Nouveau crime de lèse-majesté: deux concurrents du JSF au Canada

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La mécanique de déconstruction de la légitimité globale du JSF se poursuit. Cette fois,il s'agit du Canada, un pays qu’on jugeait, comme ceux qui ont précédé, évidemment acquis au JSF. Stephen Trimble, de Flight International, nous avise de la chose le 28 mai 2009. Que ce soit volontaire ou non, l’emploi dans le titre du verbe “to usurp” («Boeing, Eurofighter bid to usurp F-35 for Canadian fighter deal»), dont la signification est royalement évidente, suggère effectivement l’état d’esprit avec lequel il faut accueillir la nouvelle.

«Boeing and Eurofighter have launched a public challenge to Lockheed Martin's widely presumed control of a next-generation fighter contract in Canada. Both challengers unveiled the outlines of a new push to respectively market the F/A-18E/F Super Hornet and Typhoon to Ottawa as replacements for the Canadian air force's Boeing CF-18 (F/A-18A/B) Hornets by the end of the next decade.»

Le Canada fait partie, avec $150 millions au départ, des participants étrangers du programme JSF. Ce pays est naturellement considéré par JPO-LM (le JSF Program Office du Pentagone et Lockheed Martin) comme un “marché captif”, – ou bien, pour suivre la logique des termes et des situations rêvées, un vassal dont le choix n’est pas un sujet de spéculation. LM a tout de même reconnu, à l’occasion de l’annonce de cette entrée en piste des concurrents, que le Canada n’avait pas encore choisi le JSF comme son futur chasseur. Le Canada, qui a besoin d’un nouveau chasseur autour de 2017, devrait prendre une décision d’acquisition autour de 2014.

«…Lockheed acknowledges that the DND has not committed to buy F-35s, says Keith Knotts, business development director for Canada and the UK. Ottawa plans to begin receiving new fighters in 2017. Lockheed believes that Canadian industry will pressure DND officials to make a decision soon to buy the JSF, as many suppliers are facing imminent decisions on making major capital investments for new tooling to support their role in the programme, Knotts says.»

Les concurrents ont présenté leur offre, chacun avec évidemment des avantages économiques attrayants, tout comme JPO-LM continue de son côté à vanter les mérites de son offre. Observons tout de même une certaine originalité dans l’offre qui concerne le Typhoon (Eurofighter). Elle mentionne le transfert sans restriction, en “toute souveraineté”, de la “technologie opérationnelle”. C'est un concept et un “avantage” nouveau pour les concurrents d'une vente à l'exportation depuis qu’on sait que les USA exigeront de voir l’accès à la maintenance de l’informatique des JSF exportés réservés aux seuls techniciens US. Cette condition extravagante, évidemment suscitée par l’état d’esprit monopolistique du “système virtualiste” qui préside au développement du JSF autant que par la paranoïa US dans ce domaine, donne effectivement et assez ironiquement un argument supplémentaire aux concurrents éventuels du JSF.

«Similarly, the four-nation Eurofighter consortium has touted "job creation and sustainment", as well as the ability to transfer "full sovereignty" over the Typhoon's operational technology, says Ian Malin, head of Typhoon exports business development for BAE Systems. BAE is leading Eurofighter's marketing campaign in Canada.»

Effectivement, une deuxième originalité de l’offre Eurofighter est qu’elle sera conduite par BAE. C’est la première fois, d’une façon aussi affirmée, que BAE est directement concurrent du JSF. (En Norvège, lorsque Eurofighter a été un temps candidat contre le JSF, c’est l’Allemagne qui dirigeait l’effort de vente; en Hollande, où l’on annonce le retour d’Eurofighter, ce devrait être le même cas). L’intérêt du propos est évidemment que BAE est un partenaire majeur du programme JSF, au même niveau que Boeing et Northrop Grumman comme sous-traitants directs de LM. (BAE a une part considérable de son activité aux USA, autour de 50%, et est considérée comme une entreprise de facto US à cause de ses liens contractuels avec le Pentagone.) Bien sûr, ces pratiques sont assez courantes dans le monde globalisé de l’aéronautique de défense, mais le JSF est un programme plein de passion comme l’on sait. Il y a déjà eu de sévères algarades entre JPO-LM et Boeing, lorsque Boeing a annoncé qu’il était concurrent pour le marché danois, jusqu’alors proclamé comme réservé au JSF par le fait du prince. Cette fois, il s’agit de Britanniques qui se sont implantés sur le marché US; ils pourraient se faire taper sur les doigts à Washington, avec ce qui est effectivement autant une usurpation du vassal vis-à-vis de son suzerain qu’une “contradiction interne” à-la-Marx du système capitaliste; ils pourraient se voir menacés de perdre des parts de leur engagement dans le JSF s’ils insistent; et ainsi de suite, – et autant pour l’Eurofighter, qui est autant EADS que BAE, qui est grandement européen et un petit peu américain par la grâce de BAE…

Comme l’on voit, les avatars du JSF et l’usurpation en cours nous conduisent à de savoureuses circonstances. Quoi qu’il en soit, on assiste bien à cette situation étonnante de la mise en place de conditions de concurrence et de sélection de choix pour un futur avion de combat, sur un marché global, après que ce marché ait été proclamé comme “captif” et acquis aux USA et au JSF à l’aube du XXIème siècle, d’ailleurs avec le consentement empressé des concurrents divers. Les concurrents reviennent en s’apercevant qu’ils sont concurrents et que le roi est nu.

Il ne reste plus qu’à voir revenir les Français avec le Rafale. Actuellement occupés du côté d’Abou Dhabi, ils finiront bien par s’apercevoir qu'il se passe quelque chose. La philosophie française face au JSF est l’extrême de la philosophie générale vis-à-vis de Sa Majesté, qui a prévalu depuis 2000 jusqu’à 2008, qui est fondée sur deux principes absolument intangibles: “De toutes les façons, les Américains sont les plus forts” et “De toutes les façons, tous les pays choisis achèteront le JSF”. Comme l’on sait, la puissance américaniste a d’abord été bâtie sur le consentement des autres, c’est-à-dire leur abdication puisqu’il faut parler en termes de vassalité et de suzeraineté. Il y a donc bien, aujourd’hui, une usurpation en route.


Mis en ligne le 30 mai 2009 à 06H16

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