Du “social” au “sociétal” et conséquences...

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Du “social” au “sociétal” et conséquences...

30 avril 2013 – Il est vrai que le “mariage pour tous”, ou “mariage gay”, n’est pas une exclusivité française. De nombreux autres pays du bloc BAO l’ont adopté ou sont en passe de le faire. Il constitue un grand thème “porteur” aux USA et participe au regroupement “progressiste” que le clan Obama organise parfaitement autour du président, en une impeccable opération-Système (donc faussaire). Le bloc BAO est à l’unisson pour ce qui concerne ce débat, pour ce qui est de son importance historique, etc. Ce seul fait, s’il ne dément pas l’idée que le “mariage pour tous” (français) est une mesure type-mai 68 (à la lumière du jugement selon lequel le mouvement de protestation qu’il a suscité serait un “anti-mai 68”), ne peut limiter l’affaire à cette référence franco-parisienne. L’affaire du “mariage gay” est un cas de pure globalisation, en même temps qu’une réforme souvent présentée implicitement comme “révolutionnaire”, sur un ton où ceux qui émettent ce jugement pourrait bien faire équivaloir les deux qualificatifs, – révolutionnaire parce que globalisée, ou vice-versa. C’est aussi une réforme très qualifiée, lorsqu’il s’agit de faire sérieux, de “sociétale”, et aucunement de “sociale” ; ce terme est employé par les hommes politiques du Système armés de leurs talk-point idéologique, entendant ainsi figurer dans le florilège de la pensée-Système, avec une petite touche d’intellectualisme sociologisant, et cela jamais très loin de l’esprit et de la vigilance du “parti des salonards” ... Fort bien, réforme “sociétale”, nullement réforme “sociale”.

Poursuivons en nous saisissant du fil rouge que constituent ces deux mots : “social” et “sociétal”. Nous avons exploré pour notre compte ce qu’il en est dit, sans nous attacher à d’éventuelles analyses sociologiques plus fouillées qui ne nous intéresseraient en aucun cas. Naturellement, ces analyses sociologiques noieraient complètement la signification du phénomène dans le réductionnisme courant, sinon obligé, de cette sorte de pratique. Procédons au plus simple, dans le sens qui n’est pas infâme de “basique”, à partir des sources les plus généralistes, pour mieux rejoindre la voie de l’appréciation qui nous intéresse, par rapport au Système dont la puissance règle tout dans sa sphère qui prétend être à la fois totale et hermétique.

• Dans le Grand Robert de 2001, les définitions sont sans beaucoup d’intérêt dans le chef de ce qui les séparerait. Rien d’intéressant n’est dit à propos de “sociétal”, dont l’apparition de l’usage est fixé à 1972. Par contre, nous signalons une “remarque”, dans le début du texte consacré à “sociétal”, qui est, elle, d’un certain intérêt, – lequel intérêt, pour nous, est souligné de gras dans la citation : «Par rapport à ‘social’, ‘sociétal’ s’emploie dans les domaines de la vie en société qui ne relèvent pas directement de la question sociale.»

• Au hasard d’un site-dictionnaire ou l’autre, nous tombons sur les définitions de Reverso, bien plus intéressantes que le Robert ou le Larousse. Dans ce cas, “social” est présenté comme un adjectif signifiant «relatif à la société, à son organisation», et “sociétal” comme un adjectif signifiant «relatif à une certaine société, à ses valeurs et à ses institutions» Nous passons de “la société” en général à “une certaine société”.

• Enfin, encore plus intéressant dans le Wikipédia, à la rubrique “responsabilité sociétale”, qui nous offre deux éléments de définition de la “responsabilité sociétale” impliquant indirectement la définition du terme. Ces deux éléments viennent de deux organisations qui font partie du dispositif de globalisation essentiel pour le Système et sont liées au monde de l’entreprise, ou à ce qu’il serait plus juste de désigner comme le corporate power.

... D’une part, «[l]e Livre Vert de la Commission européenne intitulé “Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises” définit la responsabilité sociétale comme : “l’intégration volontaire des préoccupations sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes. Être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir “davantage” dans le capital humain, l'environnement et les relations avec les parties prenantes.”»

