Spasmes nerveux autour de l’illégitimité

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Spasmes nerveux autour de l’illégitimité

13 avril 2013 – Comme nous l’avons laissé entendre, nous revenons sur l’article des époux Leverett concernant l’accueil réservé par les commentateurs-Système à Washington à leur livre Going to Teheran (voir le 11 avril 2013). Cet article détaille en effet d’une façon exceptionnellement minutieuse les conditions de cet accueil, et l’exemple est parfait en effet parce que le Système ne pouvait pas se cantonner dans sa tactique préférée du silence face à un événement intellectuel et de communication qui le met en cause. Nous nous en sommes expliqués rapidement, la position et l’évolution du couple Leverett étant assez significatives à cet égard.

«Il était impossible au Système, par rapport aux us et coutumes de ses employés, de ne pas parler du livre des Leverett, à la fois à cause de la puissance et de l’originalité de l’ouvrage, à la fois à cause de la personnalité exceptionnelle des auteurs, tant par leur passé exemplaire à l’intérieur du cœur du Système que par leur notoriété et leur expertise actuelles ; les Leverett ont imposé leur cadre intellectuel devenu subrepticement mais puissamment indépendant (à cause de leur évolution) à partir d’une (de leur) situation que ne pouvait rejeter le Système puisque situation définie par lui-même et au cœur de lui-même.»

La chance que nous avons avec ce cas est que les époux Leverett apparaissent absolument déterminés, aussi bien intellectuellement (sur le fond) que par rapport à leur situation critique dans le Système (sur la forme), à poursuivre leur effort d’une façon offensive portant justement sur le fond (la politique iranienne des USA, – du bloc BAO) et aussi sur la forme (la façon dont le Système tente de discréditer leur démarche par la calomnie et des actes de diffamation ad hominem). Les réactions décrites en détails par eux sont donc extrêmement détaillées, accusatrices, mettant en cause implicitement et explicitement nombre de ces commentateurs-Système et leur méthode. Elles nous permettent de mesurer la vigueur des sentiments, presque jusqu’à la perte de contrôle…

On notera, pour rappel, quelques-unes de ces précisions.

• «Mark Bebawi […] notes, though, that because the book’s analyses and arguments are “going against the tide,” mainstream reaction to Going to Tehran is “full of all sorts of accusations about what your motives might be” for having written it—including “everything from accusations of being agents of the Iranian government to being a disgruntled employee.”»

• «…Expatriate Iran “experts” […]are given platforms in mainstream outlets like The New Republic, Survival (the journal of the International Institute for Strategic Studies), and the Wall Street Journal — not to take on, in any intellectually serious way, our historically documented, thoroughly referenced assessments of these matters, but to dismiss us as “morally deformed” and “apologists” for evil. (Anti-Islamic Republic Iranian expatriates aren’t the only ones to label us as “apologists.” No less than Dennis Ross describes us this way—and, to be fair, what American knows more about explaining away another country’s crimes than Dennis Ross—as has The New Republic in its own editorials.)»

• «…Because Hillary is Jewish, interned at AIPAC as a young student, worked at the Washington Institute for Near East Policy early in her career, but has clearly moved far beyond the pro-Israel mantras that warp America’s Middle East debate, Jeffrey Goldberg opined in The Atlantic that she has “lost her bearings.”»

• «…The New York Times assigned its “review” of our book to one of the leading journalistic cheerleaders for the Green movement which, after Iran’s 2009 presidential election, was romanticized by Western pundits as a mass popular uprising poised to sweep away the Islamic Republic, perhaps within a few months. The mainstream commentariat has never forgiven us for our utterly accurate appraisal of the Greens’ weaknesses and our spot-on assessment that, even at its height, the movement never represented anything close to a majority of Iranians living in their country. The Times review would have readers think that, by being right when everyone else (including the reviewer) were spectacularly wrong, we are morally dubious “partisans” whose analyses shouldn’t be taken seriously.»

• «…One of the more remarkable aspects of critical reaction to Going to Tehran is how even some commentators who profess openness to the basic idea of “engaging” Iran want to read us out of proper policy debate because we refuse to endorse conventional but ill-informed and un-nuanced criticisms of human rights conditions in the Islamic Republic.»

