Will, “a duty to exclude interlopers.” Will wants The Donald “excommunicated” and locked out of all GOP debates until he kneels and takes a loyalty oath to the nominee. “Marginalizing Trump” carries no risk of “alienating a substantial Republican cohort,” Will assures us, for these “Trumpites” are neither Republicans nor conservatives. Better off without such trash.

»The Post’s Michael Gerson says “establishment Republicans” must “make clear that [Trump] has moved beyond the boundaries of serious and civil discourse.” He loathes the Trumpites as much as Will. Trump’s followers are “xenophobic,” Gerson tells CNN. They have a “resentment of outsiders, of Mexico, of China, and immigrants. That’s more like a European right-wing party, a UKIP or a National Front in France. Republicans can’t incorporate that.”

»But if the GOP has no room for Trump’s followers, it has no future. For there simply aren’t that many chamber-of-commerce and country-club Republicans. Gerson mentions with disgust the U.K. Independence Party and France’s National Front. What do those parties have in common? Both are anti-New World Order. Both arose to recapture the lost independence and sovereignty of their nations from the nameless, faceless bureaucrats of Brussels, those EU hacks who now dictate the kinds of laws and societies the Brits and French are permitted to have...»

• ... Nous voici donc en Europe (FN,UKIP, etc.), et dans un débat (souveraineté et identités nationales) qui nous est familier, et qu’on trouve également autour de la question de l’euro, et de la récente crise qui vient de déchirer l’Europe en opposant l’Orque qu’est l’UE et la Grèce, avec diverses positions, diverses personnalités, etc., qu’il est difficile de regrouper sous quelques étiquettes qui faciliteraient la pensée la feraient tomber dans le piège de la conformation aux us et coutumes de la pensée-Système. C’est par rapport à cette question de l’appartenance au Système, et de la rébellion contre le système que nous citons Jacques Sapir à propos du Grec Varoufakis (« Quel avenir pour Varoufakis?», le 13 août 2015). Sapir, qui a montré de plus en plus d’intérêt pour Varoufakis, esquisse la description de sa trajectoire d’une position au cœur du Système à une position antiSystème, avec ce qui pourrait être un rassemblement, ou bien un phénomène d’imitation d’autres personnalités venant elle aussi du Système. On peut lire ce passage, qui donne une idée générale de l’orientation de la réflexion (Sapir cite Stefano Fassina et son “appel contre l’euro” [voir le 5 août 2015].)...

«D’ailleurs, il faut remarquer qu’il hébergé sur son blog l’appel de Stefano Fassina à un front des mouvements de libération anti-Euro. C’est un geste qui est très symbolique. Car Fassina, lui aussi, vient de l’intérieur du “système”. Il fut vice-ministre des finances du gouvernement Letta en Italie. C’est un membre influent du parti de centre-gauche, le Parti Démocrate, auquel appartient l’actuel Premier-ministre, Matteo Renzi. Or, aujourd’hui, il est devenu l’un des plus virulents opposants à l’Euro en Italie et son appel n’est rien de moins que l’un des plus virulents brûlots qui ait été écrit contre l’Euro. Varoufakis et Fassina sont donc représentatifs de cette fracture qui s’est produite au sein du “système”, de ce que l’un de mes amis italiens, le professeur Bagnai, appelle le PUDE ou Parti Unique De l’Euro. Leur trajectoire vers des positions anti-Euro pèse d’autant plus qu’ils ont été antérieurement des partisans de l’Euro. On pourrait en dire de même d’ailleurs avec Oskar Lafontaine, qui en tant que dirigeant du SPD fut l’un des pères fondateurs de l’Euro, et qui a, en 2013, viré sa cuti d’opposant résolu à la monnaie unique. Ce fait est désormais très important. De plus en plus le camp des économistes et des politiciens anti-Euro, ou à tout le moins très Euro-critiques, est rejoint par des personnes qui étaient il y a peu encore des partisans de l’Euro mais que la réalité de cet Euro a rattrapé et qui ont compris qu’il n’y a pas d’avenir possible en Europe tant que l’on gardera l’Euro.»

Un de nos lecteurs (voir le Forum du texte du 14 août 2015, ce 16 août 2015, le message de GEO) signale un message de retour de Mélenchon, qui montre également une montée de la tension. D’une façon différente mais toujours dans le même sens, l’affirmation de Jeremy Corbyn, dont l’orientation est radicalement différente de celle du New Labour de Blair et dont l’ascension vers la direction du parti travailliste soulève une véritable fureur chez ce même Blair, – excellent signe pour notre compte, – constitue un phénomène similaire pour sa ligne principale (voir RT le 15 août 2015, «Not just lefties: Corbyn most popular Labour candidate with entire electorate, says new poll»).