... D’autre part, la norme ISO 260005 définit la “responsabilité sociétale” de la manière suivante : «responsabilité d'une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement, se traduisant par un comportement éthique et transparent qui contribue au développement durable, à la santé et au bien-être de la société; prend en compte les attentes des parties prenantes; respecte les lois en vigueur et qui est en accord avec les normes internationales de comportement; et qui est intégré dans l’ensemble de l’organisation et mis en œuvre dans ses relations.» (L’ISO, ou Organisation Internationale de Normalisation (International Organization for Standardization), est «un organisme de normalisation international composé de représentants d'organisations nationales de normalisation de 164 pays. Cette organisation créée en 1947 a pour but de produire des normes internationales dans les domaines industriels et commerciaux appelées normes ISO.» Cette définition désigne effectivement l’organisme de régulation dans le dispositif-Système de la globalisation.)

Il faut interpréter ces diverses incursions observées à la lumière des événements actuels, notamment l’effondrement des situations structurelle sociales et psychologiques du aussi bien à la crise générale d’effondrement du Système qu’à la politique suivie à la fois à la fois par les structures de la globalisation et par le monde économique dans son sens le plus large occupant une place fondamentale (le corporate power) dans l’organisation du Système. Ces événements trouvent leur logique dans cette évolution sémantique du passage du “social” au “sociétal”... D’abord, il faut considérer qu’il ne s’agit plus de s’intéresser à la “question sociale” et qu’il importe de n’en plus parler ; on n’osera dire tout de même qu’elle est résolue (bonheur parfait du niveau de vie, de l’abondance, etc., du type American Dream), et l’on n’en dira rien finalement en considérant implicitement que “la question sociale” ne se pose plus, que le problème correspondant est résolu par le fait (mais à la façon de l’américanisme, selon le mot d’un général US : «Nous, aux USA, on ne résout pas les problèmes, on les écrase»). Ensuite, effectivement, en passant du “social” au “sociétal”, nous passons de “l’intérêt pour la société” à “l’intérêt pour une certaine société” (cette “certaine société”, débarrassée de “la question sociale”). Enfin, ces diverses vaticinations sont à placer dans un cadre qui rassemble les deux fondements sociétaux-économiques (et non socio-économiques) du Système : la structure institutionnelle de la globalisation et le corporate power.

Pour résumer le propos en passant du “social” au “sociétal”, il s’agit d’écarter après l’avoir “écrasée” la “question sociale” irrésolue et chaque jour aggravée, au profit de la parcellisation idéologique, communautaire, du type “des minorités sociétales, de mœurs, de culture, d’ethnies”, etc. Ainsi réussit-on la manœuvre réductionniste par la fragmentation et l’antagonisme idéologiques, courante dans les actes du Système issu du “déchaînement de la Matière”. (Il importe ainsi de toujours garder à l’esprit, avec cette référence, la cause première de la séquence.)

“Opérationnalisons” ces constats autour du cas qui donne l’argument de départ de cette analyse : le “mariage gay”, mais en l’élargissant à d’autres cas. Nous le faisons parce qu’un heureux hasard, ou bien le Ciel qui veille sur nous avec ses “forces métahistoriques puissantes”, nous en donne un exemple formidable dans l’actualité la plus brûlante. (Nous jurons sur “le Ciel qui veille sur nous” que nous connaissions rien lorsque nous entreprîmes cette analyse, inspirée par le cas français. L’exemple est venu comme une somptueuse cerise sur notre gâteau démonstratif, puisqu’il concerne les gays, et les gays dans une optique de globalisation du problème puisque hors du cas français.) Il s’agit de la décision prise par la direction et l’organisation de la Gay Pride de San Francisco qui doit avoir lieu les 29 et 30 juin de supprimer l’honneur accordé au soldat Manning d’en faire le Grand Marshall de la parade.

