Le Rafale au Brésil, une déclaration de guerre

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Il semble désormais que le choix de l’avion de combat français Rafale au Brésil soit fait. Comme dit Yves Robins, le chef de la communication de l’archi-prudentissime (en matière d’annonce de vente) Dassault: «A partir du moment où le chef de l'Etat brésilien annonce qu'il a décidé d'entrer en négociation pour acheter le Rafale, nous avons tout lieu de penser que le Brésil achètera effectivement des Rafale. On peut penser que ça sera conclu de manière définitive en 2010 si les choses se passent bien.»

En effet, Lula a bien parlé, dimanche, comme si le Brésil avait choisi. Selon La Tribune du 7 septembre 2009, répercutant des déclarations de Lula à une chaine de télévision française:

«“Ce que je peux vous dire, c'est que nos discussions sont très avancées et je pense que nous arriverons à un bon terme avec la France“, a confirmé le président Brésilien, interrogé sur la question dans un entretien qui devait être diffusé dimanche par la chaîne TV5Monde et Radio France Internationale.

»“Les discussions avec le président Sarkozy avancent très rapidement. Nous sommes sur le bon chemin, sur la bonne voie, nous avons une relation de confiance”, a-t-il ajouté. “Tout le monde sait que l'une des exigences du Brésil, c'est d'avoir accès à la technologie. Nous ne pouvons pas acheter un avion de chasse dont on ne détiendrait pas la technologie, et c'est justement parce que nous rêvons de produire une partie de cet avion au Brésil. Nous avons une grande entreprise qui est capable de le faire”, a-t-il souligné.»

L’agence Reuters, elle, retranscrit le 7 septembre 2009, des indications venues de l’Elysée et parle également d’un communiqué commun “des deux pays”. Cela boucle ainsi la position officielle sur cette affaire de €4,5 à €5 milliards pour 36 avions de combat Rafale.

«Le contrat de vente au Brésil de 36 Rafale de Dassault Aviation s'élèverait entre 4,5 et 5 milliards d'euros pour la livraison de 36 avions à partir de 2013 sur une période de six ans, annonce l'Elysée. […]

»La France espère boucler définitivement l'accord dans les neuf mois qui viennent, soit le même laps de temps que pour la vente de quatre sous-marins conventionnels, qui a été définitivement acquise pendant la visite du président français.

»L'assemblage des Rafale sera transféré progressivement aux Brésiliens. Six appareils seront assemblés en France, les autres au Brésil, ajoute-t-on de même source.»

Grosse somme, ces milliards d’euros, mais il s’agit de tout ce qu’on veut sauf d’une “affaire commerciale”, si cette expression implique une réduction à ce domaine. Un point fondamental pour l’esprit de l’accord qui va être négocié, c’est le transfert massif de technologies au Brésil et la commercialisation du Rafale par les Brésiliens sur le continent sud-américain. La dimension politique est évidente, si l’on considère le poids et les ambitions de ce pays sur le continent, et si l’on considère la signification politique d’acheter un tel matériel français alors que ce continent s’affirme dans une position autonome, sinon antagoniste de l’influence des USA. (Un “tel matériel”, effectivement: l'avion de combat constitue, dans la perception et la psychologie dominantes, un artefact fondamentalement politique, structurant d'une volonté stratégique également fondamentale.)

Bien entendu, il est impossible de considérer cet accord (c’est bien plus un “accord stratégique” qu’une vente) sans considérer prioritairement sa dimension politique. Il y a, dans les termes de l’accord, la perspective potentielle d’ouvrir le marché sud-américain à un avion de combat français devenant, par le fait, un avion de combat franco-brésilien, puis éventuellement sud-américain. Les Américains, qui vont mettre un certain temps à réaliser la dimension de la chose, réagiront comme ils font toujours, par une interprétation “de force” et “de puissance”. (Les Américains mettent du temps à réaliser les choses et, quand ils le font, c’est en allant à l’extrême, dans ces termes de concurrence de force et de puissance.) Pour les USA, un tel accord, dans le domaine stratégique par essence et symbolique par perception des armements et des avions de combat, sera perçu sur le terme comme une déclaration de guerre. Quoi que les uns et les autres en veuillent, et surtout quoi que les Français en veuillent, les USA considéreront que la France a déclaré la guerre aux USA dans ce domaine essentiel de la puissance. C’est moins une question de quantité, d’importance des marchés, de caractère des matériels comme on a vu, etc., qu’une question d’interprétation de l’événement, avec la psychologie américaniste qu’on sait et la perception hégémonique d’elle-même de la bureaucratie du Pentagone qu’on connaît.

Les Français, qui ont le pro-américanisme affiché de leurs discours et l’antiaméricanisme inconscient de leur démarche (les deux choses, en toute innocence), n’ont évidemment aucune intention ni conscience de ce genre, sauf quelques isolés ici ou là. Il reste la puissance des faits – ou “la force des choses”, disons, de caractère très maistrien – en même temps que les caractères fondamentaux des conceptions et le poids des psychologies. La France est un cas particulier (à la différence de la Russie, pour ce domaine); elle est dans le camp occidentaliste et américaniste en principe et en paroles, type-Kouchner, mais toujours avec des penchants souverainistes d’indépendance extrêmement forts, et disposant d’une puissance qualitative de sa technologie d’armement sans guère d’équivalent. La démarche française (bien entendu, la vente du Rafale renforcée par la vente d'autres systèmes d'arme, comme les sous-marins) renforce la puissance brésilienne, l’autonomie anti-US du continent sud-américain, et participe objectivement à une mise en cause de la perception hégémonique des USA. Il n’est nul besoin de faire la guerre selon les termes classiques et archaïques qu’on sait, pour déclarer la guerre dans le cadre de notre époque postmoderniste – sans le vouloir, en toute innocence française et sarkozyste.


Mis en ligne le 8 septembre 2009 à 16H14

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