L'“idéal de puissance”-doux

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L’“idéal de puissance”-doux

8 avril 2013 – Commençons par une comptabilité que nous avons eu la curiosité de faire, malgré notre peu de goût pour la chose. Le président russe Poutine est en visite en Allemagne (hier et aujourd’hui) ; important déplacement, qui a inspiré aux journalistes concernés de le présenter à mesure… Voici donc une interview de Poutine avant son déplacement en Allemagne, par Jörg Schönenborn, de la chaîne allemande ARD, dont le texte intégral est repris par Russia Today le 5 avril 2013. Notre comptabilité est celle-ci…

• L’interview comprend, toutes dispositions pratiques comprises (identification des questions-réponses, etc.), 24.833 signes typographiques et espace selon le comptage de la machine. (La comptabilité doit être fort précise grâce aux usages de l’informatique, nous nous en remettons à l'une et l'autre.)

• Cinq sujets sont abordés : la “crise” (?!) des ONG, savoir les mesures que la Russie appliquent en fonction des lois votées par la Douma concernant les organisations non-gouvernementales (ONG) selon leurs liens avec des gouvernements et donateurs étrangers (dont allemands pour certains) ; les relations de la Russie avec l’Allemagne, essentiellement économiques, la crise chypriote, la situation de l’euro et les relations avec l’UE, la crise syrienne.

• Dans cette interview, 11.008 signes sur les 24.833 recensés sont consacrés aux ONG, en deux parties  : la partie introductive (8.903 signes) et un retour de l’intervieweur sur la question, un peu plus loin (2.105 signes). Manifestement le sujet des ONG en Russie “écrase” tous les autres.

• …On pourrait croire que l’on se trouverait, avec l’affaire des ONG, au cœur grondant de la crise du monde, et que cette monstruosité développée dans la proportion des choses ne serait pas une simple gâterie faite aux mœurs et aux caprices des temps. Notre sentiment est bien que nos doctes et sérieux dirigeants politiques y croient vraiment : il s’agit bien de la chose essentielle.

Puisque nous sommes dans le “règne de la quantité”, ces rapports-là, quantitatifs, nous impressionnent, et nous pensons qu’ils disent déjà plus long qu’un long et ennuyeux discours sur l’état de cette étrange contre-civilisation, et sur l’état du bloc BAO (car l’Allemagne, c’est comme le reste pour ce cas, même si un peu plus) à l’intérieur de la susdite contre-civilisation. Pour paraphraser William Pfaff in illo tempore, nous dirions bien volontiers que nous évoluons “to finish in a burlesque of a counter-civilization”…

On a donc déjà, en même temps que se fait ou s’est déjà fait l’événement, comme par divination pourrait-on dire, une bonne idée du sujet qui dominerait ou aurait dominé, dans la perception qu’on en a déjà et qu’on en aura, les conversations entre Poutine et Merkel (nous parlons de perception, dans le chef du système de la communication, et non de l’apparence de ces conversations telle que nous l’offrent en général les communiqués suivant ce genre de choses). Un article de l’agence Novosti, le 5 avril 2013, développait le sujet et décrivait les réactions allemandes, certaines de ces ONG étant financées par l’Allemagne, devant le processus de vérifications en cours en Russie auprès des ONG (la presse-Système nomme cela des “raids” officiels contre les ONG) : «“I don’t know how sharp the nature of the exchange of opinions will be, but you know what the mood is ahead of the visit, and it is clear the chancellor will raise the issue of NGO inspections,” presidential aide Yury Shashkov told journalists on Friday.»

Le même Russia Today accompagne le texte intégral de l’interview qu’il publie d’un texte de présentation de cette interview, avec commentaires, le 6 avril 2013. En quelques phrases qu’il est bon de reproduire, RT résume le propos de Poutine sur cette question et donne une bonne mesure de la situation de ce que nous nommons “agression douce”. (Les précision suivantes, apportées par Poutine, sont intéressante à noter, là aussi lumière apportée par le “règne de la quantité” sur la situation de ceux qui respectent les principes dont celui de la souveraineté, et ceux qui n’en ont semble-t-il jamais entendu parler : il existe deux ONG à l’étranger qui sont financées par la Russie, il existe 654 ONG en Russie financées par des pays étrangers. Dans les quatre derniers mois qui ont suivi le vote de la loi par la Douma sur le contrôle des organisations financées par l’étranger, loi qu’on reproche violemment à la Russie et qui est similaire à celle qu’appliquent les USA depuis 1938, les missions diplomatiques en Russie ont dépensé un $milliard en Russie, dont $855 millions ont été sur les comptes des ONG… Par respect pour la puissance et l’activité financières rayonnantes des USA essentiellement, et de quelques comparses ici et là du bloc BAO, on fera l’hypothèse de l’évidence concernant l’essentiel de l’origine de ces dollars.)

