Rage Against the Machine ?

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S’agit-il enfin du vaste mouvement antiwar US tant attendu et réclamé depuis dix ans et, plus particulièrement, depuis la guerre en Irak ? L’initiative est organisée et présentée sur le site ComeHomeAmerica.org, avec présentation également, ce 5 juillet 2011, d’une lettre ouverte adressée au président des Etats-Unis et au Congrès. Le mouvement est notamment présenté, par l’un de ses dirigeants, Kevin Zeese, sur Antiwar.com, le 6 juillet 2011. La grande particularité du mouvement est d’aller de l’extrême gauche à l’extrême droite, avec également des personnalités anciennement de l’establishment et du service public du gouvernement, tout cela sans aucune référence idéologique et dans le seul but d’abolir la politique belliciste et interventionniste.

Zeese écrit sur Antiwar.com :

«A new antiwar movement that can really challenge U.S. militarism is being born. Today, people from across the political spectrum join together opposing U.S. war and empire. They cite a combination of events that present a “historic opportunity to redirect U.S. foreign policy down the pathways of peace, liberty, justice, respect for community, obedience to the rule of law, and fiscal responsibility.”

»For too long Americans who oppose wars have felt powerless to stop the war machine. Not since the early part of the 20th century has there been a strong antiwar movement that Americans from across the political spectrum could participate in. The Come Home, America letter shows the beginning of such a broad-based movement.

»No matter where you are on the political spectrum, you will find people with your political philosophy. Signers include advisers to Presidents Richard Nixon, Ronald Reagan, George W. Bush, and Bill Clinton; former presidential candidates of the Libertarian, Socialist, and Green parties, as well as an independent, Ralph Nader; representatives of think tanks such as the Institute for Policy Studies, the Independent Institute, the Future of Freedom Foundation, the Hoover Institution, the Ludwig von Mises Institute, and Just Foreign Policy have signed on. And editors from a wide range of publications, including The American Conservative, Antiwar.com, Black Agenda Report, Black Commentator, FireDogLake.com, Liberty for All, Liberty for America, OpEdNews.com, The Progressive, Progressive Review, Raw Story, OpEdNews.com, and Reason have all signed on.»

Ce n’est pas la première fois qu’on tente de lancer un mouvement antiwar aux USA, depuis le début de la “politique de l’idéologie et de l’instinct”, immédiatement après l’attaque 9/11. A chaque tentative, les conditions réclamant un tel mouvement sont plus pressantes, la déception devant son échec d'autant plus vive. Cette fois, les conditions sont évidemment plus pressantes qu’elles n’ont jamais été, mais elles sont surtout plus opportunes et d’une forme complètement nouvelle. Les auspices de ce mouvement-là sont en effet très favorables, et assez originales. Il y a des conditions similaires aux niveaux institutionnels et de la situation générale elle-même, qui ont déjà largement alimenté une tendance générale antiwar.

• Les USA sont dans une situation catastrophique, notamment aux niveaux budgétaire et de la dette, aux niveaux économique et social, tout cela imposant des contraintes considérables dans la politique du gouvernement. La politique belliciste et expansionniste coûte très cher, et c’est elle qui ne cesse d’aggraver la situation des USA. Elle se trouve ainsi directement confrontée à une pression considérable, qui ne cesse elle-même d’augmenter. Il est difficile de nier aujourd’hui ce rapport direct de cause à effet, entre cette situation générale dégradée et la tendance antiwar de plus en plus affirmée.

• La première conséquence de cette situation est un mouvement évident de désengagement des USA, même s’il a du mal à se concrétiser, même s’il est développé prudemment, même s’il porte sur des mesures qui semblent à première vue bien partielles. Quoi qu’il en soit, la perception, qui est la chose la plus importante, est clairement d’un repli, voire d’un abandon (voir le 25 juin 2011, concernant l’Afghanistan). Cette posture défensive de l'exécutif est évidemment une invitation à une poussée antiwar, aussi bien qu'une justification de cette poussée.

• La seconde conséquence du premier point, impressionnante et totalement inédite, est celle d’une évolution radicale du corps législatif, notamment à la Chambre, et cela sans aucun ordre ni mot d’ordre, quasiment comme une génération spontanée. Il existe désormais un mouvement antiwar à la Chambre, qui touche particulièrement, c’est le plus important, le parti républicain. Effectivement, ce mouvement a la particularité d’être déstructuré, sans dirigeant ni ligne de conduite, mais conduit par une tendance insaisissable ; dans l’antre particulièrement structurée au service du Système qu’est le Congrès, c’est un phénomène type antiSystème redoutable d’efficacité. Ce mouvement a démarré fin mai et il ne cesse de s’affirmer. Il ne s’agit nullement d’un mouvement extrémiste, même si les extrémistes (Kucinich et Ron Paul) s’en donnent à cœur joie, mais un mouvement de base qui concerne ce qui n’est pas loin de devenir, à la Chambre, une majorité bipartisane sans véritable identité.

Dans cette situation si caractéristique et si insaisissable, la création d’un mouvement antiwar à la fois populaire, dissident et d'influence, va de soi. Il faut observer combien ce mouvement lui-même tend à répondre aux mêmes normes que ce qu’on constate à la Chambre : aucune préoccupation des étiquettes idéologiques, aucune mention de but précis sinon la destruction d’une politique générale, etc. Il faut donc placer cette nouveauté importante dans le cadre défini ci-dessus, plutôt comme une adaptation du côté des dissidents et des opposants non institutionnels de tous poils à une tendance générale qui existe déjà. Par conséquent, il ne s’agit pas d’un mouvement isolé, d’une affirmation d’un domaine spécifique et isolé du reste, mais bien d’un élargissement de la tendance déjà identifiée.

En ce sens, ce mouvement antiwar se distingue notablement de ceux qui l’ont précédé, y compris ceux des années 1960. Il ne s’agit pas de s’attaquer à un objectif précis, à un conflit spécifique (le Vietnam pour cette époque-là) mais de s’affirmer contre une tendance générale installée, au nom d’une nouvelle tendance générale antagoniste qui la conteste absolument et globalement. Ce mouvement est donc prisonnier de sa logique : s’il ne s’étiole pas, il devra aller jusqu’au bout, c’est-à-dire s’attaquer à une politique générale et aux structures qui le soutiennent, comme le Pentagone par exemple. On ne dit pas qu’il va réussir (comme le reste, vu plus haut), on dit simplement qu’il ne peut s’arrêter à d’éventuelles victoires partielles. Comme tout tend à l’être aujourd’hui, ce mouvement répond à une logique du tout ou rien : ou il échoue, ou il met en question le Système lui-même ; ce mouvement antiwar est naturellement, d’abord, un mouvement antiSystème. Et comme il n’est pas seul à dépendre de cette logique, on peut admettre que la situation générale US commence à prendre des tournures intéressantes d’affrontements fondamentaux, – cela, sans qu’il soit nécessaire que les acteurs mesurent cet enjeu à sa réelle puissance.


Mis en ligne le 6 juillet 2011 à 14H38