Rupture Russie-Europe, en attendant l’autodestruction

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Rupture Russie-Europe, en attendant l’autodestruction

L’excellent commentateur français installé en Russie Alexandre Latsa donne une chronique, ce 14 juin 2013, sur son site Dissonance (texte à la date du 12 juin 2013, sur RIA Novosti), après le sommet entre la Russie et l’UE à Ekaterinbourg, qui s’est déroulé dans l’indifférence générale, avec pour une fois, et pour cette fois d’une façon fort justifiée, très peu de journalistes. («Seule une poignée d’entre eux a fait le déplacement, sans doute autant pour bénéficier d’une bonne opportunité de visiter la capitale de l’Oural...»)

Cette mornitude exceptionnelle, dans une série de sommets qui ne sont pas caractérisés par une excitation exceptionnelle ni le brio de l’originalité, comme si la présence du monstre caoutchouteux qu’est l’UE interdisait toute sensation intellectuelle de cette sorte, cette absence même de l’apparence d’un événement, – voilà qui constitue paradoxalement un événement. Le vide abyssal de cette rencontre ne fut animé, selon Latsa, que par une occurrence négative, que les Européens, Français et Britanniques en premier, méritent plus qu’à leur tour : un avertissement à peine voilé de Poutine qu’une intervention européenne affirmée sinon affichée en Syrie (dans le cadre excitant de ce que nous nommons “bloc BAO”) risquait de provoquer de sérieux problèmes avec la Russie. L’“incident” qu’évoque Latsa, qui porte sur les fameux S-300, implique à notre sens bien plus qu’une livraison de quincaillerie...

«Aucun des dossiers sensibles n’a en effet progressé et au contraire les désaccords se sont semble-t-il amplifiés... [...] mais aussi [sur] la guerre en Syrie. Ce dernier point a fait l’objet d’une passe d’armes diplomatique assez remarquable. Le président russe, en affirmant que la Russie n’avait pas “encore” livré les fameux missiles anti aériens S-300 à la Syrie, a rassuré les partenaires occidentaux, tout en sous entendant qu’il pourrait commencer les livraisons si une décision de bombarder la Syrie était prise en Occident.»

Au-delà, l’essence du commentaire de Latsa se trouve effectivement dans le constat de la rupture. Mais on ne s’arrête pas au seul constat de la rupture “par défaut”, par “absence d’Europe” qui est la situation lorsque l’UE effectue de telles sorties avec la Russie, comme si, face à la Russie justement, cette entité se contractait en une non-substance, et donc impuissante à figurer. (Ce constat n’est pas fait par hasard. Il y a dans ce cas “non-Europe” parce que l’UE ne véhicule avec elle aucune légitimité, encore moins de souveraineté. Privée de cette dimension principielle, elle est littéralement non-existante face à la Russie qui affiche très fortement cette dimension principielle. Il y a une différence d’essence dans ces rencontres, si on en attend quelque chose de sérieux, ou plutôt une essence face à une non-essence. Ce sont deux mondes qui ne peuvent se rencontrer.) Le paradoxe relevé par Latsa est bien qu’au-delà de ce vide de la rencontre, une autre chose, manifestant une vérité au contraire remarquable, s’est manifestée ; elle n’a pas été discutée, parce qu’aucun discussion n’était possible à ce sujet, et ainsi était-ce “par défaut” une réunion importante.

«Alors finalement que reste t-il de la relation Russie-UE après ce sommet?

»Sur le plan politique aussi bien que moral ou sociétal, on peut constater que la relation Russie-UE s’effrite... [...] Au début de l’année j’expliquais que la divergence sur les projets de société reste importante, l’UE souhaitant ouvertement imposer à la Russie une conception sociétale que celle-ci rejette, arguant qu’elle est souveraine et différente. Cette rupture morale entre une Russie conservatrice qui connaît un retour du fait religieux et une Europe au contraire très libérale-libertaire, a entrainé un malentendu croissant entre la Russie et les pays européens. Le sujet des droits des minorités notamment sexuelles n’à donc pas contribué à réchauffer les relations Russie-UE. Le président russe rappelant du reste à quel point il était fatigué des questions sur les droits des homosexuels, et martelant que “les traditions culturelles, morales et ethniques de la Russie devaient être respectées” ou que “si une loi interdisant l’adoption d’enfants russes par des couples d’étrangers homosexuels était votée par le Parlement, il la promulguerait”.