«…Putin said that the recently-approved law on foreign agents that caused the major NGO audit had parallels in international practice. He also noted the extremely disproportionate representation of non-governmental presence from foreign countries in Russia. In the very beginning of the interview, the Russian President noted that it was not the objective of the NGO inspections to scare the public or the activists, adding that the mass media was performing that function.

»Putin added that the real situation differed greatly from what was presented by the Western mass media. In particular, the fresh Russian law demanding that non-government organizations engaged in Russia's internal political processes and sponsored from abroad must be registered as foreign agents was noting new. The United States has had a very similar law since 1938. Putin noted that the US law is enforced by the Department of Justice. All groups operating in the US must regularly submit information about their activities and this information is then reviewed by the counterespionage section.

»The German reporter admitted he was not aware of such practices in the United States.

»Putin went on to point out that there were 654 foreign-funded groups operating in Russia, while Russia sponsored only two foreign NGOs – one in France and one in the United States. He also disclosed that foreign diplomatic missions transferred $1 billion. Eight hundred and fifty-five million was to the accounts of Russian-based NGOs in just the four months that passed since the approval of the Foreign Agents Law.»

Les inspections de vérification des 654 ONG installées en Russie et financées par l’étranger avaient commencé après que Poutine ait donné des instructions au FSB, le service de sécurité fédérale (“successeur du KGB”, précise-t-on, ce qui suffit à nous convaincre dans le sens pavlovien qu’on devine), avec ces précisions, rappelées par Novosti : «[A]ny direct or indirect interference in our internal affairs, any form of pressure on Russia, our allies and partners is unacceptable. Neither does anyone have a monopoly on speaking in the name of Russian society, especially structures financed from abroad and serving foreign interests…»

Là-dessus, nous passons à l’Égypte, car l’Égypte est également en plein débat sur cette question, comme cela est largement documenté dans un article du Guardian, le 5 avril 2013. On l’a déjà vu (le 4 avril 2013), l’Égypte est devenue l’autre champ privilégiée de cette activité du bloc BAO, USA flamboyants en tête, de ce que nous nommons l’“agression douce”.

«Egypt's parliament is close to passing a law that campaigners say will severely restrict the activity of human rights groups and other non-governmental organisations (NGOs), and which is seen as a serious betrayal of the goals of the 2011 uprising that ousted the former dictator Hosni Mubarak. According to Heba Morayef, the Egypt director at Human Rights Watch (HRW), the draft law, if passed unchanged, will “make it almost impossible for international human rights organisations to operate in Egypt”.

»As it stands, the law – which has been condemned by both the UN and the EU, and which might be passed as early as next week – could force international NGOs to seek permission for almost every aspect of every project. Their work would need to be authorised by a new committee that could veto any projects it believed would work against Egypt's national unity, public morals, and development goals – loose concepts that campaigners fear will allow the authorities to clamp down on any project that questions the activity of Egypt's Islamist-led government…»

Comme l’on sait, nous avons commencé à employer ce terme d’“agression douce” à propos de la Russie, en mars 2012 (voir le 12 mars 2012 et le 14 mars 2012). Le 12 mars 2012, nous écrivions :

«Cette agression, faite essentiellement par des moyens de manipulation de groupes informels, et de groupes frontistes russes sous le couvert de leurs étiquetages d’ONG, ou bien de diffamation médiatique, fonde désormais ce que les Russes nomment de l’expression approximative (pour notre traduction interprétée) de “moyens illégaux d’agression douce”… (Fameuse époque, où l’agression peut être “douce”, mais n’en est pas moins, extrêmement agressive, mais plutôt dans le style vicieux et subreptice ; rejeton incontestable du système de la communication, cela.) Il est manifeste que cette technique d’“agression douce” va devenir la forme d’agression générale de plus en plus systématiquement employée contre les forces anti-bloc BAO, déstructurant et dissolvant les relations politiques et diplomatiques normales entre les pays qui l’emploie (bloc BAO) et les autres, et rendant ces relations de plus en plus chaotiques et conflictuelles. […] Il s’agit […] de la réalisation également correcte que la véritable puissance se trouve aujourd’hui dans le système de la communication, et l’une des utilisations étant l’“agression psychologique” par diffamation mécanique et robotisée. Là aussi, le Système parle et anime les créatures qu’il a soumises, au sein du bloc BAO.»

