Soft power, Iran, Arabie et Brahimi en Syrie

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Soft power, Iran, Arabie et Brahimi en Syrie

Flynt Leverett et Hillary Mann Leverett forment la particularité d’être un couple d’experts d’excellent niveau et d’une lucidité inhabituelle aux USA, sur les questions du grand Moyen-Orient, ou ce que l’on a l’habitude de nommer l’“arc de crise” englobant les pays allant du Pakistan et de l’Afghanistan jusqu’à la Somali, et aujourd’hui les chaînes crisiques en action dans cette région. Depuis 2009, les Leverett publient un blog sous le titre de The Race for Iran, particulièrement consacré à la crise autour de ce pays, de la Syrie, etc., ce que nous avons communément l’habitude de désigner comme faisant fondamentalement partie de la “crise haute”.

Nous nous attachons ici à de récentes interventions de Hillary Mann Leverett, notamment sur CNN (le 31 août 2012) et Aljazeera, telles qu’elles sont présentées et mises en situation sur The Race for Iran le 2 septembre 2012 (ce texte présente également la vidéo de l’interview d’Aljazeera). Il est évident que ces interventions doivent être appréhendées avec l’arrière-plan du sommet du NAM de Téhéran (dont il n’est pas question ici), qui a constitué un événement important du point de vue du soft power dont il sera abondamment question… (On peut voir sur leur blog les biographies de Flynn Leverett et Hillary Mann Leverett : il s’agit de carrières très fournies, dans le gouvernement US, dans le circuit universitaire et dans l’expertise indépendante, sur les questions signalées ici.)

Nous présentons trois extraits de cette présentation, l’un portant sur le concept, ou la conception opérationnelle, ou la stratégie dite de soft power, ou les trois à la fois, de l’Iran dans la région ; le second portant sur la politique de l’Arabie Saoudite dans le même domaine de la communication active, voire agressive, à prétention de soft power également, sur le terrain de la géopolitique ; le troisième sur le successeur de Kofi Annan pour l’ONU, Lakhdar Brahimi, et sa mission en Syrie. Les trois parties de l’intervention sont à considérer effectivement par rapport au concept de soft power, notamment sur le fait de savoir qui l’applique et comment, ou qui ne l’applique pas certes, dans sa signification juste… Le terme de soft power vient d’une intervention fameuse du professeur de Harvard Joseph S. Nye, inventeur de la formule, il y a une vingtaine d’années, plus tard suivie d’un livre sur le sujet, recommandant l’emploi d’une nouvelle méthode politique de conviction et d’influence par la communication, contrastant avec la méthode dite de “hard power” portant sur la pression et la coercition par l’action directe des moyens militaires et de pression économique («Joseph Nye famously defined soft power as the ability to get others to “want what you want,” which he contrasted with the ability to compel others via “hard” military and economic assets»).… Il s’agit d’un contraste, ou d’un antagonisme de moyens d’action, rejoignant notre classification entre le système de la communication (par où passe le soft power) d’une part, le système du technologisme (par où passe le hard power) d’autre part.

• Sur l’Iran et le soft power, Hillary Mann Leverett développe une approche extrêmement favorable à la politique poursuivie par l’Iran. Il s’agit de soft power, dans l’acceptation fondamentale du terme, notamment caractérisé par le peu d’intérêt pour la disposition de moyens de force (technologisme) pour exercer une influence. Politiquement, il s’agit d’une approche intégratrice et recherchant l’apaisement des tensions, ce qui est une vision de l’Iran complètement antagoniste de celle que le bloc BAO propage. (Les passages soulignés de gras dans les textes cités le sont dans le texte original.)

«In the interview, Hillary notes that the rise of Tehran’s regional influence over the last decade has little to do with hard power. (As CNN’s Nicole Dow documents, “the numbers would certainly seem to bear this out. Last year, Saudi Arabia reportedly purchased as much as six times as much military equipment from the United States as Iran’s entire official defense budget.”) Rather, as Hillary points out, Iran’s rise is fundamentally about soft power. “We always think of Iran as a military dictatorship, but the Iranian message is clear: they want free and fair elections” in countries like Egypt, Afghanistan, and Iraq. “The Iranian message and belief is—if a country has free and fair elections, it will pursue independent policies that are in that country’s national interest. The Iranian belief is that if they pursue independent policies, they will inevitably be unenthusiastic about pursuing U.S. or Western policies.”

