Moby Dick en “vol au-dessus d’un nid de coucous”

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Moby Dick en “vol au-dessus d’un nid de coucous”

Où en est la séquestration ? Aux dernières nouvelles, pour cette minute dans tous les cas, toujours dans l’impasse. Au mieux pourrait-on espérer un accord dit “de dernière minute”, qui reporterait le délai au mois de mai pour tenter de trouver une solution à plus long terme, laquelle ne serait pas trouvée, tout cela accentuant encore la pression de l’événement créé artificiellement de A jusqu’à Z et au-delà si c’est possible. Plus précisément, la crise de nerfs du Pentagone, dit Moby Dick, déjà dans une phase impressionnante, repartirait de plus belle pour le joli mois de mai, et serait encore bien plus grave, avant peut-être un autre délai de deux mois... (Et ainsi de suite ?)

Mais tenons-nous en à la situation “pour cette minute”, qui est celle de l’impasse maintenue. Il s’agit d’une illustration grandiose quoique sectorielle de l’impasse générale du pouvoir paralysé à Washington, entre Saint-BHO d’une part, avec acolytes démocrates et sa réticence à descendre du nuage divin où il crèche, et les teigneux républicains, avec leurs obsessions fiscales et leur guerre de tranchée au Congrès. Dans le Guardian du 20 février 2013, Michael Cohen consacre un article à l’atmosphère qui accompagne les perspectives de séquestration pour le Pentagone, non pour la situation du Pentagone, mais dans le chef du comportement des chefs divers de Moby Dick, – plaintes et gémissements apocalyptiques des généraux, des dirigeants politiques, etc. Une atmosphère de fin du monde, comme si l’ennemi arrivait bardé d’armes nucléaires, et Moby Dick absolument impuissant parce qu’il ne disposerait plus, pour une année fiscale, que d’une misère d'autour de $550-$600 milliards (plus les extras divers des budgets dissimulés dans d’autres ministères et agences, comptant bien pour quelques centaines de $milliards supplémentaires chaque année)…

«On 1 March, the most dreaded word in Washington will become a fiscal reality – sequestration. Just those four syllables are enough to send chills up the spine. The across-the-board spending cuts will impact a host of federal agencies, but especially the Defense Department. It will become the law of the land, plunging the nation into a bleak, dystopian future in which (possibly) the rivers will boil over, locusts will consume the nation's agricultural bounty, and cats will sleep with dogs. America will almost overnight be reduced to a second-rate power, quickly to be overrun by hordes of foreign insurgents empowered by America's retreat from the global stage.

»Obviously, I am exaggerating. But only sort of. If you listen to American's military leaders talk about the impact of sequestration, you might be convinced that, in fact, the sky is falling…»

Là-dessus, Cohen enchaîne à propos des diverses déclarations entendues, de la bouche des généraux, de Panetta, voire de Hagel et d’autres, durant les récentes auditions du Congrès… Concert de geignements et d’avertissements terrifiants : «sequestration will put the nation at greater risk of coercion»… «sequestration would invite aggression… «the spending reductions would devastate the military»… «may irreversibly damage the military industrial base»… «will put the continued prosperity and security interests of the United States at risk»…. «[it will be] the greatest threat to our national security», etc., etc.

Tous ces gens semblent donc s’y connaître en fait de planification des équipements et des autres aspects de la gestion de Moby Dick, puisqu'ils font des appréciations prospectives si précises sur la catastrophe. Cela conduit l’ami Chuck Spinney, – vieux renard et chef des réformistes du Pentagone dans les années 1970, avant d’en être chassé ignominieusement, pour cause d’efficacité sans doute, – à interroger le secrétaire à la défense Panetta, dans Time, le 11 février 2013. Comment tous ces gens peuvent-ils prévoir que la séquestration sera une catastrophe pour la gestion des dépenses, d’ici un mois peut-être, alors qu’on leur demande depuis 2001 un audit approximatif pour connaître la comptabilité et la gestion du Pentagone, et que le Pentagone a encore fait dire en 2013, par le même Panetta, qu’il en serait incapable au moins jusqu’en 2017…

« 2. Sir, Before answering my second question, consider please the following facts:

» (a) Stephen Friedman’s financial transformation panel, which was established in 2001 at the behest of Secretary of Defense, issued a report, Transforming Department of Defense Financial Management: A Strategy for Change, on April 13, 2001 that concluded the Defense Department’s accounting systems do not provide reliable information that “tells managers the costs of forces or activities that they manage and the relationship of funding levels to output, capability or performance of those forces or activities.”

» (b) You testified to the Senate Armed Services Committee on page 3 of your 14 February 2012 budget request that the Defense Department will not be able to meet the legal requirement for audit readiness until 2017 (and by implication will not be able to solve the problem posed in 2001 by Friedman until that time).

» With (a) and (b) in mind, my second question is this:

» How can you possibly claim the sequester will now make America a second-rate power, when your own management information system cannot reliably connect accounting inputs to performance and capability outputs, particularly in this case, where the sequester will only reduce the defense budget to levels averaged during the Cold War?»

