Le Système produit désormais ses “dissidents” officiels

Bloc-Notes

   Forum

Un commentaire est associé à cet article. Vous pouvez le consulter et réagir à votre tour.

   Imprimer

 1095

Le Système produit désormais ses “dissidents” officiels

Entendons-nous bien : le Système étant par définition une totalité, il est naturellement “tout” et nul ne peut échapper à son influence, y compris les antiSystème, quand l’on devient antiSystème, qui viennent du Système et ont pu mesurer d’une manière critique ses caractères monstrueux. (Cela correspond assez bien, élargie à mesure, à la définition qu’André Compagnon donne des “antimodernes”, dans son livre éponyme, lorsqu’il dit de Charles Péguy : «Celui qui peut dire “nous modernes” tout en dénonçant le moderne...». Il va de soi que la correspondance est également dans la position ainsi décrite vis-à-vis de la modernité, qui est un des faux-nez les plus remarquables du Système.) Ainsi met-on ensemble, dans ce commentaire, sans nous attarder une seconde aux caractères des uns et des autres, à leurs CV plus ou moins suspects selon les commentateurs, à leur “sérieux”, leur légitimité, etc., d’une part Varoufakis et les parlementaires français qui ont été en Crimée, d’autre part les anti-Varoufakis, dont les parlementaires grecs de l’“opposition” qui veulent le faire condamner, et la magistrature ukrainienne de Kiev-la-folle qui veut faire condamner les parlementaires français qui ont visité la Crimée ; parce que seul nous importe l’“ennemi principal”, que nous pourrions nommer “ennemi absolu”, qui est le Système, et par conséquent ceux qui se révèlent comme ses adversaires et ceux qui s’en font les entremetteurs en l’occurrence et dans ces deux occasions, — sans autre forme de procès si l’on peut dire.

Bien entendu, les conditions dans lesquelles interviennent les “justiciers” du Système sont rocambolesques et grotesques, leur posture est celle d’une corruption psychologique totale (sans parler de l’autre, de corruption, qui ne nous intéresse pas en l’espèce). Eux-mêmes, les “justiciers”, sont égaux à leurs réputations les plus caricaturales, l’“opposition” grecque totalement sous la coupe de l’Orque et de sa “Secte”, la Procurata ukrainienne qui fait son travail à Kiev-la-folle où se tiennent les délégués les plus représentatifs du Système, avec l’UE et les USA en embuscade puisqu’aucun mauvais coup dans la crise ukrainienne ne leur est étranger.

• Dans une chronique du 30 juillet 2015 sur son site RussEurope, Jacques Sapir détaille l’attaque portée contre Varoufakis, qu’on voudrait accuser de “haute trahison”, pour avoir réparé un “plan B” (ciao l’euro, retour au drachme) durant les six premiers mois du gouvernement-Syriza (janvier-juillet) qui furent six mois de négociations entre la Grèce et l’organisation-fantôme de l’Eurogroupe. (Cette chose, l’Eurogroupe, est le bras armé et absolument illégal de l’Orque, – c’est-à-dire notre véritable gouvernement, qui agit selon le principe directeur de l’UE qui est parfaitement défini par l’expression fameuse du “coup d’État permanent”.)

«Yanis Varoufakis, en tant que Ministre des finances, a pris la décision de faire pénétrer clandestinement le système informatique de l’administration fiscale grecque. On a rendu compte de ce “plan B” dans ce carnet, et c’est ce qui lui est reproché. Mais, il a pris cette décision en accord avec le Premier ministre, Alexis Tsipras. Il a pris cette décision concernant le système informatique de l’administration fiscale grecque parce que ce dernier était en réalité sous le contrôle d’hommes de la “Troïka”, c’est à dire du Fond Monétaire International, de la Banque Centrale Européenne et de la Commission Européenne. C’est donc le Premier ministre conservateur, M. Samaras, battu lors des élections du 25 janvier, qui a en réalité commis cet acte de Haute Trahison en confiant l’administration fiscale à une (ou des) puissances étrangères. C’est lui, et lui seul, qui porte la totale responsabilité de ce qui est alors survenu.

»Cette décision avait pour but de mettre en œuvre un système de paiements parallèles qui aurait permis au gouvernement grec de contourner le blocage des banques qui fut organisé par la BCE à partir de la fin juin 2015. Ceci aurait été nécessaire pour éviter la destruction du système bancaire grecque qu’a provoquée l’action de la Banque Centrale Européenne. Cette action illégale de la BCE a mis en péril le système bancaire alors que l’une de ses missions, inscrites dans la charte de la BCE est justement d’assurer le bon fonctionnement de ce système bancaire. Si Yanis Varoufakis doit être inculpé, il serait logique, il serait juste, que le Président de la BCE M. Draghi ainsi que le Président de l’Eurogroupe, M. Dijsselbloem, le soient aussi.

»Il est exact que ce système parallèle de paiements aurait aussi pu permettre un glissement très rapide de l’Euro vers la Drachme, mais Varoufakis, selon les propos rapporté par The Telegraph, n’envisageait cela qu’en toute dernière extrémité.