»Hillary argues that Tehran can apply this approach even in Syria. Saeed Jalili, the secretary-general of the Islamic Republic’s Supreme National Security Council, has made clear that “Iran will not allow the axis of resistance, of which it considers Syria to be an essential part, to be broken in any way.” But, as Hillary points out, “The two big points of the Iranian push” [on how to deal with the Syrian situation] were for there to be a ceasefire in Syria for three months at the end of Ramadan, and that there should be free and fair elections.”

»Iranian policymakers are willing to roll the dice on elections in Syria because, first of all, they judge (correctly) that Syrian President Bashar al-Assad appears to retain the support of at least half of Syrian society. Thus, it is not at all clear that he would lose an election. But Hillary underscores that, even if Assad were to leave office as part of a democratic transition, “a free and fairly elected successor to Assad would not be interested in strategic cooperation with the U.S. and would not be interested in aligning itself with Israel. That would be completely against the views and histories of the people.”»

• L’approche de l’Arabie Saoudite est complètement antagoniste de celle de l’Iran, même si l’on peut admettre qu’elle pourrait prétendre se référer au soft power puisqu’il n’y a pas (sauf dans le cas extrême et peu démonstratif du Bahrain) intervention directe et emploi direct des moyens du hard power dans leur usage le plus effectif et le plus brutal qui caractérise l’opérationnalité du la méthode. Elle est basée effectivement sur une vision antagoniste, notamment et principalement de l’Iran, mettant en évidence les oppositions, recherchant l’exclusion selon des références religieuses, sectaires, idéologiques, etc. L’activité politique porte sur le financement et l’armement de groupes déstabilisateurs dans le but de modifier les équilibres, les pouvoirs, etc., et d’amener les uns et les autres aux vues de l’Arabie. Bien entendu, cette approche est complètement complémentaire, sinon similaire, à celle des USA et du bloc BAO. Cette complémentarité et cette similitude sont d’ordre politique et opérationnel, mais nous suggérerions également qu’elles sont d’ordre psychologique d’une part, qu’elles répondent aux impulsions fondamentales du Système d’autre part.

«On the other side of the Middle East’s geopolitical and sectarian divide, Saudi Arabia is pursuing a very different strategy, in Syria and elsewhere in the region. The Saudi strategy emphasizes the funding and training of fundamentalist Sunni groups ideologically aligned with Al-Qa’ida – groups that, in contrast to mainstream Sunni Islamists “who are not interested in killing other Muslims,” take a strongly anti-Shi’a stance. This is, of course, the strategy that Saudi Arabia followed when it joined with the United States to fund largely Pashtun cadres among the mujahideen fighting the Soviet occupation of Afghanistan—and then fueled the rise of the Taliban during the 1990s, after the Soviet withdrawal.

»In Hillary’s assessment, “The Saudis cannot call for a ceasefire or for free and fair elections because the Saudis haven’t had free and fair elections in their own country. It doesn’t sound genuine, so they can’t do it, and they don’t want to do it. No precedent has been set to have everyone else doing it except them.” More fundamentally, though, “the Saudis aren’t interested in an outcome in Syria that leads to a government that carries out the interests of the people of Syria. What the Saudis are interested in is a head of state who will be on their side. And their side is against Iran and its influence in the region. This is a big albatross that Saudi Arabia has on its neck.”

»Hillary elaborates on the point: The Saudis want to convince others in the region that “the Iranians don’t stand for Muslim causes, beliefs, independence or nationalism. The Saudis want others in the region to see the Iranians as Shiite, Persian, non-Arab, non-Sunni, and that what the Iranians are doing has nothing to do with democracy or freedom, but rather promoting a narrow sectarian vision…the Saudi message is that the Shiites are infiltrating Arab affairs to undermine the Sunni community and Sunni states. They see the Shiites as heretical, non-believing, non-Arab Persians. Some Sunnis believe that”—and some Saudis try to play on that “with a tremendous amount of money and weapons.”

»But polls and other objective indicators suggest that regional publics are not buying the Saudi message. As Hillary concludes, “That’s where the conflict is today. It’s a battle today between this message that Iran has to promote of freedom,” in the sense of real independence, “and the Saudis that are really trying to fight that message.”»

