Stratégie pour une impasse

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Nouveauté notable, le président des USA (dito, BHO) s’est rendu sur place, au Pentagone, pour annoncer la “nouvelle stratégie” de ces mêmes USA. D’habitude, le Président fait cela de la Maison-Blanche, pour mieux marquer le caractère solennel de la chose. Nous verrions dans ce déplacement un signe symbolique de deux chose qui se complètent après tout : 1) que le fondement de cette stratégie se trouve au Pentagone, ce qui est logique, mais qu’il se trouve plus précisément dans les problèmes insolubles où se débat le Pentagone, ce qui n’est pas une surprise ; et 2) que le président, comme les autres d’ailleurs, est effectivement prisonnier, pour ce qui concerne la sécurité nationale et la politique qui lui est liée, de l’impasse indestructible et impénétrable, et tout à fait immédiate au contraire de sa stratégie, engendrant des myriades d’impasses secondaires, où se trouve le Pentagone.

Certes, le document nous dit bien des choses qui sont déjà chaudement débattues, contestées, louées, dénoncées, etc. Il s’agit de choses grandioses, qui parlent de l’avenir (on reviendra sur ce “détail”)… On mentionnera les deux principales “annonces” dans ce sens, sans aller, nous, dans le détail.

• C’est l’annonce que les USA ne peuvent plus concevoir, avec leurs moyens en diminution accélérée, de faire “deux guerres à la fois”. Encore faudrait-il définir de quelles “guerres” il s’agit, ce dont on se gardera prudemment. Les “guerres” actuelles, données comme “régionales”, “de basse intensité” ou “antiguérilla”, sont devenues si catastrophiques dans leur manufacture du côté du bloc BAO qu’elles mobilisent autant sinon plus de moyens techniques, technologiques et budgétaires que les “grandes guerres conventionnelles” classiques, pour des résultats en général catastrophiques, – de l’Irak à l’Afghanistan. D’une façon générale, on présente cette nouvelle stratégie comme une diminution de deux à “une guerre à la fois” par rapport aux capacités US de l’après-guerre. En réalité, ces capacités de l’après-guerre (à partir de 1945) étaient de “deux guerres et demi à la fois”, soit deux “grandes guerres conventionnelles” (type Europe et Pacifique en 1941-45) et une “guerre de basse intensité” à la fois. Aujourd’hui, il semble qu’on envisage, – à part le cas apocalyptique d’un conflit général et mondial dont nul ne sait plus ce que cela représente, – le passage de deux à une guerre “de basse intensité”, soit de deux à “une demie guerre” selon la terminologie des années 1945-1970. On serait donc passé de “deux guerres et demi à la fois” à une seule “demie guerre”. Ainsi devrait-on prendre bonne mesure de la chute de la puissance US, par rapport à sa sortie éclatante du deuxième conflit mondial.

• L’annonce d’un tournant de l’orientation stratégique vers la Chine, ou plus justement dit “contre” la Chine. Puisqu’il faut bien qu’une stratégie ait quelque chose de “stratégique” dans le sens américaniste du terme, il faut bien désigner une “menace”, et le nom de la Chine vient naturellement à l’esprit assez étroit et conventionnel des stratèges ; nous disons “étroit“ et “conventionnel” parce que l’idée même de la stratégie, au sens militaire où l’entend évidemment le Pentagone, – que peut-il entendre d’autres ? – est une idée aujourd’hui complètement dépassée dans la primauté qu’on avait coutume de lui accorder ; elle est dépassée, comme l’est la notion de géopolitique comme mesure essentielle de la puissance. Nous ne cessons de répéter, avec le rappel de notre concept d’“ère psychopolitique” qui a remplacé celui de la géopolitique, que la puissance, aujourd’hui, se forme beaucoup plus avec le système de la communication qu’avec le système du technologisme, qui est le fondement et l’outil principal de la stratégie selon la géopolitique, et qui est en dans une crise si profonde qu’on peine à en distinguer le fond. (Un seul exemple qu’il faut garder à l’esprit comme mesure profonde de la crise du système du technologisme, celui de la “technologie furtive” dans l’aéronautique, décrit depuis un tiers de siècle comme “le Saint-Graal de la technologie”, qu’on peut résumer, comme mesure quantitative de la catastrophe, qui repose sur l’échec qualitatif de la technologie, sur ce constat assez simple – extrait de notre texte du 26 septembre 2011 : «les USA ont eu quatre programmes d’avions de combat depuis la fin des années 1970, tous à technologies furtive (le F-117, le A-12, le B-2 et le F-22, – en excluant le F-35 dont on dirait qu’il est “en cours de difficultés” plutôt qu’“en cours de développement”) ; ces quatre programmes devaient aboutir à la production de 2.378 exemplaires, selon la programmation initiale ; la production totale des quatre a atteint 267 exemplaires, et dans des conditions d’une complète incertitude (exemple de l’immobilisation au sol des 187 F-22 qui serait sur le point de se terminer après une durée de quatre mois)…» Aussi prendrons-nous ce choix du “tournant stratégique vers la Chine”, après tout, comme un exemple de “stratégie de la communication” ; une façon de donner du grain à moudre aux planificateurs du Pentagone, aux programmes d’armement en espérant qu’ils arrivent au terme de leurs retards sans cesse renouvelés (JSF blues), et aux discours réguliers du secrétaire à la défense.