»Inculper M. Varoufakis est ainsi absurde. Le fait qu’il soit désormais défendu par des personnalités comme Mohamed El-Erian, l’économiste en chef d’Allianz et Président d’un comité d’experts économiques auprès du Président des Etats-Unis, montre bien que ce qu’il a fait, il l’a fait pour le plus grand bien de l’État qu’il servait comme Ministre des finances. Cette inculpation, si elle devait de confirmer, ne pourrait avoir lieu qu’avec la complicité d’Alexis Tsipras qui aurait alors lâché son ancien Ministre des finances, et qui n’assumerait pas ses responsabilités. Cette inculpation, si elle survenait, serait un acte odieux, un acte de pure justice politique, de vengeance des autorités européennes contre un homme qui a osé, appuyé par son peuple, les défier.»

• Concernant les parlementaires français, dont on connaît les conditions de leur équipée en Ukraine, nous laissons la plume à la Française résidant à Moscou Karine Bechet-Golovko, sur son site RussiePolitics, ce 29 juillet 2015. Spécialisée dans le droit, la commentatrice examine la question des poursuites contre les parlementaires français de ce point de vue, selon un ton qui restitue l’un des facteurs les plus importants de cette affaire, même s’il n’est pas strictement juridique, – «Pour autant, il semblerait que l'Ukraine soit la deuxième patrie de Kafka», – et peut-être bien la première (patrie) après tout, ou bien s’agit-il de constater que Kafka était encore loin de la vérité de situation dans ses descriptions de la folie bureaucratique moderniste... Bechet-Golovko poursuit :

«Un député du Parlement ukrainien, Gueorgui Logvinsky, vient d'annoncer que la Procuratura est saisie de l'affaire et va analyser en quoi le voyage de ces députés en Crimée a violé la législation ukrainienne. Il menace directement nos parlementaires de poursuites en tout genre, d'utiliser l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe où il dirige la délégation ukrainienne pour les attaquer. De recourir à la compréhension du ministre français des affaires étrangères pour que des sanctions soient prises.

»Quant à la législation ukrainienne, il s'agit de l'article prévoyant l'entrée illégale sur le territoire ukrainien dans le but de porter atteinte aux intérêts de l'Etat. Il faut savoir que depuis l'adoption de la loi ukrainienne faisant de la Crimée un territoire occupé par la Russie, n'importe quel touriste russe qui séjourne en Crimée est automatiquement passible de poursuites pénales sur ce fondement devant les tribunaux ukrainiens.

»Evidemment, le champ possible d'application de cette loi est trop large pour être juridiquement efficace. Et tel n'est pas son but. Il s'agit d'un instrument politique de pression qui va servir de manière très sélective selon les besoins du moment. Et le moment est arrivé.

»Formellement, les députés risquent une peine de trois ans (huit ans lorsque l'infraction est commise en groupe - ce qui est le cas), la destitution de leurs fonctions officielles et confiscation qui biens qui y sont liés. Concrètement, la justice ukrainienne ne peut évidemment pas prendre une décision qui aurait pour conséquence la destitution des parlementaires français de leurs mandats. De même, il semble totalement irréaliste que les biens ne soient confisqués. Et si jamais l'affaire va jusqu'au prononcé d'un jugement - ce qui m'étonnerait beaucoup - la France n’extradie pas ses ressortissants. Mais cela bloquerait de beaucoup leur mobilité et possibilité d'exercer leurs fonctions.

»Pourtant, a priori, la situation n'ira pas jusqu'à cet extrême. Au minimum, parce que l'Ukraine veut à n'importe quel prix entrer dans l'Union européenne. Elle ne peut se permettre un conflit direct avec un pays majeur de l'Union européenne, de plus un pays qui a la bonne volonté de détourner les yeux des crimes commis par le régime en place...»

Une des caractéristiques du Système, outre sa bêtise mais ceci expliquant cela d’ailleurs, c’est sa vindicte contre ceux qui l’ont “trahi” selon sa propre estimation. Il lui faut une vengeance personnelle, il faut que le “traître” paie. Certains y voient un calcul, comme ils voient partout du calcul, pour faire “des exemples” qui décourageraient ceux qui n’ont pas encore “trahi” mais songeraient à le faire. C’est bien mal connaître l’être humain, le sapiens et ses paradoxes qui font soudain surgir, chez un être sans véritable importance, parfois médiocre, un sentiment héroïque qui le pousse à agir contre toute raison de prudence et de calculs d’épicier. (Sans doute même ces “exemples” suscitent-ils des actes décisifs chez certains qui hésitaient encore à agir contre le Système.) Nous n’avons guère d’estime pour le sapiens par les temps qui courent mais nous ne lui dénions pas pour autant une espèce de fondement étrange, très dissimulé, sans doute avec quelque chose de la transcendance, qui le pousse parfois à l’héroïsme et même au sacrifice. Dire cela au Système c’est comme pisser à découvert au milieu du grand hall d’un luxueux hôtel de Doubaï, ce qui est encore plus remarquable que dans un violon... Ainsi donc, les erreurs d’évaluation du Système s’expliquent aisément par ce que Guénon en dit, puisque nous parlons bien de la même chose en reprenant cette citation désormais classique sur ce site («On dit même que le diable, quand il veut, est fort bon théologien; il est vrai, pourtant, qu’il ne peut s'empêcher de laisser échapper toujours quelque sottise, qui est comme sa signature...»).