»Comme pour confirmer cette rupture dans le domaine sociétal, il y a aussi eu les propos de Dmitri Kisseliev, présentateur [...] [d’]une des émissions politiques la plus regardées de Russie. Ce dernier a affirmé : “Le vieux monde a semble-t-il fait son choix.[...] Faire le culte de l’homosexualité, renoncer à la notion de péché, trahir le christianisme et la famille traditionnelle, dépraver les enfants dans des familles homosexuelles, tout cela, c’est la destruction de sa propre identité, le chemin de l’autodestruction”. On ne saurait être plus clair...»

Ces remarques sont particulièrement intéressantes, d’ailleurs fort bien introduites par la citation que Latsa fait de Kisseliev. Dans cette citation, on note l’opposition extraordinaire et symbolique entre, d’une part, le détail de décisions ou d’évolutions sociétales considérées dans le “bloc BAO” comme très avancées (qui évoluent en vérité vers le nihilisme social, le programme dd&e [déstructuration, dissolution & entropisation], vers ce que Jean-François Mattei appelle notre “barbarie intérieure“, mais qui ne serait plus seulement intérieure, qui deviendrait en plus affichée, qui deviendrait revendiquée, qui deviendrait la barbarie fondamentale et post-postmoderniste, au-delà du postmodernisme, dans des régions inexplorées et effectivement réduite à l’état entropique du point de vue social) ; et, d’autre part, le terme de “vieux monde” qui est la matrice apparente et le réceptacle de cette révolution. On peut ajouter que les promoteurs de ce programme de nihilisme social et dd&e, post-postmoderniste, – à notre sens, évidemment complètement inconscients de la dimension et des implications de ce qu’ils font, – sont également, d’une façon caractéristique, de la veine petite-bourgeoise la plus conformiste de type XIXème, la plus hypocritement rondouillarde, du type louis-philippard que nous symbolisons par l’emploi de l’expression “président-poire” employé pour le président français. Ainsi est parfaitement posée l’évolution “sociétale” (voir le 30 avril 2013) : elle se fait par impuissance de ne plus pouvoir agir dans le domaine social, comme ce fut la mission des entités politiques se présentant comme bourgeoisement “sociales” (étiquetées dans la “géographie politique” de centre-gauche, mais aussi de centre-droit), parce que le Système bloque toute évolution possible qui ne soit pas celle de l’effondrement. Kisseliev parle très justement de course vers l’autodestruction, restituant ainsi involontairement l’équation surpuissance-autodestruction du Système.

On comprend alors, avec ce terme (“autodestruction”), que nous considérons ces remarques comme un jugement, peut-être implicite, qui concerne le Système lui-même, imposant sa poussée et sa dynamique à ceux qui lui sont soumis. Dès lors, cet aspect “sociétal” devient un moyen plus qu’une fin, le moyen laissé à ces sociétés en voie d’extinction d’apporter leur contribution originale (dans notre cas, la fameuse “intelligence française” se doit de se signaler jusqu’au bout, et notamment dans sa production manifestant l’inversion de ce qu’elle est censée produire, en produisant une contribution zélée à la catastrophe commune). Il s’agit, n’est-ce pas, de participer pleinement et avec ardeur à la poussée autodestructrice, conforme aux consignes du Système. On y ajoutera, bien entendu, dans un autre domaine d’activités mais dans le même domaine-réflexe de la psychologie épuisée face au Système, les engagements type Libye et Syrie, et plutôt que «la politique étrangère socialiste [alignée] sur celle des Anglais et des Américains», comme le note Latsa, une parfaite intégration, encore plus forte en France que dans les deux puissances anglo-saxonnes, dans la politique-Système du bloc BAO.

