START (II), ou les affinités contrariées

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D’un côté, l’impressionnant ministre russe des affaires étrangères Sergeï Lavrov nous dit que le traité START-II comprendra sans le moindre doute un “lien” (“linkage”) entre l’offensif (les missiles et vecteurs stratégiques) et la défense anti-missiles (ABM).

Le 16 mars 2010, selon Novosti… «“Ne vous inquiétez pas, l'interdépendance (de la réduction des armes stratégiques et de la défense antimissile, ndlr) sera juridiquement consacrée (dans le nouveau document), il n'y aura pas de problèmes là-dessus", a indiqué M. Lavrov lors d'une conférence de presse à l'issue d'un entretien à Moscou, avec son homologue ukrainien.»

D’autre part, on peut se reporter avec intérêt à une autre dépêche Novosti du 11 mars 2010, qui reprend l’essentiel d’un article du quotidien Nezavissimaïa Gazeta du même jour. L’article relate quelques péripéties à la suite d’une décision russe de repousser la signature du traité…

«Moscou repousse la signature d'un nouveau Traité de réduction des armes stratégiques offensives (START) avec Washington, a annoncé le président russe Dmitri Medvedev à son homologue américain Barack Obama dans un entretien téléphonique, rapporte jeudi le quotidien russe Nezavissimaïa Gazeta.

»A un moment donné, écrit le journal, M. Obama a eu l'impression que les parties étaient sur le point d'achever la mise au point du document. “Cependant, à la grande surprise du président américain, M. Medvedev a déclaré qu'il n'était pas prêt à signer le document et a soulevé des questions requérant une discussion supplémentaire... Après avoir raccroché, M.Obama s'est rendu compte avec amertume que les positions des parties n'étaient effectivement pas aussi proches et a dépêché de nouveau ses négociateurs à Genève”, relate le quotidien.»

Le même article cite l’interprétation de la situation par Alexï Arbatov, expert de ces questions. «“Les négociations ont subi un coup de frein, c'est un fait”, a indiqué Alexeï Arbatov, directeur du Centre de la sécurité internationale de l'Institut de l'économie mondiale et des relations internationales (Russie).

»Selon M.Arbatov, la Russie a ainsi décidé de protester contre une décision unilatérale de Washington, celle de déployer un système ABM tactique-opérationnel dans le sud de l'Europe sans avoir consulté Moscou. Et d'ajouter que le déploiement d'éléments du projet en Roumanie et Bulgarie était entériné en dehors du mécanisme russo-américain d'évaluation conjointe des menaces qui devrait déjà fonctionner. […]

»M.Arbatov estime que le nouveau Traité doit être signé d'ici le 12 avril prochain, date de l'ouverture du sommet sur la sécurité nucléaire à Washington. En mai, une Conférence d'examen du Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP) est programmée. “Si le document n'est pas signé d'ici là, ce sera un fiasco total”, a-t-il ajouté.»

Notre commentaire

@PAYANT …Le même jour (hier), des députés de la Douma ont réaffirmé que le Parlement russe ne ratifierait pas le nouveau traité si ce lien offensif-défensif n’était pas effectivement affirmé d’une façon juridique et formelle. D’autres commentaires, de sources informelles à Bruxelles, indiquaient que «l’enjeu actuel, du point de vue russe, est d’arriver à faire comprendre à l’establishment de Washington qu’il n’y aura pas de traité sans ce lien entre les armes offensives et les armes défensives…» Il faut noter que cette dernière remarque concerne effectivement l’establishment et non Obama, qu’on découvre par ailleurs, au travers de l’article cité, bien mal informé par ses propres services de l’état des négociations puisqu’il faut que Medvedev lui téléphone pour le mettre au courant.

La scène est donc bien campée et a l’avantage de la clarté de l’enjeu et de la rigueur chronologique: il faut signer le traité avant le 12 avril et il n’est pas question, pour les Russes, que le “lien” n’apparaisse pas formellement (de toutes les façons, Medvedev et Obama sont d’accord sur le principe de la chose depuis juillet 2009 et leur sommet de Moscou). Tous les verrous sont en place, jusqu’à la très démocratique Douma qui entend jouer son rôle sans la moindre réserve. La bataille se déroule donc aujourd’hui entre les Russes, aux côtés d’Obama, bien isolé au milieu du désordre washingtonien, et les diverses bureaucraties du système de l’américanisme qui veulent empêcher par tous les moyens possibles que ce “lien” qui soumet les système ABM au contrôle du traité y figure explicitement.

Il s’agit d’une bataille typique avec la machinerie du système dont le contrôle est de plus en plus difficile à assurer. Lorsque nous parlons de “système”, nous parlons évidemment de Washington, Moscou apparaissant beaucoup plus souple dans son fonctionnement et dans le suivi de cette négociation. Aujourd’hui, les USA tiennent le rôle de l’URSS d’antan, à la puissance mille, – du temps où l’on ne s’était pas encore aperçu que les USA étaient d’ores et déjà une machinerie bureaucratique totalitaire. La question est, sur le fond, d’une simplicité évidente, et le dossier russe tout aussi évident. Un traité de contrôle des armements stratégiques ne peut pas faire une seconde l’impasse sur une défense anti-missiles dont les capacités stratégiques au moins potentielles sont l’évidence même, d’ailleurs clamées par tout l’appareil de communication du Complexe militaro-industriel qui ne tarit pas d’éloge sur les vertus technologiques de ses productions.

On reconnaît, dans le comportement US, disons “hors-Obama”, toute la stupidité et l’aveuglement nihiliste propre à cette sorte de système. Aller signer un engagement de déploiement d’un système ABM avec les Roumains en plein milieu de la phase finale de négociations d’un traité majeur dont la pierre d’achoppement concerne ces anti-missiles, et cette signature sans consultation des Russes, montre bien que nous avons affaire à une logique de système où les hommes et les femmes, fonctionnaires de la bureaucratie, tiennent le rôle de robots exécutant les ordres d’une logique qui n’est plus sous le contrôle de la direction politique. En effet, le cas est trop flagrant pour ne susciter une réaction immédiate des Russes (report de la signature du traité), et trop flagrant pour ne pas susciter une réaction de consultation (coup de téléphone de Medvedev) qui amène une réaction d’Obama contre laquelle, lorsqu’elle se concrétise en ordre politique formel, la bureaucratie ne peut rien.

Nous nous trouvons en pleine séquence grotesque par sa lourdeur et son absence de discernement du système tournant à fond selon l’inspiration du technologisme que le Russe Rogozine dénonçait en juillet 2008, et voulant à tout prix empêcher la perte de cet “avantage” qu’il juge avoir avec les anti-missiles. Il faut commencer à juger d’une façon décisive ces péripéties en termes de systèmes et non plus en termes stratégiques ou d’avantages militaires, ou même de manœuvres politiques. L’enjeu du traité est tel, comparé aux “avantages” des systèmes anti-missiles, que nous sommes effectivement conduits à cette forme de réflexion. Il s’agit d’une véritable bataille contre une mécanique, tournant folle selon les conceptions humaines mais tournant bien selon sa propre logique, qui organise et conduit le comportement opérationnel des bureaucrates des divers services impliqués. Le pouvoir politique, disons “humain”, en la personne d’Obama dans ce cas, a de moins en moins de capacité de contrôler ce système. Les Russes, qui ont une bonne expérience de cette sorte de situations, semblent avoir décidé de tenir le président US régulièrement informé du comportement du système qui, contrairement aux apparences, est en charge du fonctionnement du pays à la tête duquel ce même président a été élu.


Mis en ligne le 17 mars 2010 à 10H37

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