Certes, l’agitation de propagande et d’influence a toujours existé, et si elle est si forte aujourd’hui c’est d’abord à cause de la puissance déjà mentionnée ci-dessus du système de la communication. A cet égard, il y a déjà eu la série des “révolutions de couleur”, fameuse dans les mémoires, plus les interventions diverses durant le “printemps arabe”, etc. Mais l’on sait que ce qui nous attache dans le cas de l’“agression douce”, c’est bien le caractère objectivée de cette action par les “agresseurs” eux-mêmes, qui ne se cachent plus de l’être, qui se présentent enfin comme des exécutants de quelque chose dont ils ne sont pas directement responsables ni les ordonnateurs en aucune façon, – tout juste les exécutants, et presque, comme l’on disait, “à l’insu de leur plein gré”… Il y a le cas fameux de l’ambassadeur US à Moscou McFaul, toujours actif, sur lequel nous nous penchions notamment le 15 juin 2012

«…Dans ce cas, la dernière phrase citée de McFaul est encore plus stupéfiante quant au fonctionnement de la chose : “He said that US sponsoring of NGOs was a global concept and was not aimed at affecting Russia’s affair…” On comprend donc que ce “concept global” des ONG, qui vit de sa propre vie et de sa propre dynamique, n’est pas dirigé contre la Russie mais “global”, – ce qui signifie, si l’on observe les réalités, qu’il n’est pas dirigé contre la Russie spécifiquement mais que la Russie fait partie des objectifs puisque le concept est “global” et, donc, que tout y passe, y compris la Russie… Il n’y a aucune raison de ne pas prendre cette observation à sa réelle valeur, alors que tous les évènements la confirment. Le “concept global” des ONG est un programme-Système, qui est lancé par l’intermédiaire des ONG et d’ailleurs suscité par ces mêmes ONG considérées comme regroupées en une entité-Système contre le principe de la souveraineté nationale, contre le Principe en général, au nom de la communication-Système (démocratie, droits de l’homme, bla, bla bla) ; le gouvernement US le soutient quasi-mécaniquement, sans que les autorités ou des services attenants y soient impliqués, ni même ne réalisent sur l’instant ses effets contre-productifs avant d’y être confrontés (d’où la collaboration de certains services du département d’État avec les Russes, quand il s’avère très contre-productif d’interférer gravement sur les relations normales avec la Russie à cause de ce programme). Quand à McFaul, c’est l’ambassadeur du “concept global”-Système des ONG (dans ce cas, avec la précision du “concept global” développé par le Système, essentiellement à partir des USA), bien plus que l’ambassadeur des USA ; McFaul, ambassadeur du Système à Moscou…»

Cela est déjà suggéré dans cet extrait, et nous ne pourrions manquer d’insister là-dessus : dans cette façon de charger la responsabilité de l’“agression douce” sur quelque chose d’extérieur (un “global concept”), il y a sans aucun doute une part considérable de sincérité. Ces psychologies fatiguées en sont parfaitement capables, on s’en doute, et c’est même leur “raison d’être encore”, d’exister toujours hors de l’établissement psychiatrique champêtre pour une très longue cure de repos… Le florilège McFaul s’enrichit même d’une dimension que certains jugeraient cynique dans ce qui serait le mensonge, et que nous jugerions plutôt d’une naïveté bien réjouissante dans le sens d’une complète inculture politique prenant des vessies pour des vérités, dans le chef de compères égyptiens partisans de l’action des ONG libérées de toute tutelle officielle. Ces causeurs égyptiens craignent l’action des services de sécurité égyptiens dans le contrôle des activités des ONG et de leur financement étranger, et Heba Morayef, directeur de Human Rights Watch en Égypte, avance cette furieuse et curieuse analogie comme argument a contrario, avec un conditionnel révélateur, tout cela à l’honneur de son appréciation amoureuse pour les grandes démocraties anglo-saxonnes : «The idea of giving MI6 or the CIA the right to register NGOs in the UK and the US would be ludicrous.» (A tout hasard, précisons que ludicrous signifie “ridicule” et “absurde”, au choix, et que son emploi, dans ce cas qui nous rassure sur les vertus respectives du UK, du MI6, des USA et de la CIA, nous évite d’avoir à formuler notre propre qualification de la révélation ainsi formulée par Morayef.)