• «…More broadly, Hirsh’s rejection of our argument for strategically-grounded engagement with the Islamic Republic (an argument for which he professes sympathy) because we won’t pay obeisance to Washington norms requiring those advocating better relations with Iran to modulate their advocacy with periodic expressions of disgust with human rights conditions there highlights a powerful barrier to a more rational Iran debate. For Hirsh is not alone. We’ve had any number of people—including some for whom we have great respect and even affection—privately counsel us, before Going to Tehran was published and after, to moderate our “tone.” For some, this meant fewer references to “the Islamic Republic” and more to “Iran.” For others it meant regular acknowledgement, even if only in passing, of various “deplorable acts” by Iran’s government.»

Ce qui est remarquable, par conséquent, c’est bien l’absence presque totale de bataille argumentaire d’aucune sorte. D’une part, il y a ceux qui sont hostiles, nous dirions “par religion”, à toute forme de négociation et d’accommodement avec l’Iran parce qu’ils jugent ne pas être, ni en face d’un pays, ni en face d’une politique, mais en face d’une menace pure d’anéantissement (d'Israël, en général). Dans ce cas, pour ce parti, à part les sanctions maximales poursuivies par une attaque, aucune option “n’est sur la table”. Ceux-là n’envisagent effectivement pas, et assez logiquement selon leur position extrémiste, la moindre discussion argumentée sur les propositions des Leverett. Leur intervention consiste à expliquer le livre et ses propositions aberrantes sinon démentes par des faiblesses individuelles graves tenant au seul comportement, jusqu’à la subornation, la trahison et ainsi de suite. Il s’agit d’envoyer les deux relaps au bûcher sans autre forme de procès, – parce que leur procès n’a nul besoin d’être fait, naturellement, et que le jugement va de soi dans la mesure où il porte sur le comportement des personnes et nullement sur leur production commune : le haut fonctionnaire bushiste, traître à son serment d’une part, l’experte de naissance juive qui a trahi la nécessité politique s’attachant à cette condition de défense d’Israël par toutes les temps et à toutes les occasions.

D’autre part, il y a ceux qui ne sont pas nécessairement hostiles au parti où la thèse des Leverett pourrait être placée, qui est celui des négociations avec l’Iran. Leurs interventions concernent la présentation qui est faite de la thèse des Leverett ; ils réclameraient qu’elle soit nuancée de quelques allusions, remarques-en-passant, ou diverses autres démarches qui semblent en apparence assez innocentes. Il s’agit pourtant de précisions tout aussi décisives que la position des extrémistes consistant à poser de facto la non-existence de l’Iran en tant que pays, État, etc. (“parce qu’ils jugent ne pas être, ni en face d’un pays, ni en face d’une politique, mais en face d’une menace pure d’anéantissement…”). Finalement, ces suggestions des “modérés” non hostiles à la thèse des Leverett consistent à laisser entendre, après avoir plus ou moins accepté ou toléré une proposition d’une politique qui condamne l’esprit de l’action politique des USA jusqu’à maintenant, que les USA n’ont tout de même pas tout à fait tort, c’est-à-dire, – parce qu’il n’y a pas de demi-mesure dans ce cas, comme on va le voir, – qu’ils ont eu et qu’ils ont complètement et absolument raison. Ceux-là, dont certains sont des proches des Leverett, ne traitent pas les Leverett de relaps, au contraire, mais attendent qu’ils laissent entendre, par un mot ou l’autre, une remarque, une accentuation, etc., que le régime iranien est illégitime, et que cela doit être rappelé comme allant de soi. Leur démarche revient indirectement au même traitement de l’Iran que les plus extrémistes : il faut certes tenter de s’arranger avec l’Iran, sans doute par crainte d’un conflit qui serait catastrophique ou que les USA ne sont pas en mesure de mener, sans aucun doute à des conditions favorables aux USA, mais en niant que l’Iran mérite par lui-même, par sa légitimité, un tel traitement, – parce que la chose est illégitime et ne mérite donc pas un tel traitement…

Bien entendu, les deux partis, les deux sortes de réactions, finalement s’équivalent dans l’effet intellectuel obtenu, pour contrevenir directement à l’assise principale, sinon fondamentale et sine qua non, de la thèse des Leverett, à savoir l’absence totale, non seulement de capacités, mais même de volonté de la part des USA de comprendre précisément ce qu’est l’Iran depuis 1979 et la chute du Shah, et de l'accepter tel qu'il est, et notamment en reconnaissant par le fait sa légitimité. Ce point est nettement exprimé dans un extrait de leur livre Going to Teheran, paru dans Harper’s, et que les Leverett reprenaient dans un récent article (voir le 9 décembre 2012) :

