Les limites de la méthode

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Quels que soient les jugements que l’on porte sur la “ligne” suivie dans sa politique vis-à-vis de la crise iranienne, – on connait notre position à ce sujet, – il faut observer que le président Obama semble arriver aux limites de l’exercice. Cela a bien semblé apparaître lors d’une conférence de presse qu’il a donnée hier, dont une présentation accompagnée d’autres nouvelles est faite par AFP ce 24 juin 2009.

«President Barack Obama staked out his toughest stance yet on Iran Tuesday… […] Obama, speaking at a White House news conference, also for the first time appeared to suggest that his strategy of offering negotiations with longtime US foe Iran may depend on the end-game of the crisis.

»“The United States and the international community have been appalled and outraged by the threats, the beatings, and imprisonments of the last few days,” Obama said, stiffening his rhetoric on the crisis. “I strongly condemn these unjust actions, and I join with the American people in mourning each and every innocent life that is lost.”

»Obama came to power in January offering dialogue with US foes, including Iran, which his predecessor, George W. Bush, largely refused to engage.

»“We're still waiting to see how it plays itself out,” Obama said of the current crisis. “My position coming into this office has been that the United States has core national security interests in making sure that Iran doesn't possess a nuclear weapon and it stops exporting terrorism outside of its borders.” “What we've been seeing over the last several days, the last couple of weeks, obviously is not encouraging, in terms of the path that this regime may choose to take.”

»Obama insisted he was not interfering in Iranian affairs, as alleged by the Tehran government, but said he had to “bear witness to the courage and dignity of the Iranian people.”»

La dépêche mentionne divers points qui témoignent d’un renforcement général des pressions sur le président US pour qu’il durcisse sa position vis-à-vis de l’Iran. Le durcissement actuel, pris isolément, n’a en effet aucun sens par rapport à ce qui a précédé, pour ce qui concerne la situation elle-même qui ne s'aggrave nullement (en Iran, les manifestations sont de plus en plus circonscrites). Il s’agit donc d’une évolution d’Obama essentiellement par rapport à sa situation intérieure. Encore quelques extraits à ce propos, suivant une description des palinodies de John McCain dont nous avons déjà parlé…:

»[… A] key committee in the US House of Representatives voted to target Tehran's gasoline imports and its domestic energy sector by prohibiting the US Export-Import Bank from helping companies that export gasoline to Iran or support its production at home.

»The State Department also said Secretary of State Hillary Clinton discussed the situation in Iran by telephone with her French, British and German counterparts, but provided no details on the talks.»

Enfin, quelques autres mots d’Obama, qui sonnent d’une façon révélatrice, presque comme une crainte d'échec au moins temporaire de sa politique, puisqu’ils tendent à affirmer indirectement que toute sa politique a été jusqu’ici d’éviter des interférences internes à l'Iran, alors que sa conférence de presse constitue une rupture, ou, dans tous les cas, une amorce de rupture de cette “ligne”. Dans ce cas, c’est à la direction iranienne que s’adresse Obama.

«The US leader complained that some of his circumspect words had already been willfully misinterpreted in Iran. “They've got some of the comments that I've made being mistranslated in Iran, suggesting that I'm telling rioters to go out and riot some more.” “There are reports suggesting that the CIA is behind all this – all of which is patently false but it gives you a sense of the narrative that the Iranian government would love to play into.”»

Quoi qu’il en soit de toutes ces déclarations, la situation objective est que BHO paraît approcher le terme de ses possibilités d’action dans la séquence actuelle. La pression venue des républicains ou d’un McCain n’a guère de poids ni d’importance, McCain se chargeant de se faire un sort à lui-même (ses dernières sorties, même si elles se font sur les mêmes positions, le montrent embarrassé, – puisqu’il faut bien finir par réaliser ce qu’on fait). Le problème, pour Obama, vient plutôt de ses propres rangs ou d’ailleurs...

• Le vote à la Chambre des Représentants que signale la dépêche, qui implique évidemment les démocrates qui contrôlent la Commission comme ils contrôlent la majorité au Congrès, montre que les parlementaires démocrates veulent une politique beaucoup plus ferme. Le risque, pour Obama, s'il ne donne pas des gages, serait de perdre le contrôle des parlementaires et de voir se développer une “politique parallèle” du Congrès contre l’Iran, qu’il ne pourrait effectivement pas contrôler.