On lit par ailleurs (le 29 avril 2013) le rapport sur l’élimination du soldat Manning, pur et héroïque héros antiSystème, de ce statut de Grand Marshall de la prochaine Gay Pride Parade de San Francisco. On sait que deux plumes fameuses, Glenn Greenwald et Justin Raimondo, ont publié deux articles furieux contre cette décision. Tous les deux, chacun de sa façon, mettent en évidence le complet noyautage et la récupération par conséquent, de l’organisation de la Gay Pride de San Francisco, par des forces complètement acquises, derrière le faux-nez de la bruyante vertu progressiste, au président Obama et à la dynamique-Système qu’il représente d’une façon que nous jugeons à la fois plus impudente et plus efficace que son prédécesseur Bush. Les deux auteurs, Greenwald et Raimondo, chacun à sa façon encore, mettent également en évidence l’importance de l’événement en même temps qu’ils décrivent la façon dont les forces du corporate power et le militarisme inhérent au Système ont désormais principal droit de cité dans le mouvement gay, – d’une façon somme toute conforme à ce qu’on a vu de la signification profonde du terme “sociétal” qui, semble-t-il, décrit le sort des gays... Drôle de rencontre.

«So apparently, the very high-minded ethical standards of Lisa L Williams and the SF Pride Board apply only to young and powerless Army Privates who engage in an act of conscience against the US war machine, but instantly disappear for large corporations and banks that hand over cash. What we really see here is how the largest and most corrupt corporations own not just the government but also the culture...» (Greenwald)

«The de-Marshaling of Bradley Manning might seem like a trivial matter to some, but it is in reality a real cultural turning point. It used to be that what passes for the “left” in American politics was identified with a principled opposition to the American conceit that we are the inheritors of the British empire, and that now that the British lion has turned into a bit of a pussycat it’s up to the American eagle to police the world. [...] Today, in Obama’s America, they have embraced the cause of yesteryear’s Anglophiles and taken up what we used to call the White Man’s Burden – except today it is the Multi-Cultural Multi-Gendered LGBT Man’s Person’s Burden...» (Raimondo)

Comme l’on voit, les deux chroniqueurs sont d’accord, même si par des chemins différents, même si venus d’horizons différents (Greenwald est un progressiste libéral dont on comprend qu’il a des tendances dissidentes, Raimondo un libertarien d’extrême droite complètement dissident) : la deuxième liquidation du soldat Manning, cette fois par ses pairs et ses compagnons, porte une révélation formidable sur le sort de la culture (Greenwald), au point que l’on peut parler d’un “tournant” (Raimondo). L’on comprend alors que le cas n’est pas anodin, qu’il dépasse effectivement le cas Manning et celui la corruption de la Gay Pride, et même le cas des gays en général, qu’il devient un problème qui concerne le Système, et qui nécessite chez ceux qui veulent l’affronter une vision antiSystème.

Nous revenons alors au cas français, notamment pour approuver l’interprétation que fait et que répète régulièrement le chroniqueur Eric Zemmour du mouvement très puissant qui s’est levé en France contre le “mariage pour tous” (“mariage gay”). Il l’explique à plusieurs reprises lors de l’émission Ca se dispute, sur I-Télé (voir le 20 avril 2013 et le 27 avril 2013). Pour lui, il s’agit bien d’un contre-mai 68, mais là n’est pas le plus important. Zemmour identifie avec justesse ce mouvement comme “anti-libéral” («...même si ceux que le suivent ne le savent pas encore»), ou, comme il le dit, éventuellement une sorte de «Tea Party à la française». (Ce dernier cas, effectivement pour nous, dans la mesure où Tea Party ne doit pas être jugé selon l’angle idéologique qui est l’arme manipulatrice principale du Système, mais selon sa vertu antiSystème évidente.) Le soutien du corporate power aux mouvements institutionnels gay (Gay Pride de San Francisco) vient comme une confirmation éclatante de la place qui est accordée dans cette force à la “responsabilité sociétale”, tandis que les institutions gay se conforment en Système en recrachant des “dissidents” (gay ou pas, qu’importe...) comme l’héroïque soldat Bradley Manning, homosexuel notoire...

Selon cette approche qui est la seule sérieuse aujourd’hui, qui est celle de l’affrontement entre le Système et tout ce qui est antiSystème ou se constitue antiSystème, les homosexuels qui soutiennent le soldat Manning, qui devraient être tous les gays fidèles à leur tradition militante qui ne peut être qu’antiSystème à la lumière des combats actuels, sont du même côté que la génération qui s’oppose en France au “mariage gay”. Les étiquettes volent et perdent leurs significations-Système...

