L'Afghanistan n'est pas le Vietnam: on sait d'avance qu'on a perdu...

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Le week-end washingtonien a été marqué, au cours des habituelles émissions de TV d’entretien et d’interview, par le sentiment très grand que l’Afghanistan devient (redevient) un problème de première importance à Washington. Cela suit l’élection présidentielle en Afghanistan, qui tourne à la confusion et au désordre, et, plus précisément, les incertitudes profondes sur l’engagement US dans cette guerre. Ces circonstances confirment l’aspect pressant de l’affaire afghane, son implication désormais directe dans la politique intérieure US, l’incertitude du rôle du président, les spéculations sur une “surprise type LBJ” de 1968 et ainsi de suite.

Un article de HuffingtonPost du 23 août 2009 résume bien le week-end afghan de Washington D.C. On en retient principalement les interventions de trois personnalités.

• Il y a eu deux interventions de l’amiral Mullen (NBC et CNN), président du Joint Chiefs of Staff, en même temps que l’ambassadeur US à Kaboul (sur NBC). L’élection présidentielle est perçue comme un événement plutôt contradictoire, qui pose autant de problèmes qu’il prétendrait en résoudre, notamment à cause des conditions de contestation diverses et des pressions des talibans lors des élections. Mullen est peu optimiste sur la situation et espère un résultat pour 12-18 mois (qui devient de plus en plus le leitmotiv du Pentagone); il est inquiet de l’évolution de l’opinion publique US par rapport à la guerre.

«Mullen on Sunday described the situation in Afghanistan as “serious and deteriorating,” but refused to say whether additional forces would be needed. “Afghanistan is very vulnerable in terms of (the) Taliban and extremists taking over again, and I don't think that threat's going to go away,” he said. […]

»Mullen said the security situation in Afghanistan needs to be reversed in the next 12 month to 18 months. “I think it is serious and it is deteriorating, and I've said that over the last couple of years, that the Taliban insurgency has gotten better, more sophisticated,” he said.

»Just over 50 percent of respondents to a Washington Post-ABC News poll released this past week said the war in Afghanistan is not worth fighting. Mullen, a Vietnam veteran, said he's aware that public support for the war is critical. “Certainly the numbers are of concern," he said. But, he added, “this is the war we're in.” “I recognize that we've been there over eight years,” he said. “But this is the first time we've really resourced a strategy on both the civilian and military sides. So in certain ways, we're starting anew.”»

• John McCain a été interviewé sur ABC. Il reste partisan optimiste d’une solution militaire, avec le mythe du “surge” qui réussit, comme il a, paraît-il (version officielle républicaine) réussi en Irak. La partie intéressante de son intervention porte sur la question des effectifs, notamment des renforcements possibles, et de la politisation extrême de ce problème. (Sans oublier l'aspect des possibilités réelles d'un appareil militaire US à bout de souffle et en pleine crise.)

«Army Gen. Stanley McChrystal, the top U.S. commander in Afghanistan, is completing an assessment of what he needs to win the fight there. That review, however, won't specifically address force levels, according to Adm. Mike Mullen, the chairman of the Joint Chiefs of Staff. But military officials privately believe McChrystal may ask for as many as 20,000 additional forces to get an increasingly difficult security situation in Afghanistan under control. And one leading Republican is already saying McChrystal will be pressured to ask for fewer troops than he requires.

»“I think there are great pressures on General McChrystal to reduce those estimates,“ said Sen. John McCain, R-Ariz., in an interview broadcast Sunday. “I don't think it's necessarily from the president. I think it's from the people around him and others that I think don't want to see a significant increase in our troops' presence there.”»

• Le vieux et vénérable sénateur Lugar, républicain modéré, a mis l’accent sur un point intéressant: la position, largement en retrait du président Obama dans cette affaire. C’est à la fois une position de prudence, voire éventuellement de désintérêt, et elle est très dommageable, selon Lugar.

«Sen. Richard Lugar of Indiana, the top Republican on the Senate Foreign Relations Committee, said Obama's leadership on Afghanistan is key to bolstering public support. “He really can't just leave this to the Congress, to General McChrystal, and say, ‘Folks, sort of, discuss this,’ after the report comes in,” Lugar said.»