Bien entendu, parlant de “charger la responsabilité de l’‘agression douce’ sur quelque chose d’extérieur”, nous ne pouvons pas une seconde ne pas conclure que ce “quelque chose” se nomme “infraresponsabilité”. Nous insistons assez dans notre dernier Glossaire.dde (le 6 avril 2013) consacré à l’infraresponsabilité, sur sa localisation extérieure aux psychologies sous influence de ce phénomène, pour ne pas avoir à l’esprit les mots de McFaul in Fantasyland.

Dans notre texte du 4 avril 2013, nous avons déjà insisté sur cette occurrence intéressante qui fait de deux pays aussi importants que la Russie et l’Égypte les cibles privilégiées de l’“agression douce”, et, dans le cas de l’Égypte surtout, un pays dont le bloc BAO (et les USA principalement), ayant choisi de soutenir Morsi, devrait rechercher normalement le maintien de sa stabilité avec un soutien raisonnable et le moins possible d’interférences voyantes. Mais l’“agression douce” n’est pas une nouvelle “stratégie” adaptée aux moyens du système de la communication, ou quoi que ce soit dans le champ du système de la communication qui marquerait une maîtrise humaine rationnelle du processus. Il s’agit d’une dynamique qui s’apparente d’abord à la politique-Système et à ses desseins de déstructuration et de dissolution, et ne tient aucun compte des calculs stratégiques. L’attaque contre la Russie se justifie d’abord par la forte structuration principielle de cette puissance, qui en fait un obstacle puissant aux desseins de la politique-Système ; l’attaque contre l’Égypte suit une même logique à un degré différent, qui est d’empêcher une restructuration de ce pays par hostilité à toute structure (cela étant considéré sans porter de jugement de valeur sur les régimes impliqués, ici celui de Morsi et des “Frères”, mais en considérant simplement que ce régime recherche nécessairement cette restructuration).

L’Allemagne en Reich-doux

Mais il y a un autre élément nouveau et d’un très grand intérêt qui est introduit par les circonstances entourant le voyage de Poutine en Allemagne, et qui ont vu une relance de l’“agression douce” en réponse aux mesures de défense prises par les Russes. Cette relance de l’“agression douce” répond effectivement à la résistance russe aux pressions de cette dynamique d’une part ; mais, d’autre part, elle introduit en scène un acteur nouveau, qui est l’Allemagne, qui assure pour cette circonstance l’essentiel de cette pression. On peut alors distinguer dans cette circonstance un facteur politique intéressant, qui implique une adaptation de l’Allemagne aux conditions de l’“agression douce”, d’autant plus aisée que cette adaptation correspond aux conditions caractérisant complètement l’Allemagne post-1945, post-1991, postmoderne en un mot.

Par ses conditions originelles naturelles de discipline et d’ordre réduits à une conceptions assez étroite, par sa vision extrêmement rigide dans ce cadre devenu postmoderne, l’Allemagne dans les conditions qui sont celles qui lui sont imposées depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale s’est particulièrement bien adaptée à la politique-Système et au régime psychologique de l’infraresponsabilité. Les conditions qui la caractérisent depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale sont celles de la réduction tendant vers un degré zéro de toute diplomatie offensive, voire de toute diplomatie tout court et très courte, l’abandon des principes essentiels de souveraineté et d’autonomie, la réduction drastique de toute possibilité militaire impliquant des guerres d’affrontement conventionnel. Les domaines privilégiés ont alors été l’économie et la puissance financière, et les moyens d’influence, voire de coercition que permet cette puissance financière. Cette nouvelle forme de “puissance” a longtemps maintenu l’Allemagne dans un statut paradoxal de puissance privée de sa puissance, qui lui interdisait toute possibilité de réaffirmation de puissance effective, flottant entre le statut de “nain diplomatique” et la situation d’une puissance militaire réduite aux acquêts d’acquisition de matériels US, hors de son propre contrôle et soumise à ses vainqueurs (contrôle réel confié à l’OTAN). Dans ce cadre, et tout en maintenant un asservissement complet aux USA principalement aux niveaux diplomatique et militaire, l’Allemagne avait construit des liens économiques puissants avec la Russie, qui semblait assurer des relations spéciales avec ce pays. Les observateurs au regard sagace parlait déjà de “puissance” et de “résurrection” en vue, du type-Reich classique, mais en frayant avec l'ancien ennemi de l'Est.

