Que faire de BHO?

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Que faire de BHO?

25 août 2009 — Quel que soit l’aspect “partisan”, mal intentionné, vicieux voire nihiliste de l’événement, il reste qu’objectivement un seuil semble bien avoir été atteint. Il s’agit de la question de savoir si la présidence de Barack Obama n’est pas entrée dans sa première crise profonde, une sorte de – sort of, à l’américaine, de “crise de confiance”. Même si c’est le Washington Times qui fait un article sur le sujet, venimeux certes mais non sans fondement, il apparaît évident qu’on est entré dans une phase très délicate.

D’abord, il y a les sondages, qui montrent désormais une tendance appuyée, c’est-à-dire suffisamment de résultats dans le même sens, à un niveau significatif, pour qu’on puisse justement parler de “tendance”. Ainsi, le Washington Times rapporte-t-il, ce 24 août 2009:

«A series of national surveys has confirmed what was becoming clear as large groups of protesters rallied outside the speeches and town-hall events the president hosted last week in Western states.

»The Rasmussen Reports daily tracking poll released Sunday showed that 41 percent of voters strongly disapprove of Mr. Obama's performance as president, compared with 27 percent who strongly approved. Rasmussen said those numbers are the worst ever for Mr. Obama. The 14-point gap between the two numbers is more than double the six-point difference in the Rasmussen poll as recently as Thursday. The total of “disapproval” responses, of whatever strength, topped the approval numbers by 51 percent to 48 percent.»

Le même article du Washington Times cite un commentateur influent de Washington, Charlie Cook, éditeur du Cook Political Report. (Nous avons déjà cité longuement Cook dans son fameux jugement sur un système qui se défend contre les loups de l’extérieur et qui est menacée par les termites qui le rongent de l’intérieur.)

Le 20 août 2009, sur son site CookPolitical.com, Charlie Cook mettait en ligne le début de son analyse (menant au domaine payant de sa Lettre d’Information), sous le titre Out of Control. Il y a d’abord des précisions statistiques sur divers sondages, évaluations, etc., explicitant cette tendance de plus en plus marquée de la position d’Obama dans les sondages; puis, le commentaire lui-même.

«These data confirm anecdotal evidence, and our own view, that the situation this summer has slipped completely out of control for President Obama and Congressional Democrats. Today, The Cook Political Report’s Congressional election model, based on individual races, is pointing toward a net Democratic loss of between six and 12 seats, but our sense, factoring in macro-political dynamics is that this is far too low.

»Many veteran Congressional election watchers, including Democratic ones, report an eerie sense of déjà vu, with a consensus forming that the chances of Democratic losses going higher than 20 seats is just as good as the chances of Democratic losses going lower than 20 seats. A new Gallup poll that shows Congress’ job disapproval at 70 percent among independents should provide little solace to Democrats. In the same poll, Congressional approval among independents is at 22 percent, with 31 percent approving overall, and 62 percent disapproving.

»That all of this is happening against a backdrop of an economy that appears to be rebounding and a resurgent stock market underscores how much the President’s and his party’s legislative agenda have contributed to these poor poll numbers.

»We believe it would be a mistake to underestimate the impact that this mood will have on Members of Congress of both parties when they return to Washington in September, if it persists through the end of the Congressional recess.»

Ces affirmations sont largement combattues par des phalanges d’analystes, de politologues, de conseillers, etc., appuyés sur d’autres statistiques classiques, montrant que l’“état de grâce” passé, la popularité du président et du parti au pouvoir, lorsque c’est son parti, ont naturellement tendance à s’effriter, et qu'il ne faut pas en faire une crise pour autant. Les arguments sont connus et assénés avec autant d’assurance que Charles Cook pour nous assurer du pire.

«“If Obama has shown anything, it's that he's Mister October - that's when he makes his comebacks after a rough patch,” said Phil Singer, a Democratic consultant who runs Marathon Strategies. Mr. Singer, who served as a combative top press aide to the Clinton campaign against Mr. Obama in 2007 and 2008, said it would be a "huge mistake" to bet against the president.

»He predicted that White House aides – nearly all of whom worked for Mr. Obama during the election – would kick into campaign mode when the American people emerge from summer vacations and re-engage with politics and policy. Mr. Singer also dismissed the troubling early polls for congressional Democrats, such as a Cook Report survey released Friday suggesting the party could lose more than 20 seats in 2010. “Two years ago, polls showed Hillary Clinton was going to be president,” he said, laughing…»

Comme toujours, cette sorte d’analyse alterne le meilleur et le pire, l’infiniment vrai et l’absolument fabriqué. S’y mélangent les jeux sordides de la politique et la pression transcendantale de la tragédie historique. Si les USA étaient en marche normale, comme ils furent à peu près pendant 60 ans dans les bonnes périodes, on pourrait classer tout cela dans la rubrique politicienne. On sent bien que ce n’est pas le cas. Les USA sont trop entièrement pris par la tragédie – ce qu’ignorent plus ou moins Cook et Singer – pour qu’une telle variation dans le destin politique d’Obama se mesure à coups de sondages, de références de sondages, de mémoires de conseillers politiques et de rires grinçants sur la position de favorite d’Hillary il y a deux ans. Tout cela a sa place, est fondé, mais plutôt à l’étage d’en-dessous, et qui ne nous dit rien de l’essentiel; mais tout cela nous indique qu'il y a quelque chose d'essentiel en cours à l'étage d'au-dessus.