La “promesse sociétale” a remplacé la “question sociale”

La situation générale des directions et élites-Système face aux effets sociaux et psychologiques de la crise d’effondrement du Système est celle d’une impuissance complète. Il s’agit moins d’une impuissance subie que d’une impuissance acceptée, sinon sollicitée, par l’acceptation également complète de la politique-Système, donc d’une situation qui interdit toute possibilité réformiste à l’intérieur d’une part, tout exercice régalien du pouvoir politique (au-dessus des intérêts fractionnels servant le Système) d’autre part. La survivance politique de ces directions et de ces élites passe par conséquent, non par des aménagements ou des mesures conservatoires nécessairement impossibles, mais par une tendance vers la négation des problèmes qu’on ne peut, non seulement résoudre mais traiter. Au “chez nous, on ne résout pas les problèmes, on les écrase” vu plus haut, succède le “chez nous, on ne résout pas les problèmes, on nie qu’ils existent”. Bien entendu, cette tentative ne peut bouleverser et renverser la vérité du monde, mais elle a lieu en permanence et constituent la substance de l’“action politique” de cette population-Système (dirigeants politiques et élites).

(“Cette tentative” a lieu également par le moyen de la fragmentation, du cloisonnement et du “négationnisme” de la crise lorsque le “problème” non-existant est vraiment trop pressant : ainsi, pour prendre cet exemple largement sollicité à cause de son urgence, le chômage tend-il à être détaché de la situation économique et, au-delà, de l’action générale du Système, c’est-à-dire de ses causes fondamentales, ou causes premières du domaine. Il devient un problème parcellaire en soi, qui contient sa propre solution en lui-même, et nullement dans le traitement de ses causes fondamentales, qui est donc lui-même responsables des maux qu’il subit. S’il n’a pas de solution, c’est que les acteurs du chômage, c’est-à-dire les chômeurs eux-mêmes, auront été impuissants à agir dans ce sens, donc responsables de leur propre malheur. Ils sont évidemment les causes fondamentales et les causes premières d’eux-mêmes, – verdict qui est un reflet parfait de la doctrine individualiste fondamentale dans le dispositif du Système.)

Le passage du “social” au “sociétal” est une de ces tentatives de résoudre les problèmes en niant leur existence, sinon la tentative fondamentale. En substance, il s’agit d’un artifice linguistique de communication ; l’aspect “sociétal” désigne l’action dans le champ de la société une fois que les problèmes fondamentaux (“sociaux”) de la société ont été résolus. Il s’agit de passer effectivement des “problèmes relatifs à la société” aux “problèmes relatifs à une certaine société”, indiquant que “la société” effectivement réalisée est devenue “une certaine société”, – sous-entendant, celle qu’on a obtenu après avoir résolu les problèmes de “la société”, ou “problèmes sociaux”, – ou “la question sociale” si l’on veut. L’idée qu’on doit retenir de cette narrative est donc que les problèmes sociaux fondamentaux ont été résolus (écrasés, niés, etc.). (...Et s’il y en a encore par extraordinaire ou inadvertance, traitez-les comme des aberrations, cherchez du côté de ceux qui les manifestent, des mauvaises têtes, – voir le chômage plus haut.)

Les mots, le langage, ont leur puissance propre, hors de la réalité qu’ils prétendent décrire ... La “promesse sociétale” devenue “manipulation sociétale” par le fait même de son incapacité à être tenue a remplacé la “question sociale”, ce qui signifie une tendance évidente quoique inconsciente (sauf dans le chef du Système lui-même) à pervertir le langage dans un but de pression victorieuse de la communication. Cette démarche est aisément explicable, sinon compréhensible, dans la situation où se trouvent les directions et élites-Système, telles qu’on les a décrites plus haut. En situant l’action de la politique dans le champ sociétal et non plus le champ social, on implique que le champ social se trouve libéré de toutes ses contraintes et pressions, ou dit autrement on laisse entendre que la “question sociale” est résolue. Du point de vue de la communication, et de l’effet sur la psychologie, passer du domaine social ou domaine sociétal, c’est progresser, et progresser après avoir établi la base essentielle qui est justement celle de l’étape fondamentale et irréversible du “progrès” accomplie avec l’établissement verrouillé de “la société”. La question sociale résolue en recevant la réponse qu’il faut, à savoir justement qu’elle est résolue, nous passons aux aménagements “sociétaux” ; notamment les arrangements “libéraux” et donc “libérateurs” de la “certaine société” à laquelle nous sommes parvenus, – dont font partie le statut des gays, leur possibilité de mariage, le recrutement-Système de la Gay Pride épurée de ses soldats Manning perturbateurs et traîtres au Système, etc.