• Le troisième point est donc le rôle que pourrait ou voudrait jouer le successeur de Koffi Annan, l’Algérien Lakhdar Brahimi. L’intérêt du propos est que Hillary Mann Leverett a travaillé avec Brahimi sur l’Afghanistan, ce qui lui permet de donner un témoignage psychologique (surtout) et politique direct. Il est manifeste que, dans le débat autour de la question du soft power, elle classe implicitement Brahimi dans la catégorie des partisans et des opérateurs du vrai soft power, tel qu’elle le définit à propos de l’Iran, et tel qu’il est complètement dévoyé dans le cas de l’Arabie Saoudite. Bien évidemment, il s’agit d’une approche théorique, quoique basée sur l’expérience de l’homme pour Leverett, et il reste à voir si Brahimi pourra et voudra développer cette méthode avec la Syrie. De ce point de vue, il n’y a guère de différence avec Annan ; ce qui est similaire, également, et qui joua effectivement un rôle important dans le cas de Annan, c’est le contexte politique avec notamment la position faussaire des pays du bloc BAO, les pressions des uns et des autres à cet égard, les diverses suggestions et affirmations sur les connexions évoquées à propos de Brahimi, qui est naturellement l’objet de toutes les interprétations et de tous les soupçons possibles. Cette similitude générale doit être pourtant très fortement nuancée par le fait que la situation générale, en Syrie et autour de la Syrie, a très rapidement et fortement changé entre le moment de la nomination et de la mission d’Annan, et l’épisode qui commence avec Brahimi. (Voir aussi la très récente interview de Brahimi sur Aljazeera, le 2 septembre 2012. On observe par exemple que si Brahimi estime que des changements importants sont nécessaires en Syrie, il rejette le préalable du départ d'Assad.)

«In Hillary’s reading, dealing with the contrast between the Iranian and Saudi approaches to Syria will be crucial to Lakhdar Brahimi’s chances of success in stabilizing the conflict there. n Al Jazeera, she highlights “two critical points” that Brahimi has made since taking over from former Secretary-General Kofi Annan as the U.N./Arab League Syria envoy.

»First, Brahimi “has come out clearly against foreign military intervention. That is critically important because that could prevent the escalation of the civil war in Syria, and it could even start to dial back some of the armed support for opposition fighters.” Second, Hillary highlights Brahimi’s “refusal to simply parrot the White House talking point that Assad has to go and that Assad has lost all legitimacy. That is really a ridiculous point that is not going to lead to a negotiated outcome, and he has stood up courageously and refused to parrot it.”

»Recalling her own experience working with Brahimi on post-9/11 Afghanistan, Hillary notes that his “track record” in the various civil wars and conflicts where he has been a mediator—Lebanon, Afghanistan, Iraq, Haiti—is to focus on “power sharing. He focuses on getting together all of the critical players inside a country that need to be part of a solution. That’s power sharing. That’s not saying who goes and who leaves. That’s putting everybody into the same pot and having them work together. And then it’s critically important for him to work with the outside players.”

»When challenged with an assertion that neither the Assad government nor the opposition is willing to talk, Hillary pushes back by observing that, just as the Islamic Republic supports a political solution in Syria, President Assad has been willing to talk with opponents since virtually the beginning of unrest back in March 2011. (So just who is it that it really blocking movement toward a possible political solution?) Furthermore, she underscores that it is largely the external Syrian opposition that has demanded Assad’s ouster up front; the internal opposition has not insisted on that.

»In this context, she points out, Brahimi’s track record suggests that he will “focus on the players that are in Syria…He doesn’t actually have much time or patience for expatriates who sit in cafes in London or Paris. He doesn’t really think they’re players. He focuses on people who are in country.”»

Ces diverses interventions, outre leur intérêt spécifique évident, ouvrent une perspective intéressante sur le soft power (dans le cadre du système de la communication) dont on fait si grand cas dans notre époque. On observe que diverses situations existent et que diverses interprétations sont possibles, qui ont d’ailleurs toutes à voir avec la situation du système de la communication par rapport aux moyens et aux tendances de notre époque de crise haute et de chaînes crisiques. Nous nous promettons de revenir rapidement sur le sujet pour éclaircir ces différences et enquêter sur leur signification, par rapport à notre propre classification de la situation générale et des forces en action. Les remarques de Hillary Mann Leverett serviront d’excellente base pour le propos, à la fois dans le champ opérationnel, à la fois dans le champ théorique.


Mis en ligne le 4 septembre 2012 à 08H26

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