L’évolution récente (essentiellement depuis 2008) du Système, de la politique-Système avec lui (le Système) occupant une place de plus en plus prépondérante, et la transformation de l’alliance occidentale en un bloc BAO où le poids des USA n’est plus prépondérant, a modifié les conditions dans un sens apparemment plus favorable à l’Allemagne, ou bien que les Allemands ont jugé plus favorables pour eux. Ils se sont donc enfermés dans ce jugement, croyant y trouver un motif de réaffirmation d’eux-mêmes alors qu’il ne s’agit que d’un abaissement décisif des moyens et du champ d’action de la politique-Système dans un Système où la dynamique d’autodestruction joue un rôle de plus en plus important au côté de la dynamique de surpuissance. D’un point de vue opérationnel, cela se traduit par une dissolution de plus en plus rapide de la diplomatie, une raréfaction très rapide des moyens militaires, et l’accent mis sur les moyens du système de la communication, notamment avec des initiatives comme l’“agression douce”. (On voit que cela tend effectivement vers le statut imposé à l’Allemagne depuis 1945.) Tout cela est favorisé bien entendu par le phénomène de l’infraresponsabilité tel que nous l’avons détaillé, qui se manifeste notamment par la disparition de toute rationalité dans la politique, avec la disparition de toute responsabilité dans la psychologie. Il faut noter que ces caractères-là sont d’autant plus adaptables aux Allemands que l’esprit allemand tend naturellement vers des attitudes assez proches, avec l’espèce de romantisme paradoxal qui marque certaines des entreprises allemandes et la dissolution de la responsabilité derrière le culte de la discipline et de l’ordre considérés de la façon la plus étroite possible, sans nécessité de référence principielle, mais plutôt selon des automatismes rappelant le fonctionnement du Système…

Telle qu’elle s’était (re)faite depuis 1945, l’Allemagne était et est, dans le cadre du Système, le pays européen qui s’y trouvait et s’y trouve le plus à l’aise, – à peu près aussi à l’aise que les USA, pays-cœur du Système. L’Allemagne s’est par conséquent particulièrement bien adaptée à l’évolution signalée plus haut, depuis 2008. Ella a donc manifesté les apparences politiques actant cette adaptation réussie, retrouvant sous une autre forme, mais toujours dans la seule apparence et sans aucune conscience politique, voire conscience tout court, de la chose, des réflexes classiques de ce pays notamment développés dans le cadre de ce que Guglielmo Ferrero nommait l’“idéal de puissance”. La quasi-dictature que l’Allemagne exerce depuis 2008-2010 sur l’Europe transformée en UE est la principale manifestation de cette adaptation au Système, réalisée au moyen d’un consentement sans remord à la politique-Système et à l’infraresponsabilité. Selon cette logique, nous serons conduits à considérer que l’attitude plus agressive de l’Allemagne vis-à-vis de la Russie dans le cadre de l’“agression douce” représente l’expansion de cette nouvelle position de puissance (de pseudo-puissance, puissance complètement faussaire certes) à ses relations avec la Russie ; certains croiraient (bis) que réapparaissent des antagonismes ataviques, ce qui n’est pas du tout notre conception, comme on l’a vu ; quoiqu’il en soit, il ne faudrait certes pas en craindre des effets catastrophiques tant tout cela se réalise, du côté allemand, avec une absence de moyens de force, une absence d’attributs de la puissance, une absence d’intérêt pour la réalité, une absence de prise de risque absolument remarquables, – et surtout, surtout, une absence complète de la responsabilité de la chose (il s’agit du “global concept” de McFaul extérieur à nous tous), donc de l’opérationnalisation de cette chose en un véritable instrument de puissance. (Les Russes, eux, sont hors de ce jeu de devinettes. Ils ont compris depuis longtemps ce que vaut précisément la “politique” du bloc BAO et en observent, le plus souvent atterrés sinon angoissés pour notre sort à tous, parfois amusés par lassitude, le développement.)