Bien entendu et comme on l’a suggéré naturellement plus haut, par simple logique de plume, il s’agit d’une narrative car il ne peut en être autrement. La “manipulation sociétale” remplaçant la “question sociale” et signifiant une perversion du langage dans un but de “pression victorieuse de la communication”, paraîtrait être destinée à la population sociale, qui est également électorale et doit donc être cajolée, et c’est effectivement l’affirmation en théorie... En vérité, elle s’adresse d’abord, essentiellement sinon exclusivement à cause de la vérité de la situation, aux dirigeants et aux élites-Système. Il s’agit d’une opération de manipulation inconsciente de ces dirigeants et élites-Système qui aboutit en vérité à une auto-manipulation doublement inconsciente, destinée d’abord à recouvrir et à farder agréablement l’impuissance de la direction-Système à cause du diktat du Système ; destinée aussi, et peut-être surtout, à tenter d’apaiser l’angoisse de type systémique (voir leur maniaco-dépression) et la terrorisation des psychologies de ces directions et élites-Système continuellement placées devant le spectre de la “révolte sociale” qu’elles entretiennent eux-mêmes à cause de la perception inconsciente de leur propre impuissance et des faiblesses extrêmes de leurs psychologies, – et cette menace de “révolte sociale” qui ne disparaît pas malgré l’affirmation implicite que la “question sociale” est résolue...

(Leur absence de “vision” à cet égard explique cette puissante et constante tendance à la dépression et à la terrorisation de leurs propres psychologies : le président Hollande annonçant il y a quelques semaines qu’il n’avait pas prévu, lors de son élection, – dix mois plus tôt  !, – que la crise durerait si longtemps laisse voir une psychologie totalement inapte à saisir l’essence de la situation de crise haute à cause de cette auto-manipulation, et par conséquent une psychologie nécessairement et absolument fragile et vulnérable à cet égard. La vérité du monde dressée régulièrement en face de leurs narrative multiples ne leur fait guère de cadeaux à cet égard.)

Mais la puissance des mots et du langage, quand elle est pervertie, se vide de toute énergie inspiratrice ; quand elle s’adresse à la situation du monde, elle se heurte vite au fait de la vérité de cette situation du monde. Le passage de la “question sociale” à la “promesse-manipulation sociétale” a l’avantage, pour le propos de la résistance antiSystème, de laisser libre le champ social, et donc de l’utiliser pour réaffirmer d’une façon ou l’autre, de “réactiver” l’énigme de la “question sociale” proclamée résolue et qui ne l’est pas. L’on découvre alors, sans surprise bien entendue, que la “question sociale” proclamée résolue ne l’est vraiment pas, qu’au contraire elle est devenue aujourd’hui, dans les conditions de la crise d’effondrement du Système, une question sur la crise sociale directement connectée à la crise d’effondrement du Système. Le champ étant libre, il est donc exploitée pour que la “question sociale” devenue crise, devienne bientôt, à cause de ses connexions catastrophiques avec la crise d’effondrement du Système, la “question du Système”. Ainsi de la situation française, telle que justement décrite par Zemmour comme mentionné plus haut : la polémique du “mariage gay” développée dans le champ social (“dans la rue” disent avec un mépris affiché et une terreur secrète les commentateurs-Système), manifestant en réalité une tendance antiSystème, devient par conséquent la question du Système. Bien évidemment, les dirigeants et élites-Système sont complètement incapables d’appréhender la question du Système, si seulement ils le voulaient. Littéralement, ils n’y comprennent rien, mais ils ont de quoi nourrir toujours plus angoisse et terrorisation de leurs psychologies.