«In the more than thirty years since the Iranian Revolution, Western analysts have routinely depicted the Islamic Republic as an ideologically driven, illegitimate, and deeply unstable state. From their perspective, Iran displayed its fanatical character early on, first in the hostage crisis of 1979-81, and shortly afterward with the deployment of teenage soldiers in ‘human wave’ attacks against Iraqi forces during the 1980s. Supposedly the same Shi’a ‘cult of martyrdom’ and indifference of casualties persist in a deep attachment to suicide terrorism that would, if Iran acquired nuclear weapons, end in catastrophe. Allegations of the Iranian government’s ‘irrationality’ are inevitably linked to assertions that it is out to export its revolution across the Middle East by force, is hell-bent on the destruction of Israel, and is too dependent for its domestic legitimacy on anti-Americanism to contemplate improving relations with the United States.»”

Le principe de l’antiPrincipe

Comment peut être résumée cette attitude de critique du livre des Leverett, telle qu’eux-mêmes la présentent, par rapport aux composants de leur thèse ? Essentiellement, à notre sens, par une négation massive de la légitimité du régime en place en Iran, jusqu’ à nier son existence, son être, son essence. Les racines de cette position sont extrêmement fortes, fixées depuis plus de trente ans et exacerbées depuis 2005, et conduisent pour les plus extrémistes à la négation affirmée de l’existence de l’Iran en tant qu’État, et pour les plus modérés à la suggestion que cela pourrait bien être le cas, après tout. Le cas Leverett met en évidence une cristallisation et l'expression d’une attitude, qui nous fait penser, lorsqu’elle est confrontée avec d’autres faits et d’autres tendances, qu’on se trouve à un point essentiel de l’évolution de la pensée, ou plutôt de la psychologie américaniste, cela sous l’influence de plus en plus grande du Système et la pénétrabilité par le Système de la psychologie américaniste de plus en plus affaiblie. Si ce point s’exprime dans le cas qui nous occupe à propos de l’Iran, il concerne en vérité une conception générale qui s’applique à tous les cas dont à traiter l’américanisme dans le chaos de l’actuelle crise d’effondrement du Système. (En effet, en même temps qu’il est en pleine dynamique de surpuissance comme le montre son influence décisive et de plus en plus profonde sur la psychologie américaniste notamment, le Système développe parallèlement et presque dans le même élan jusqu’à confondre les deux, une dynamique d’autodestruction.)

Le cas du nucléaire iranien, d’ailleurs embourbé dans une multitude de contradictions, d’évaluations antagonistes, de déclarations divergentes, et aussi bien à l’intérieur du camp washingtonien d’ailleurs, devient, dans cette appréciation, secondaire dans la hiérarchie et la forme des motifs, des événements et des perspectives. Il devient un outil, un moyen de justifier une attitude (plutôt qu'une politique), voire un artifice complet dissimulant de moins en moins la substance de cette attitude. D’une façon radicalement différente dans le développement du processus envisagée, c’est la notion de regime change qui prend le dessus et, au-delà, la notion de regime change dépasse même sa propre signification (remplacer un régime par un autre) pour atteindre une sorte d’absolu : l’illégitimité du régime de la République islamiste étant avéré, c’est l’existence même de ce régime qui est niée, et éventuellement le pays représenté lui-même. Le regime change devient alors une doctrine d’une sorte de regime making, (éventuellement political-fabric making) : là où il n’y a rien, puisque l’Iran en tant que tel n’existe décidément pas, il faut installer une structure légale, un “régime” (et, bien entendu, ce ne peut-être qu’une duplication du régime de l’américanisme, mais en vérité du régime conforme au Système, d’un régime-Système en une expression forgée pour répondre à l évidence).