Dans cet esprit des prévisions et calculs de comptabilité et de gestion, le texte de Cohen note également une précision qui vient caractériser, plus que la capacité comptable des hommes du Pentagone, plutôt leur conformation psychologique (laquelle est également caractérisée par leurs gémissements concernant la possibilité de la séquestration). Il s’agit de la façon dont le Pentagone s’est préparé à la possibilité de la séquestration. Nous avions noté, in illo tempore, que le Pentagone refusait de considérer une approche comptable de cet événement, simplement par attitude politique de refuser cette possibilité. (Voir le 22 mai 2013.) Il ressort de la précision citée ici qu’en réalité, cette absence de préparation comptable, si elle est confirmée et si elle fut effective conformément à une politique générale de l’administration Obama, reflète également une attitude psychologique de refus de la possibilité de cette situation…

«As was noted in recent congressional hearings, it was only in December that the Defense Department began assembling a plan for dealing with sequestration. “We made the decision in the Department of Defense that we agreed with that we would wait on planning. Frankly, that was because we never thought it was going to be executed,” said Odierno. This from an institution that develops powerpoint presentations for taking a trip to the bathroom…»

…Quoi qu’il en soit de la séquestration, qui est donc la politique de ce texte qui entend fixer un état d’esprit et une psychologie bien plus qu’une situation bureaucratique et politicienne, il faut observer que la possibilité de la séquestration exerce des ravages de plus en plus conséquents au sein des directions politiques et militaires du Pentagone. Les diverses affirmations et positions ont beau être interprétées, notamment par Cohen, comme de pure relation publique, notre conviction est qu’elles recouvrent également un état d’esprit bien réel. Le Pentagone est de plus en plus terrorisé par la perspective de la séquestration, comme si la séquestration était un fait acquis, qu’elle était déjà là, et qu’elle était un fait absolument catastrophique, – tout cela, bien entendu, sans aucune appréciation comptable réelle puisque le Pentagone en est tout simplement incapable.

Cela qui conforme bien l’impression déjà notée à une autre occasion, mais alors pour les mesures opérationnelles et autres (le 11 février 2013) :

«La fameuse séquestration est de plus en plus perçue, appréhendée, et finalement actée d’une façon préventive, dans les mesures concrètes et dans la présentation de communication à mesure, comme une entité de moins en moins mesurable et contrôlable. D’une façon différente, on dira qu’elle est prise en compte de facto avant même d’exister ; de ce point de vue, elle tend à s’insérer dans une situation budgétaire d’ores et déjà chaotique et extrêmement tendue du Pentagone, où les capacités militaires, notamment stratégiques pour le cas qui nous arrête des porte-avions, sont en complète retraite sous une pression budgétaire générale conduisant à une déstructuration des forces… […] …Par conséquent, la séquestration n’est plus seulement une mesure de réductions budgétaires arbitraires et abruptes, elle devient une mesure de désordre de plus, presque une chose autonome qui s'inscrit comme une nouvelle matrice du désordre budgétaire général.»

Ce qu’on peut alors avancer effectivement, à la lumière des diverses remarques relevées, c’est que le désordre engendrée par la séquestration avant qu’elle ne soit effective si c’est le cas, sur le plan budgétaire et de la programmation, voire du déploiement des forces, devient également une cause de désordre au niveau psychologique. Ainsi se complète le tableau frappant, mais pas vraiment étonnant, d’une déstabilisation en cours, qui tend à susciter une dissolution d’un Pentagone depuis longtemps déstructurée par une absence complète de gestion et de contrôle de son organisation et de sa programmation. La perspective seule d’une réduction budgétaire, procédant automatiquement, donc sans la possibilité de faire jouer les habituels procédés d’influence et de corruption psychologiques auprès des législateurs du Congrès (arme de combat favorite des généraux), engendre une panique qui suscite également une sorte de dissolution de la psychologie par affaiblissement et par impuissance.

Effectivement, en un sens, il n’y a pas de pire menace pour le Pentagone qu’une possibilité automatique de réduction budgétaire, comme si le système que constitue le Pentagone se trouvait brusquement confrontée à un système antagoniste, mu par les mêmes automatismes et les mêmes enchaînements bureaucratiques. En quelque sorte, c’est une situation qui amorce la possibilité que cet ennemi terrible (la bureaucratie du Pentagone) que dénonçait Donald Rumsfeld le 10 septembre 2001 ait trouvé son maître, dans le chef d’un processus de dissolution du type-système comme il les affectionne pour lui-même et à son propre avantage, retournée contre lui… En attendant, voici les généraux confrontés à de terribles pressions psychologiques qui vont les pousser vers les territoires inconnus du désordre et de la pathologie psychiatrique. A côté, faire la guerre, notamment en maniant des drones assassins à des milliers de kilomètres de distance, est une partie de plaisir civilisateur.


Mis en ligne le 21 février 2013 à 15H52