Bien entendu, l’apparente ampleur de cette ambition qui serait de ressusciter l’“idéal de puissance” pour le compte de l’Allemagne contraste d’une façon extraordinaire sinon surréaliste et schizophrénique, d’abord avec l’absence complète de conscience de la chose, puisqu’avec la conviction d’évoluer au nom de “concepts globaux” absolument vertueux extérieurs à soi (narrative du “global concept” de McFaul) ; ensuite, avec le caractère dérisoire des champs où s’exerce cette ambition, – notamment et principalement l’“agression douce”, dont les effets sont au mieux incontrôlables et chaotiques, au pire contre-productifs ; enfin, avec la duplication, sinon l’identification par cette ambition d’une dynamique, – celle du Système, – qui est toute entière orientée vers l’autodestruction. (Tout est logique là-dedans, l’“idéal de puissance” ayant été enfanté par le déchaînement de la Matière, comme une de ses illustrations opérationnelles, et inspirant la politique de la Prusse élargie à l’Allemagne, avant d’inspirer celle des USA.) Il ne faut bien entendu pas attendre de telles observations de la part des dirigeants allemands qui, encore plus que les autres, n’ont pas une seule seconde l’idée de s’interroger sur la nature de leur “politique” et se reposent sur une infraresponsabilité qui rejoint leur caractère naturel (discipline et ordre selon les définitions qu’on a vues) jusqu’à en faire les représentants les plus proches d’une situation idéale pour le Système, – un Moment de notre «époque» eschatologique où ces dirigeants sont les plus proches en caractère et en psychologie des dirigeants américanistes, pour atteindre effectivement une sorte de perfection-Système.

Ainsi l’Allemagne d’aujourd’hui, dictatrice (puisque le mot existe !) d’une UE en déliquescence accélérée, prête à sermonner la Russie comme si elle parlait de puissance à puissance, représente-t-elle l’inversion parfaite d’une impuissance parvenue au paradoxe de ce qu’on nommerait “la conviction inconsciente” d’être la puissance même. Ainsi l’intervieweur de Poutine place-t-il au centre de ses interrogations, comme s’il s’agissait du centre de la crise du monde et de la crise d’effondrement du Système que l’Allemagne prétendrait résoudre grâce au “modèle” qu’elle prétend être, la question centrale du sort des 654 ONG subventionnées par l’étranger qui seraient comme autant de trous de vertu criblant le gruyère infâme que serait la Russie. Ainsi l’“agression douce”, inspirée du dehors, par le Système comme par l’infraresponsabilité, et stipendiée de l’extérieur par le bloc BAO, est-elle érigée en stratégie fondamentale du bloc BAO et de ses Grands Leaders (Allemagne et USA), sans qu’aucun n’ait la moindre conscience de sa véritable valeur puisque la chose est elle aussi inspirée du dehors d’eux-mêmes (le “global concept” de McFaul). On ne voit plus très bien ce qui les différencie de l’ésotérisme aimablement hystérique de la Corée du Nord, à part que le jeune Kim Jong-Un est tout de même plus divertissant à suivre du point de vue métahistorique de la Chute qu’une Merkel qui grommelle au pas cadencé (éventuellement de l’oie, mais il ne faut pas paniquer) ou qu’un Obama au sourire hermétiquement fixé sur ses lèvres.

Ces appréciations folkloriques ainsi bouclées, qui nous permettront de nous faire une conviction sur l’avenir du Reich-doux, de son “idéal de puissance-douce” et de tout ce qui va avec, reste à observer la vitesse avec laquelle le bloc BAO s’enferre avec constance, avec les différentes formules que lui impose la politique-Système. L’extension de l’“agression douce”, à la fois à l’Égypte du côté des agressés, la fois à l’Allemagne du côté des agresseurs, montre que ce phénomène s’institutionnalise. Cette extension nous apporte la garantie de l’institutionnalisation de tous les antagonismes (“doux”) possibles, le renforcement constant des crises et de l’infrastructure crisique par conséquent, le verrouillage absolument hermétique de l’impasse à laquelle se trouvent confrontés le Système et, au cœur de celui-ci, le bloc BAO. Certes, le seul et très, très réduit espoir de réussir, au moins à prolonger des conditions acceptables de survie du Système, et une certaine durabilité du désordre actuel maquillé en désordre biodégradable dans la politique-Système, serait, – aurait été une volonté de coopération, notamment du bloc BAO avec les pôles de puissance des zones de cultures et de structures politiques différentes. Le Système n’en veut pas (“n’en a rien à foutre”, dirait-on plus justement pour mesurer son entêtement nihiliste), assuré qu’il est de la nécessité de l’autodestruction. L’institutionnalisation de l’“agression douce”, qui est une pratique qui nourrit avec constance l’agressivité et l’antagonisme sans jamais résoudre ni l’une ni l’autre par quelque chose qui pourrait ressembler à une victoire, est effectivement la voie assurée pour réussir l’opération. Elle est suivie désormais avec une fermeté remarquable et un entêtement sourd & aveugle, “à l’allemande” tout cela.

 

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