Effectivement , ce qui importe c’est qu’un vieux roué comme Cook puisse dire, après sept mois d'une présidence qu’on jugeait vitale pour redresser une tendance de dégradation gravissime, dans une situation aussi grave que celle des USA aujourd’hui, avec toute la charge qui pèse sur BHO: la situation est “out of control” – et qu’on croit sans difficultés qu’il n’a pas tort. Même si Cook parle d’une situation tactique, il exprime un sentiment qui a, qu’il l’ignore ou non, un sens stratégique, sinon fondamental; le ricanement de Singer, qui répond sur le seul niveau tactique et ignore les niveaux stratégique et fondamental, exprime une situation qui n’existe plus. Aujourd’hui, les USA ne peuvent plus se payer le luxe d’une situation chaotique du pouvoir, même si l’on prétend que c’est du chaotique as usual.

La force de se satisfaire d’être haï

Ce qui est remarquable, c’est qu’aucun schéma ne fonctionne. Bien entendu, pas celui de l’“American Gorbatchev”, ni même du BHO radical – on s’en serait aperçu, puisque la condition de la chose est une affirmation, un coup d’éclat, un “coup d’Etat” – on en a assez parlé dans ces colonnes, et assez répété que cela dépend d’une volonté qu’Obama n’a pas (encore?) montrée. Mais pas non plus de fonctionnement pour le schéma inverse, celui d’Obama faux-nez du système pour remettre le système en marche sous un visage avenant et africain-américain, ni celui de la “marionnette”. Au contraire…

Obama, “faux-nez du système pour remettre le système en marche” ou “marionnette”, cela signifie un Obama efficace, qui fasse tourner son monde à grande vitesse et en limitant la casse et le mécontentement, tout cela dans une logique du système retrouvant un visage avenant vers l’extérieur. Il paraît qu’Obama a sauvé l’Amérique et le monde en sauvant Wall Street, et que cela fait partie de cette entreprise de réfection. On attendra le septième jour de la chose pour voir si Dieu est d’accord et, dans cette attente, justement, on constate que la méthode a surtout comme effet d’accentuer jusqu’à la caricature insupportable l’image d’un système encalminée dans la cupidité et la force inégalitaire et déstructurante des intérêts particuliers, au détriment d’une situation économique et sociale en plein processus de dévastation. Et voilà que, sur l’affaire des “soins de santé”, Obama est en train de découper le système en rondelles alors qu’il devrait le rassembler et de se faire découper en lamelles alors qu’il devrait paraître unitaire, qu’il apparaît de plus en plus comme faible, inconsistant, inefficace, indécis dans son pays et pour le reste du monde. Cela s’appelle-t-il “sauver le système”, grâce à l’habileté du faux-nez? Et, d’une “marionnette” normalement maniée d’une main ferme, on attendrait un peu plus de tenue. Cette explication-là est de moins en moins satisfaisante. Du point de vue du système, Obama commence à prendre les allures d’une catastrophe puisqu’il ne rétablit pas l’ordre, qu’au contraire ce serait plutôt le désordre qui s’installe.

On parle certes des “soins de santé”, mais le reste n’est pas en meilleure forme, du point de vue du système. Lorsque le sénateur Lugar reproche au président de ne pas prendre assez fermement position et de ne pas indiquer fermement la direction stratégique qui importe dans le crise de la guerre en Afghanistan, il parle au nom du système. (Lugar: «He really can't just leave this to the Congress, to General McChrystal, and say, “Folks, sort of, discuss this,” after the report comes in.») Tout se passe comme si certaines qualités si brillantes qu’on a distinguées chez Obama, et qu’on croyait être à l’avantage du système, notamment sa capacité de rassemblement, sa volonté bipartisane d’arrangement, sa capacité de paraître à la fois progressiste modéré et conservateur raisonnable, devenaient, par le biais des complications diverses et des forces qui se manifestent, des faiblesses mortelles pour le système.