Le premier paradoxe est que cette “rupture” complète n’en est pas vraiment une, car la poussée structurante russe, qui prend le moyen de la religion et de la spiritualité pour s’affirmer, est d’autant plus forte que la Russie entend tenir à distance le mouvement qu’elle identifie en Europe, et même réagir contre lui avec de plus en plus d’ardeur et de puissance. Il n’y a donc pas vraiment “rupture” au sens d’absence de lien entre l’un et l’autre, mais désormais des liens d’antagonisme dynamique, un rapport puissant action-réaction. Au plus l’Europe affirme sa chute “sociétale” déstructurante, au plus la Russie affirme sa réaction structurante, et ceci et cela étant liés par un lien inverti, d’une dynamique contradictoire. Ainsi, à notre sens, la Russie sera de plus en plus un “modèle” pour les citoyens des pays d’Europe qui refuse l’effondrement-Système de leurs pays ; nullement un modèle politique ou idéologique, comme les “narrateurs” bloc BAO voudraient nous en faire accroire, mais un modèle antiSystème.

(De ce point de vue, il nous semble accessoire et inutile, sinon contre-productif, d’opposer des tendances religieuses à des tendances laïques-libertaires. Nous ne devons pas cesser de répéter que ces manifestations étiquetées, – quelles que soient leurs valeurs propres d’ailleurs, qui existent, mais ce n’est pas le débat ici, – ne sont que des moyens et des outils. L’essentiel est qu’il s’agit d’une bataille entre déstructuration et structuration, entre Système et antiSystème. Il doit y avoir une complète liberté d’appréciation à cet égard, pour ne pas disperser ses forces psychologiques et intellectuelles... Un laïc à la psychologie forte peut parfaitement se trouver à son aise dans une Russie religieuse, du moment qu’il identifie dans cet “engagement” le fondement qui importe, qui est structurant et antiSystème ; de même, des consciences religieuses, des pratiquants, voire des personnes de telle ou telle hiérarchie religieuse à la psychologie affaiblie, peuvent se retrouver engagés dans le “combat sociétal” de l’Europe-UE & consorts, leur faiblesse psychologique les empêchant, eux, de distinguer qu’ils prennent le parti de la déstructuration et du Système.)

Un second paradoxe, – encore plus poussé parce que directement exprimé, – est qu’au moment où ces choses se manifestent, le sentiment grandissant dans les institutions européennes, notamment chez les fonctionnaires civils et militaires représentants leurs pays au sein de ces institutions, y compris et surtout des Français, est qu’il est absurde et dangereux d’exacerber les tensions avec la Russie, dans tous les cas du point de vue politique (mais qui n'est pas dénué d'une dimension déstructuration et antiSystème). Aujourd’hui, l’opinion selon laquelle la Russie est la seule puissance capable d’agir en Syrie, que sa politique est la bonne, qu’il est naturel de rechercher son alliance, est largement répandue. On rencontre désormais des attitudes d’aggiornamento affiché, par exemple par rapport à l’aventure libyenne, avec le crédit accordé à la Russie que ce pays avait vu venir et prédit la catastrophe (bien qu’il l’ait laissé faire en s’abstenant lors du vote de l’ONU à ce propos). On retrouve ici l’opposition entre diverses pensées individuelles et la politique-Système qui est imposée au bloc BAO. Il s’agit de psychologies moins soumises aux pressions du Système, réalisant l’évidence de l’absurdité autodestructrice de la dynamique européenne. Les psychologies plus faibles se soumettent aux pressions du Système, soutiennent la politique-Système, tentent de la rationaliser, ne parviennent qu’à produire des balbutiements et des gémissements du domaine de l'affectivité. Le fait est qu’il semblerait bien, toujours selon le modèle de l’inversion, que plus on monte dans la hiérarchie, sauf quelques exceptions remarquables, plus on rencontre de ces psychologies épuisées qui sont complètement soumises au Système. On ne peut s’en étonner lorsqu’on constate combien le président des États-Unis lui-même montre la voie à cet égard.


Mis en ligne le 15 juin 2013 à 06H07

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