Reset bloqué, Russie cataloguée…

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Reset bloqué, Russie cataloguée…

Primitivement, le général du Marine Corps John Allen devait prendre la succession de l’amiral James Stavridis au poste prestigieux et d’influence des USA en Europe de commandant en chef suprême allié (SACEUR, chef des forces de l’organisation intégrée de l’OTAN). Alors qu’il se trouvait à son poste de commandant des forces US et de l’ISAF en Afghanistan, Allen avait été impliqué dans le “scandale Petraeus” en novembre 2012. Néanmoins, il avait été mis hors de cause par le FBI et confirmé à son nouveau poste de SACEUR. Mais Allen annonça à la mi-février qu’il renonçait à ce poste et prenait sa retraite pour mieux prendre soin de sa femme gravement malade (voir le 19 février 2013, dans le Washington Post). L’administration Obama a dû de toute urgence trouver un général pour le poste et a choisi le général Philip Breedlove, de l’USAF, commandant des forces aériennes US en Europe. Il s’agit d’un choix typique de circonstance, presque justifié par la seule proximité technique et géographique (de Ramstein à Mons-Casteau) des fonctions, qui prive Obama d’un précieux relais vers l’Europe (Obama avait d’excellentes relations avec Allen, et une même sensibilité politique).

Breedlove était entendu jeudi par la commission des forces armées du Sénat, à Washington, lors d’une audition de confirmation de sa nomination. Quelques extraits de sa déposition sont présentées par AFP, le 12 avril 2013, exclusivement consacrés à la situation de la Russie et aux relations avec la Russie, qui est bien entendu la zone stratégique de premier intérêt pour un SACEUR. On doit considérer cette déposition de Breedlove, en raison des conditions où la nomination du général a été faite et à sa faible position, comme une vision entièrement redevable à la bureaucratie de la sécurité nationale US et du Pentagone en fonction des circonstances (audition devant la commission sénatoriale). Le contenu de cette déposition fixe une vision presque entièrement de type-Guerre froide de la Russie.

«A “reset” in US-Russia relations is now on pause and Moscow likely will be “the primary actor of regional concern,” the American general nominated to take over as NATO commander said Thursday. General Philip Breedlove […] described Russia as an "aspirational superpower" and told lawmakers an attempt to forge more cooperative ties with Moscow had faltered for the moment. “I've described the reset as sort of, on pause,” Breedlove told the Senate Armed Services Committee. “We had made some progress. There were some political changes in Russia and we are now sort of very much slowed down.”

»In comments that were sure to produce irritation in Moscow, he said the United States needed to renew efforts to improve relations but said it had to be a mutually beneficial arrangement. “I do agree with your concern that this not become a one-way street, and that we just give, give, give. I think that the principle of reciprocity is how we need to think about our work with Russia,” he said.

»“Russia will remain the primary actor of regional concern through 2020 by virtue of its geographic position, natural resource wealth, military forces, and desire for regional influence,” the four-star general said in written testimony to the senate committee. “The US and NATO will need to continue to assure our Allies and partners, who live in the Russian self-declared 'sphere of privileged influence,' of our resolve.”»

… Là-dessus, Breedlove affirme que la Russie ne doit pas être considérée comme un “ennemi” mais comme un “partenaire”, et que les négociations sur les antimissiles (système BMDE) doivent se poursuivre. Ces vœux pieux après des déclarations sur la Russie qui ressuscitent, ou confirment officiellement une situation proche du temps de la Guerre froide, seront considérées par les Russes comme la cerise ironique sur le gâteau d’une déposition qui ressemblerait à une provocation si elle ne portait la marque d’une position bureaucratique intangible. Il est manifeste que la déposition de Breedlove répond aux attentes des sénateurs de la commission, notamment des deux “amigos”, surnom donné aux deux sénateurs républicains Graham et McCain. D’une façon générale, cette commission des forces armées danse, sur les affaires générales et hors des spécificités propres à la politique et à l’équipement du Pentagone, sur le rythme de la bellicosité extrême de Graham-McCain… Iran, Syrie, “amitié éternelle” avec Israël, Corée, Russie, etc., sur toutes ces matières Graham-McCain donnent le ton, qui est celui d’un bellicisme extrémiste.