A cette lumière, regime change, révisé comme il convient en regime making n’est plus du tout une manigance, une manœuvre, une tactique, voire une stratégie, c’est un absolu de la soi-disant politique, – c’est la soi-disant politique même. Là où il n’y a pas intention de regime change chez l’autre, mais de regime making, il n’y a simplement pas de politique dans la démarche mais simplement un diktat, un geste posé chez l'autre comme si l'autre n'existait pas. Le reste, (les marchés, les réserves pétrolières, les intérêts dans un pays conquis, ou soumis, ou sous influence, etc.), accompagnant et ornant les explications courantes de la stratégie du regime change qui n’est plus une stratégie mais qui est devenue un absolu, acquièrent eux aussi une place secondaire, – l’évidence des rapines qui vont avec. C’est dire que nous avons là aussi, comme en bien d’autres domaines, changé d’époque : nous ne sommes plus dans les temps bushistes de diffusion de la “démocratie” américaniste, qui constituait un argument pour une poussée qui s’imaginait être expansionniste (narrative des neocons, avant-garde des idiots utiles du Système accouchant de la politique-Système), qui constituait une démarche subjective bien que basée sur la vertu objectivement affirmée de la démocratie. Ce caractère objectif de la vertu a pris le dessus, il a objectivé la politique, et la politique est devenue un absolu, disparaissant en tant que politique pour se constituer en une pseudo-dynamique en forme de diktatavec pour fonction de combler le vide du rien que sont l’Iran et son régime… Bien entendu, toute cette rhétorique à propos de l’Iran doit et devra s’appliquer à toutes les actions de regime change s’exerçant un peu partout, – explication par l’évidence de la prolifération de cette “politique” qui n’en est pas une. Le cas de la Russie avec l’idée d’un McFaul justifiant l’“agression douce” (implicite regime change) avec comme référence un global concept quasiment objectif au-dessus de tout pour justifier cette non-politique devenue un absolu acquiert toute sa puissance. Toutes ces idées se retrouvent bien entendu dans des thèmes tels que, justement, celui de l’agression douce et celui de l’infraresponsabilité. La clef explicative se trouve dans le Système, et précisément la politique-Système. Cette interprétation conduit à la conclusion que les USA et Washington ont subi une étape supplémentaire dans l’infection de leur psychologie par l’influence du Système.

Il s’agit effectivement de sembler conduire une “politique” conforme aux pressions de la politique-Système tout en tentant de justifier de cette “politique” d’un point de vue rationnel, – tâche impossible, justement si l’on s’en tient au cadre rationnel, puisque la politique-Système ne tient aucun compte de la rationalité humaine, poursuivant les seuls buts de la déstructuration et de la dissolution. Pour tout de même habiller cette politique-Système qu’impose le Système, pour contenter la psychologie infiniment fragile et vulnérable des acteurs-Système, il faut développer une narrative satisfaisante. La trouvaille est alors de s’inventer une légitimité justifiant la politique-Système, et il n’y a pas de meilleur moyen pour cela que de nier la légitimité de l’adversaire, de tous les adversaires, et de résoudre sa propre absence de légitimité, son inexistence en un mot, en leur imposant cette légitimité-narrative fabriquée. Pour le cas qui nous occupe, cela a l’avantage de rencontrer une des obsessions historiques de la direction de l’américanisme qui est son absence de légitimité historique (c’est le caractère essentiel de la fondation des USA de l’avoir été sur un contrat dont nombre de clauses sont falsifiées, au mépris de l’Histoire, sinon contre l’Histoire). Affirmer l’illégitimité du régime iranien (et sa non-existence) revient de ce fait à affirmer incontestablement la légitimité du régime de l’américanisme. C’est au fond imposer l’apparence d’une bataille “principe contre principe”, qui n’est effectivement qu’une apparence et une tromperie puisque la démarche est du côté US appuyée sur le Système, destructeur du Principe par définition, et donc que le principe du côté US est complètement faussaire, – rien de moins qu’un antiPrincipe. Cette interprétation est pourtant la condition sine qua non pour justifier, dans le chef de la psychologie américaniste, cette fureur agressive sans fin, ce maximalisme belliciste (le Congrès en est le spécialiste) s’exerçant dans tous les sens et dans toutes les directions, cette “idéal de puissance” tombé au plus bas possible, au niveau de la Matière pure, en complet déchaînement.

Bien entendu, cette exigence de l’illégitimité des autres pour justifier leur propre légitimité inventée, c’est bien la seule chose qu’ils sont assurés de ne jamais obtenir. C’est ce qu’expliquent, pour le cas de l’Iran, les époux Leverett, parce que le régime iranien ne cesse au contraire de renforcer sa légitimité, alimentée par les pressions mêmes des USA (du Système). (Le même processus est à l’œuvre avec la Russie, où l’équipe dirigeante ne cesse de se renforcer à mesure que les pressions extérieures d’“agression douce” se renforcent.) Concernant l’Iran, les époux Leverett expliquent : «To avoid war, the United States will have to pursue rapprochement with the Islamic Republic as it is, not as some wish it to be. And this means accepting the Islamic Republic as, for most Iranians, a legitimate (even if flawed) state.»