Si la question du Système devient pressante dès qu’une polémique “sociétale” est développée sur le champ social laissé libre, c’est parce qu’elle implique nécessairement la dynamique destructrice du Système, – spécifiquement l’équation déstructuration-dissolution-entropisation (ou déstructuration, dissolution & entropisation, que nous pourrions résumer sous le sigle “dd&e” qui nous est cher puisque c’est aussi celui de notre publication-papier initiale, dedefensa & eurostratégie). L’instinct social de la psychologie révoltée reconnaît immédiatement cette attaque type-dd&e, qui met en cause tout ce qui tient ensemble le champ social, les traditions, l’organisation, etc., – bref, ce qu’on a coutume de nommer “civilisation”. C’est la raison conceptuelle, à notre sens, pour laquelle le mouvement anti-“mariage gay” est effectivement si susceptible de se transformer en mouvement antiSystème, si ce n’est déjà fait, posant un problème insoluble aux directions et élites-Système, – parce que le cas-“mariage gay” est perçu d’un certain point de vue comme porteur de la dynamique type-dd&e. Ce qui nous importe bien entendu est qu’on en vienne à l’antiSystème, et nullement qu’on en reste aux débats sur le “mariage gay” qui prolonge faussement et d’une façon stérile la querelle des anciens et des modernes, en contenant l’affrontement au niveau des sarcasmes et du mépris. Pour nous, le “mariage gay” n’est pas un problème de civilisation puisque la civilisation n’existe plus (nous sommes dans la “contre-civilisation” depuis le “déchaînement de la Matière”) ; c’est un moyen, une clef ouvrant une voie d’accès à la dynamique antiSystème... Ce n’est nullement diminuer son importance, bien au contraire.

Le paradoxe inhérent nécessairement à ces reclassements impératifs nous est offert jusqu’à l’extrême par le cas de l’héroïque soldat Manning par rapport à la Gay Pride de San Francisco. Ainsi les gays eux-mêmes, à qui l’on offre pourtant beaucoup en fait de statut identitaire, se trouvent confrontés à une attaque type-dd&e contre eux-mêmes, lorsqu’ils découvrent le cas qu’on fait du soldat Manning, qui est l’un des leurs, et l’un des plus héroïques d’entre tous. Pire encore, et pour renforcer la plaidoirie de l’extension à l’antiSystème, l’implication du corporate power pour soutenir la Gay Pride, mise en évidence par Greenwald, ressemble encore plus à cette sorte d’attaque type-dd&e, – ainsi, dans tous les cas à notre estime, nombre de militants gaysdevraient-ils le ressentir dans cette affaire. Ainsi le mouvement gay est-il menacé dans sa cohésion, du fait de cette attaque type-dd&e justement, alors qu’il semblait au contraire avoir en tant que tel les faveurs du Système. (C’est ce que nous exprimions dans le texte du 29 avril 2013 en écrivant : l’asservissement institutionnel des organisations gay «n’a évidemment rien à voir avec le sentiment des gay-militants, selon ce qu’il en est. C’est à eux de comprendre ce qui se passe précisément, ce qui est fait en leur nom et quel but servent d’abord la sollicitude officielle qui les entoure et les réformes fondamentales qui leur sont offertes. C'est un défi redoutable qu'ils ont à relever.»)

On dira bien entendu que ce processus (élimination du cas Manning, implication du corporate power, asservissement des dirigeants de la Gay Pride) est connu  : on le nomme “récupération”, et même les dirigeants de mai-68, convertis en notaires, en meneurs de talk-shows, en députés européens et tutti quanti, ont suivi la voie. Mais ce qui fait ici toute la différence, au point qu’on puisse parler plutôt de “dd&e” que de récupération, c’est le rythme, la rapidité de la chose (la récupération), qui rendent la tension, l’affrontement, l’antagonisme inévitables, même à l’intérieur des phénomènes sociétaux qui profitent des largesses du Système, qui se trouvent divisés par lui, dont certaines parties vont se retrouver dissidentes dans le champ social. On les retrouvera, ceux-là, dans les manifs anti-“mariage pour tous” reconverties en dynamique antiSystème.

Ainsi la doctrine “sociétal versus social” porte-t-elle ses limites tragiques pour le Système, en aggravant une situation qu’elle prétendait (certes, sans beaucoup de conviction) résoudre. D’une certaine façon, c’est vrai, le “sociétal” liquide le “social” ; mais, par les conséquences inattendues de l’acte, telles qu’on les a vues, il permet au “social”, non pas de ressusciter, mais de se transmuter en antiSystème... Transmutation pour transmutation : la transmutation du sociétal en social liquidant le social, obtient comme résultat la transmutation du social moribond en antiSystème. Et l’on sait bien que l’antiSystème est, pour le Système, par définition, un adversaire infiniment plus coriace que le social.