D’ailleurs, où est le système, celui qui a prétendument accouché d’un Obama pour tromper tout son monde et rétablir la stabilité et la capacité d’influence de la puissance US? Certainement pas du côté des républicains non plus, qui font reculer Obama sans aucun doute, mais à quel prix – en répandant cette “politiquede l’idéologie et de l’instinct” découverte pour ce qu’elle est – pur nihilisme déchainée, sans aucune restriction. Dans cet emportement, bien entendu, Obama ne fait pas le poids, et ses “qualités” deviennent d’horribles défauts également.

Notre thèse constante, bien entendu, c’est d’abord le désordre du système qui est per se une force dynamique et auto-déstructurante qui règle tout, dont les républicains sont aujourd’hui les incendiaires en chef, sortis en permission de l’hôpital psychiatrique où l’humoriste Bill Maher les avait assignés à résidence («The Democrats have moved to the right, and the Republicans have moved to a mental hospital»). Les républicains brandissent le nihilisme comme les sans-culottes brandissaient les têtes coupées au bout de leurs piques – nous faisant comprendre, une bonne fois pour toutes, que la “politique de l’idéologie et de l’instinct” c’est effectivement le nihilisme pur et dur – et que ça marche, et sacrément bien. Ce n’est certainement pas un jugement idéologique, puisque nous repoussons cette analyse qui réduirait l’affrontement à la tactique “droite contre gauche”. Simplement, l’évolution des positions, des situations et des forces historiques assigne aux républicains cette tâche d’incendiaires, qu’ils assurent avec un brio incontestable.

L’important n’est pas ici de déterminer les qualités spécifiques des uns et des autres, pour s’en féliciter ou pas, pour se quereller ou pas, mais de constater combien les combinaisons des qualités et des défauts des uns et des autres se mettent joliment en place, sous la pression dynamique du système en phase d’auto-destruction, pour développer à chaque fois de nouvelles situations de déstabilisation du système. Peu nous importe que Cook ait raison, ou que Singer ait raison. Ce qui importe est qu’à chaque fois qu’un parti ou qu’une faction prend l’avantage sur l’autre, cela accroît encore l’instabilité du système.

Le problème d’Obama, son problème personnel s’entend, est de savoir quelle sorte de rôle il veut jouer dans une dynamique qui est de toutes les façons déstabilisatrice et qui accroît sans cesse la déstructuration du système – bonne chose, puisqu’il s’agit de l'attaque déstructurante contre une matrice qui produit un mouvement déstructurant général (situation général du “contre-feu” qui détruit l’incendie en brûlant l’espace devant lui). Obama peut se contenter d’être à la tête, institutionnellement “à la tête” d’un mouvement qui le dépasse et qu’il ne peut contrôler, et accompagner sa décadence accélérée sans y prendre la part qu’il pourrait prendre; ses qualités de très grand brio ne contredisent nullement cette possibilité car un homme très brillant et plein d’une puissante raison face à un hôpital psychiatrique déchaîné et en goguette est toujours perdant et apparaît très vite comme faible, indécis, timoré, emporté, balayé… Ou bien, il peut essayer, la possibilité en existe toujours même si elle ne cesse de s’amenuiser, de jouer un rôle majeur dans le processus mais dont l’effet sera tout de même dans la déstructuration du système, en jouant “American Gorbatchev”. Dans ce cas, il dépasse l’hôpital psychiatrique en lançant des initiatives encore plus folles – par rapport au système. Cela reviendrait à des initiatives de pur bon sens explosif, comme décider de quitter l’Afghanistan par exemple – qui prendraient les nihilistes républicains complètement à contre pied et les expédieraient dans le royaume des rages impuissantes, retour à l’hôpital psychiatrique sans arrêt intermédiaire. On ne sait si l’initiative réussirait sur le terrain mais qu’importe; l’important serait qu’Obama aurait imposé au désordre républicain son propre désordre qui lui redonnerait la main. Fondamentalement, cela ne changerait pas l’orientation générale mais lui donnerait un sens supérieur qui aurait quelque chose d’historique.

De toutes les façons, nous nous trouvons dans une dynamique destructrice et auto-destructrice du système, bien plus forte par exemple que la dynamique destructrice du système soviétique dans les années 1980. Le cas Obama ne peut, à lui seul, être fondamental; il pourrait être intéressant et tenir un rôle historique (à-la-Gorbatchev), en accompagnant et en favorisant le processus mais il lui faut se hâter et surmonter un caractère qui semble paralyser l’effet éventuellement dynamique de ses qualités intellectuelles. Il lui faudrait accepter l’idée de Franklin Delano Roosevelt, rappelée par la richissime Arianna Huffington (le 24 août 2009), qui ne cesse de radicaliser son commentaire, à l’image des progressistes de salon, chics et jusqu’ici arrangeants mais qui commencent à perdre patience: «Speaking of the entrenched interests arrayed against him, FDR said: “Never before in all our history have these forces been so united against one candidate as they stand today. They are unanimous in their hate for me – and I welcome their hatred.”»