• Nous choisissons à dessein des circonstances, des personnalités que beaucoup de choses séparent, parfois jusqu’à sembler inconciliables. Nous montrons également, parallèlement, la rapidité de l’évolution actuelle des réflexions, des réactions, des évaluations. On comprend évidemment qu’il y a une similitude profonde, même si l’idée impliquée en apparence choque certains et déplaît à d’autres, dans le fait de voir des personnalités aussi différentes faire appel directement ou indirectement, d’une façon consciente ou inconsciemment, aux principes de souveraineté et d’identité nationales par le biais de conséquences directes ou indirectes de ces principes. La différence des personnalités, des circonstances, des orientations est en soi une indication impérative que l’on approche des engagements fondamentaux, où il ne sera plus question que de Système et d’antiSystème, dans une situation où la tension commence à faire craquer de l’intérieur le tissu de résistance du Système, avec des appréciations de l’extérieur que ces craquements se produisent effectivement.

Bien entendu, les évènements extérieurs, notamment l’évolution chinoise mais aussi nombre de prévisions catastrophiques plus ou moins solides, offrent le cadre assombri et tragique nécessaire à l’évolution que nous décrivons, et même le cadre assombri et tragique que les acteurs eux-mêmes réclament plus ou moins consciemment pour que leur action soit effectivement perçue et ressentie (y compris par eux-mêmes) selon la conception eschatologique qui importe... (Entendez les ricanements satisfaits de Mélenchon, par rapport à la dévaluation chinoise, qui saluent la nécessaire dramatisation des évènements : «Les Chinois dévaluent leur monnaie sous cotée pour rendre leur salaires compétitifs ! Bref les Chinois jouent aux Allemands… Les Allemands vont déguster. Car leurs chères grosses bagnoles vont couter là-bas bien plus cher et les machines-outils seront bien moins remplacées si la production baisse. Résultat les Chinois font aux Allemands ce que l’Allemagne fait à l’Europe tout entière. La pagaille générale est garantie. Un terrible coup de froid sur le moteur absurde de la croissance mondiale sans fin se dessine à horizon rapproché. L’Europe va trinquer. La Grèce va couler...»)

Une seule chose compte, – que notre essence même devienne antiSystème. Ainsi apparaissent des parallèles qui se révèlent comme des convergences,– on ne leur demande pas leur avis ! – qui auraient semblé il y a quelques mois impensables, absurdes sinon obscènes. C’est que, désormais, il doit nous apparaître de plus en plus en pleine lumière que le Système, qui ramène tout à lui, a monopolisé pour lui seul tout l’impensable, toute l’absurdité, toute l’obscénité du monde ; et celui qui, sortant de lui, se retrouve amené à se manifester contre lui, ne peut être impensable, absurde ni obscène, – fût-ce The Donald soi-même. Il ne s’agit pas d’un concours de beauté morale, d’élégance politique et de vertu citoyenne, mais d’une bataille qui a la dureté rocailleuse et furieuse de la survie.

... On observera d’ailleurs, pour animer le symbole qui nous vient sous la plume et lui donner un peu plus de consistance, combien Trump et Varoufakis sont, en quelque sorte, à la fois les images et les caricatures de deux archétypes essentiels du Système, – le milliardaire excentrique, inculte et grossier qui a fait sa fortune dans la spéculation complètement américaniste d’une part, et d’autre part le playboy/ministre-rock’n’roll sophistiqué, adepte de la théorie des jeux qui s’habille d’un tea-shirt et roule à moto comme un de ces wonder-boys des grands groupes de l’internet... Peut-on rêver figures plus emblématiques de la postmodernité, donc du Système ? Les voilà propulsés dans le rôle de l’antiSystème qui conchie le Système encore mieux que vous et moi parce qu’il vient de son cœur et qu’il le connaît par cœur...

Si vous croyez aux signes du Ciel plutôt que de chercher des complots et des false flags dans les poubelles du Système, ce qui n’est pas le choix le plus stupide, alors il faut donner à ce symboles des deux archétypes du Système poussés vers l’antiSystème tout son poids symbolique. Éventuellement, on peut le placer dans le courant fiévreux qui s’affirme actuellement, depuis quelques jours, – “fièvre de l’automne 2015” ou “fièvre de septembre 2015” qui multiplient les signes d’une catastrophe imminente (voir aussi le 26 juillet 2015), – ou plutôt les signes d’une catastrophe multiple (voir le 11 août 2015) selon une agitation extrême du système de la communication ; moins “officielle” (avec participation/complicité du Système) que cela ne fut avant le faux-buzz gigantesque du 1er janvier 2 000 ou la Fin des Temps de décembre 2012 du calendrier Mayas, bien plus appuyée sur une situation générale potentiellement catastrophique dont les déplacements paradoxaux de personnalités type-Trump/Varoufakis font évidemment partie... On voit que nous sommes partis d’évènements aujourd’hui assez courants et anodins (cela aussi, signe des temps, que de tels évènements puissent être qualifiés d’“anodins”) pour aboutir aux inévitables allusions à la Grande Crise d’effondrement du Système. Tous les chemins mènent à Rome disait-on, toutes les voies de la pensée conduisent à notre Grande Crise peut-on rectifier.

 

Mis en ligne le 17 août 2015 à 08H51