On compare classiquement l’Afghanistan au Vietnam, quant à la forme de la guerre et, surtout, la forme de l’engagement US. Ces diverses interventions montrent, au contraire, des différences fondamentales, pour la situation à Washington, avec le “modèle vietnamien”. Ils sont au moins de trois ou quatre ordres et concernent la situation présente (à Washington, toujours), dont on nous dit qu’elle a changé radicalement depuis l’arrivée d’Obama.

• L’évaluation de la situation militaire, par les militaires US eux-mêmes, est pessimiste, voire extrêmement pessimiste. C’est en complet contraste avec le “modèle vietnamien” où la surévaluation optimiste de la situation militaire fut constante. Pourrait-on parler d’un plus grand réalisme? En un sens, oui, mais c’est simplement parce que le conflit en Afghanistan n’a pas été considéré comme essentiel jusqu’à l’arrivée d’Obama, la surévaluation optimiste étant réservée à l’Irak. Il s’agit d’une sorte de “réalisme par surprise”; soudain, l’on prend cette guerre au sérieux (après 8 ans!), pour constater ce qui est publiquement évident depuis des années. D’autre part, ce “réalisme” est aussi une façon d’implicitement mettre en cause l’administration précédente, qui ne s’est guère occupée de l’Afghanistan. Ce réalisme ne présage aucunement une plus grande efficacité sur le terrain.

• La même remarque que précédemment vaut pour le soutien populaire aux USA, pour la guerre. Ce sont les militaires surtout (Mullen) qui s’en émeuvent, ainsi que l’establishment de sécurité nationale. C’est différent du “modèle vietnamien”, où l’opposition à la guerre fut prise en compte à partir du moment où elle devint très violente (manifestations, affrontements avec les étudiants), très majoritaire et irréversible.

• Les demandes de renfort pour l’aggravation de l’engagement US sont l’objet de manipulations politiques considérables, auxquelles les militaires sont partie prenante. McChrystal ne pourra pas demander ce qu’il veut et juge nécessaire, à tort ou à raison. Il devra tenir compte plus de la situation à Washington qu’en Afghanistan. Là aussi, complet contraste avec le “modèle vietnamien”, où les militaires (le commandant en chef au Vietnam Westmoreland) ne s’intéressaient pas à l’aspect politique de leurs demandes de renfort et se contentaient des arguments opérationnels.

• Le président Obama semble beaucoup moins impliqué que ne le furent Johnson et Nixon (d’où des spéculations plus radicales sur son comportement, chose qu'il n'y eut pas avec le Vietnam, notamment avant le tournant de Johnson du 31 mars 1968, qui fut une surprise complète). C’est le sens des remarques inquiètes de Lugar; Obama semble dire à tous les pouvoirs concernés: vous avez les éléments en main, mettez-vous d’accord sur ce qu’il faut faire – lui-même tranchant en dernier ressort. C’est aussi sa méthode pour l’affaire des soins de santé, et cela paraît de plus en plus être la marque de son gouvernement. Le problème, comme le juge Lugar, est que l’absence d’engagement d’Obama permet à l’impopularité de la guerre de se développer et aux différents centres de pouvoir engagés dans la guerre de se juger sans soutien réel.

On ne peut dire, finalement, que les USA n’aient pas retenu les “leçons du Vietnam” – mais il s’agit des leçons négatives. Ils semblent réagir différemment du temps du Vietnam, par rapport à la situation aux USA, mais par rapport à une situation sur le terrain tout aussi mauvaise, et qu’ils ne sont pas loin de juger ingagnable (à part ceux qui croient au “surge” miraculeux, comme McCain). Le moins qu’on puisse dire est que ce n’est pas un moral de gagnant, et alors la principale “leçon” que les USA auraient retenue du Vietnam est qu’ils sont incapables, au fond, de remporter cette sorte de guerre. Donc, on continue et comprenne qui pourra.


Mis en ligne le 24 aût 2009 à 09H16