La chose est donc tout simplement impossible, selon ce qu'on a dit plus haut. Alors, la guerre ? Même cela est non seulement loin d’être acquis, mais de plus en plus improbable à moins d’un accident, ou d’une initiative incontrôlée conduisant à un enchaînement incontrôlable. Le fait est, nous semble-t-il, qu’à force de parler d’attaque de l’Iran, il apparaît qu’en fait les USA ont peur d’un tel conflit, qu’ils ne cessent de se représenter comme de plus en plus potentiellement catastrophique, voire avec des conditions qui pourraient mettre en cause le régime américaniste lui-même (qui pourrait révéler sa propre illégitimité, en un sens, l’étaler au grand jour, le mettre décisivement en danger de mort à cause de cela, face à la réaction iranienne qui montrerait au contraire sa propre légitimité soi-disant inexistante)…

Par rapport à la guerre contre l’Irak, la question de la guerre avec l’Iran renverse complètement les données fondamentales. Certes, la dimension et la détermination de l’adversaire jouent leur rôle, mais c’est surtout parce que, entre 2003 et 2013, la structure interne des dirigeants et des acteurs du régime de l’américanisme, ce qui tient la force de leur psychologie donnant toute leur puissance à leurs arguments (si faux soient-ils, peu importe puisqu’il s’agit là de la force de la psychologie et non de la justesse du jugement), – cette structure interne s’est effondrée silencieusement et est en train de se volatiliser par dissolution. Il n’y a plus que le Système pour tenir l’américanisme, et non plus les valeurs propres de l’américanisme, sa narrative propre, sa conviction (même faussaire) ; ainsi les USA, qui ne pensent qu’à la guerre, qui ne parlent que de faire la guerre, qui ne sont capables que de faire la guerre, sont de moins en moins psychologiquement “armés” pour faire la guerre. Ils sont devenus illégitimes, même à leurs propres yeux. D’où cette agitation sans fin, ces menaces, ces invectives, ces flots de paroles, dont les seuls effets sont des mesures administratives et bureaucratiques (sanctions, pressions, etc.) d’une puissance repliée, contractée sur elle-même… Ces mesures sont dures pour ceux qui les subissent, mais nullement décisives (l’Iran est un bon exemple, qui est conduit à s’auto-suffire autant qu’il le peut, ou à susciter un dynamisme d’un monde “hors-bloc BAO”), et elles marquent sans aucun doute, par rapport à l’usage démonstratif de la puissance US dans les années 2001-2005, un repli extrêmement significatif ; et nous jugeons que ce repli est décisif, parce qu’il marque cette tare fondamentale, qu’est la délégitimation, l’autodestruction par l’antiPrincipe, dans le chef de Washington et de l'américanisme.

Alors, le débat sur l’Iran à Washington apparaît pour ce qu’il est en vérité, transformé en une espèce de laboratoire de la paralysie et de l’impuissance, une chute dans la politique-Système accompagnée de sa propre dissolution.L'“agression douce” prend une toute autre allure en devenant le champ d’affrontement autour de la question du Principe (légitimité, souveraineté, etc.) où l’américanisme, par sa constitution structurelle même, par son origine historique, est perdant d’avance. La position US, cette contradiction d’une psychologie déchirée, apparaît finalement faite d’agressivité belliciste, d’angoisse et d’impuissance, et ressort, plus que d’une attitude vis-à-vis de l’Iran, d’une attitude vis-à-vis de soi-même : le comportement US vis-à-vis de l’Iran tel qu’on l’a déterminé ressort d’abord de l’angoisse des USA vis-à-vis de leur propre illégitimité. Cette insuffisance principielle complète se réfugie dans un verbiage belliciste archi-extrémiste qui n’a pour effet d’une part que de renforcer sans cesse la paralysie de la politique et l’impuissance du système de l’américanisme, d’autre part de poursuivre un formidable travail de termites de l’édifice de puissance que constituait le système de l’américanisme. Face à l’Iran, et sans qu’au fond l’Iran n’ait rien à voir dans ce processus sinon en s’entêtant à exister, donc n'ait rien à faire finalement, l’américanisme poursuit en accélérant son processus de déstructuration et de dissolution.