Ainsi, pour prendre un exemple qui va permettre de faire suivre par enchaînement l’essentiel de notre propos, un Snowden, qu’on aurait pris comme un jeune homme falot, abruti d’informatique, sans guère d’intérêt, – ce qu’il devait être en bonne partie, sans doute, – se révèle comme un héros. En faisant ce qu’il a fait, Snowden a montré de l’héroïsme, sacrifiant par avance le confort et la tranquillité d’un sapiens-Système en toute sécurité avec les avantages qui vont avec, et risquant désormais en permanence sa vie. Avec Snowden, la stupidité du Système atteint un paroxysme qu’à notre avis il ne quittera plus, qui a été de déchaîner ses divers chiens hurlants, annonçant qu’il faudrait l’exécuter, lui faire subir un procès en haute trahison, etc., ce qui n'était pas la meilleure façon de faire naître chez lui l'idée catastrophique de rentrer aux USA. Cela est pure vindicte personnelle, – de la part du Système, égrégore plein de sentiments excessifs et mauvais, et dont l’hybris avait subi la pire des humiliations avec la défection de Snowden. Cela nous conduit, comme nous l’annoncions, au cœur de notre sujet.

Nous tenons donc Varoufakis et les députés français, à cet instant où ils agirent, et en agissant comme ils le firent, comme des antiSystème. De même, bien entendu, disions-nous cela de Snowden lorsque l’affaire éclata (en juin 2013) jusqu’à rapidement devenir une crise. Plus encore, toutes ces personnes viennent du Système pour se retourner contre lui, selon des circonstances diverses et dans des conditions différentes, – et tous ces acteurs étant au départ dans l’ombre manipulatrice du Système, jusqu’au point où certains sont soupçonnés, selon les délices des manipulations complotistes, de double jeu (ce fut le cas de Snowden, c’est le cas de Varoufakis). Il va sans dire, comme on le sait, que ce point-là (vrai ? faux ?) nous est, complètement indifférent ; seuls nous importent l’effet sur le Système et ce que tout cela nous dit de l’état du Système.

Or, il y a justement évolution de l’état car il y a, justement, une grande différence de statuts, de circonstances objectives, etc., entre un Snowden, et les différents “lanceurs d’alerte” qui se sont dévoilés durant les années 2011-2013 et les Varoufakis et députés français. De ce point de vue et si l’on prend les références des situations aussi bien que des circonstances, on doit observer avec une grande satisfaction cette évolution significative du Système. Désormais, le Système “produit” ce qu’il juge être une “dissidence” dans les rangs même de ceux qui figurent dans les institutions constituant sa structure, ou qu’il a phagocytées pour les faire entrer dans sa structure, – Parlements, gouvernements, etc. Varoufakis était ministre et reste député, et qu’il soit de Syriza ne change rien à l’affaire, d’autant moins lorsqu’on voit comment Syriza a, justement, été phagocyté par le Système. Quant aux députés français, ce sont des gens honorables dans le Système, eux aussi, et peut-être encore plus, faisant partie du Système sans aucun avatar à signaler.

Sans qu’il soit nécessaire de parler de “révolte” ou d’“insurrection”, de démission fracassante, de mise en cause sans retour, de rupture tonitruante, de “coup de communication” mûrement préparé, au contraire selon une dynamique parfaitement restée dans les règles, ce qu’on voit marque essentiellement une évolution des vérités de situation (mise à sac de la Grèce, schizophrénie à Kiev-la-folle) qui fait que le simple exercice de leurs fonctions par des “officiels” du Système conduit à mettre ces “officiels” en confrontation directe avec le Système, sans pourtant qu’ils perdent complètement ou en partie leurs statuts. L’on va même jusqu’à envisager des procès-guignols contre eux où serait exposé, s’ils ont lieu, le désordre extraordinaire où baigne le Système, et ces procès toujours selon l’ivresse de vengeance du Système après que son hybris se soit heurté à une résistance. C’est un grand progrès par rapport à l’ère Snowden. Désormais, le Système, englué avec toute sa surpuissance dans les marais furieux de ses contradictions construites sur des narrative comme l’on dirait “sur du sable”, produit directement, toujours aussi furieusement, des antiSystème directement issus de ses rangs. Comme l’on dit fameusement, camarade, on n’arrête pas le progrès...


Mis en ligne le 31 juillet 2015 à 10H54

Donations

Nous avons récolté 1425 € sur 3000 €

faites un don