Il y a, dans cette “nouvelle stratégie”, beaucoup d’autres choses pour l’avenir, dont on débattra sans aucun doute avec délice, et qui concernent l’avenir… Ainsi se trouve bien la démonstration que cette “nouvelle stratégie” est d’abord un acte de communication, ou un “coup” de communication, hommage rendu à la puissance du système de la communication (avec éventuellement l’avantage électoral hypothétique pour BHO d’avoir semblé faire quelque chose vis-à-vis du très, très cher Pentagone) : cette nouvelle stratégie, en effet, pour nous fait croire qu’il y a un avenir, pour la puissance US, pour la puissance du Système, pour la puissance tout court selon les conceptions de la modernité et de l’“idéal de puissance”. Par conséquent, le plus intéressant est bien dans cette évidence que la nouvelle stratégie nous parle de la situation dans 10, 15, 20 ans et ne nous dit pas un mot de ce qui est tout simplement l’immédiat, simplement l’année 2012, simplement la crise budgétaire dans laquelle est plongé le Pentagone, crise à observer de concert avec celle du gouvernement et du Système en général ; et cette crise budgétaire liée à un mécanisme de réduction automatique (“sequestration”) dont le Congrès et le président, qui ont enfanté ce monstre, sont les prisonniers. Cette crise budgétaire, bien sûr, n’est qu’un des nombreux éléments de la crise du Pentagone et du Système, absolument actuelle et immédiate elle aussi (on a cité plus haut la crise du technologisme) ; elle a tout de même un charme particulier, puisqu’elle nous conduit au cas suprême de l’impasse dans l’inversion, c’est-à-dire l’impasse devant et derrière (et à droite et à gauche aussi, sans doute) ; l’impasse intellectuelle par dessus tout, qui est de croire que c’est en donnant plus d’argent au Pentagone qu’on le délivrera de ses peines, alors qu’on ne fera qu’accroître le gaspillage, la corruption, les erreurs (Winslow Wheeler a beaucoup travaillé sur cette idée qui nous est chère, – voir, par exemple, le 31 juillet 2010, le texte sur “le Pentagone comme tonneau des DanaÏdes”)… Ainsi va le Pentagone, ligoté des deux côtés sinon des quatre points cardinaux, – avec plus d’argent il s’enfonce dans ses errements, avec moins d’argent sa planification faussaire s’effondre et le système se bloque. Et cela, c’est donc bien aujourd’hui, en 2012, en 2013 et la suite.

…C’est ce qu’écrit, sur le seul point du processus dit de “sequestration”, Philip Erwing dans DoDBuzz.com, ce 5 janvier 2012. Erwing, pourtant commentateur bien modéré, observe qu’Obama est venu faire un cadeau empoisonné à son secrétaire à la défense Panetta en lui offrant une belle perspective d’avenir à partir d’une situation actuelle qui est une impasse complète, dont personne ne possède la clef.

«…Obama’s sanguine characterization that DoD has, and will continue to get, plenty of money puts him at odds with Panetta and his top lieutenants. They have screamed for months about how tough it would be just to deal with their first round of budget reductions, and how the prospect of next year’s “sequestration” would simply be unthinkable.

»Obama did not mention sequestration at his visit to the Pentagon, and Panetta only threw in a cursory reference at the end of his remarks. Panetta and Deputy Secretary of Defense Ash Carter were both asked whether they thought the sacrifice that Thursday’s rollout represents would buy DoD enough good will with Congress for it to avert sequestration. They both said, effectively, we hope so.

»And yet Obama has put Panetta in a bind: Obama has vowed to veto any attempt by Congress to let the Pentagon escape sequestration unless it’s part of a “comprehensive” $1.2 trillion deficit reduction bargain — the one the supercommittee couldn’t get. So Panetta has to oppose a congressional escape route, too. House Armed Services Committee Chairman Rep. Buck McKeon and other lawmakers are trying to throw the Pentagon a lifeline, but it just …. can’t … reach!

»This and other melodramatic scenes will again become commonplace this year, as the two sides both warn about the dangers of the budget guillotine while at the same time dismissing it. DoD still apparently does not plan to plan for the possibility, and Hill defense advocates apparently have given up on trying to get the “comprehensive” deal that the White House wants. Everyone just appears to assume the worst won’t happen.

»So after all the D.C. hubbub about Obama’s visit and Panetta’s rollout — the impasse continues


Mis en ligne le 6 janvier 2012 à 10H54

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