• La mention de l’activité téléphonique d’Hillary n’a aucune signification directe mais rappelle que, dans l’équipe de sécurité nationale d’Obama, au moins deux acteurs de poids voudraient une politique plus ferme: Hillary Clinton effectivement, et surtout son vice-président Joe Biden. Obama ne peut prendre le risque de tensions visibles dans son cabinet actuellement.

• Puisqu’il est question des coups de téléphone d’Hillary à des éminents collègues européens, on mentionnera effectivement le rôle des Européens dans la situation à Washington. Leur attitude a servi d’argument puissant pour faire pression sur Obama pour une politique plus dure. Un ancien haut fonctionnaire du Secrétariat général de l’UE, spécialisé dans ces questions des relations avec l’Iran, observe que «la politique suivie par une poignée de pays européens complique terriblement la tâche du président Obama, qui tente d’établir une politique constructive». Ainsi l’Europe pourrait-elle se dire satisfaite puisqu’il s’avère qu’elle a donc une influence à Washington, – bien entendu, pour faire sentir les effets d’une ligne politique à la fois stupide et catastrophique.

Même si l’on trouve des points précis de pression à son encontre, Obama ne se heurte pas à une “contre-offensive” structurée, à un plan précis. Nous dirions plutôt qu’il arrive au point de manifestation des réflexes des élites politiques et associées (communication, people, etc.) de l'establishment occidentaliste, à Washington et en Europe, avec la palme de la précocité aux Européens. Il s’agit de ce que décrivait Harlan K. Ullman (voir notre F&C du 29 mai 2009), cette politique “de l’idéologie et de l’instinct” opposée à une “politique de la raison”, personnifiée par Bush-Cheney (par Cheney, dans le cas choisi par Ullman) mais qui investit régulièrement l’essentiel de l’establishment, aux USA et en Europe.

La politique “de l’idéologie et de l’instinct” n’a aujourd’hui plus aucune capacité d’orienter des actes politiques ni de conduire des politiques majeures de déstructuration, comme on voyait faire avec l’administration Bush-Cheney, dans tous les cas jusqu’en 2004 (ensuite, on s’en tint à la rhétorique mais on avait l’impression de marcher même si on faisait du sur place). On le voit notamment avec le tournant psychologique pris à propos de l’Iran. La politique “de l’idéologie et de l’instinct”, constamment écartée et constamment renaissante, est réduite à des réflexes de langage du type slogan, des déclarations stéréotypées, une vague bouillie pour le chat répandue par les milieux people et de la communication, toujours marquée par un radicalisme de plus en plus irresponsable, appuyée sur les slogans mécaniques qu’on sait (droits de l’homme, démocratie). Elle conserve une capacité passive de nuisance, par la paralysie qu’elle est capable d’imposer aux politiques constructives qui pourraient être tentées, cette capacité s’exprimant sur la durée, par l’accumulation de pressions indirectes, la répétition des mêmes stéréotypes, etc. Tout cela n’a aucun objectif particulier, sinon le comportement de cette agitation absolument nihiliste qui marque nos élites occidentalistes, – marquant ainsi que même la politique “de l’idéologie et de l’instinct” est, comme le reste, en dégénérescence accélérée. Au bout du compte, le résultat est similaire, ce qui est décrit par Ullman dans ces termes: «Bluntly put, government is broken.»

On dira bien évidemment: BHO, qui est si brillant, n’a qu’à passer outre. La remarque est non seulement évidente, elle est inévitable, et elle mesure le problème d’Obama, mille fois répété depuis que sa venue au pouvoir est devenue une possibilité sérieuse. C’est moins un problème de politique qu’un problème de choix fondamental de la méthode, – problème en suspens et toujours posé. Sans vouloir trop insister sur cette sempiternelle réflexion, on peut simplement rappeler que l’honorable Mikhaïl Sergueïevitch en parlait encore très récemment, comme nous le rapportions le 9 juin 2009.


Mis en ligne le 25 juin 2009 à 14H25

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