Il n’empêche, il s’agit d’une déclaration officielle d’un officier général dont la fonction sera d’un grand poids, aussi bien diplomatique que militaire. Les Russes sont fondés, sans grand risque de se tromper, de l’interpréter comme une prise de position officielle de l’administration Obama. Cela ne fera que confirmer leur perception actuelle selon laquelle Obama est prisonnier du radicalisme du Congrès et ne peut plus rien faire de constructif au niveau des relations avec la Russie, ni ne le veut d'ailleurs puisqu'essentiellement préoccupé par la situation économique. Même sur des questions techniques, comme celle de l’abandon pour des raisons budgétaires et de difficultés techniques de la Phase 4 des antimissiles du système BMDE (prévue pour 2016-2018), les Russes constatent que cette décision qui n’est pourtant que technique n’est pour l’instant suivie d’aucun effet puisque le Pentagone a tout de même programmé un budget pour cette Phase 4 pour cette année 2013. Pour le reste, les déclarations de Breedlove montrent que la position stratégique US dans le cadre de l’OTAN et en Europe n’a évolué en rien pour ce qui est de la posture agressive USA/OTAN : la Russie perçue comme l’acteur “régional” déstabilisant, à qui il est dénié un statut de “superpuissance” (la Syrie montre qui est la “superpuissance” en l’occurrence), et face à laquelle il faut “protéger” les pays de la zone. Mais le pire est l’affirmation, sur la sollicitation des sénateurs bellicistes, que les relations entre les USA et la Russie sont “à un seul sens”, et que les USA donnent tout sans rien recevoir… Pour les Russes, c’est exactement le contraire, notamment sur les antimissiles où les USA n’ont pas fait la moindre concession directe aux Russes malgré leur posture stratégique totalement asymétrique et provocatrice dans ce cas.

Le général Breedlove a exposé la position stricte de la bureaucratie de sécurité nationale, complètement conformée à la position belliciste du Congrès. Il a montré en même temps, d’une façon implicite mais convaincante dans le climat actuel, que le pouvoir politique US laisse faire et ne semble plus guère avoir l’intention, ni la capacité d’ailleurs, de tenter de transformer réellement les relations des USA avec la Russie. L’affaire de l’annulation du tir d’ICBM dans la crise nord-coréenne, qui avait provoqué la plus grande satisfaction de Poutine, ne semble bien être qu’une exception confirmant la règle. L’arrivée de Hagel au Pentagone ne semble devoir rien changer à une politique totalement ossifiée, paralysée par l’extrémisme belliciste régnant partout, et un appareil politique lui-même brisé et rendu ainsi complètement inefficace.

Au-delà des constats habituels sur la situation politique dans un Washington transformé en une énorme et incontrôlable usine à gaz, on voit confirmée l’omniprésence de la politique-Système et de ses poussées déstructurantes et dissolvantes. Les Russes devront continuer à se rendre de plus en plus à l’évidence qu’ils se trouvent devant un “partenaire” (les USA et, avec eux, dans le même état d’esprit, le bloc BAO) avec lequel il est impossible de coopérer en quelque matière que ce soit. La politique-Système qui conduit le bloc BAO entraîne un caractère d’insaisissabilité et d’imprévisibilité totales des politiques, reposant sur des assises les plus hostiles possibles, et les plus bellicistes, à l’encontre des dynamiques qui tenteraient d’établir une cohérence principielle et de restaurer un semblant d’ordre international. Le général Breedlove va parfaitement s’intégrer dans l’inutilité systémique et le nihilisme déstructurant et dissolvant de l’OTAN.


Mis en ligne le 12 avril 2013 à 17H22