Vent arrière, du Rafale au Mistral

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Vent arrière, du Rafale au Mistral

4 septembre 2009 — Il ne nous viendrait pas une seconde à l’esprit de ne pas mettre dans une puissante corrélation politique d'interprétation ces deux nouvelles qui nous sont données presque simultanément, disons comme un signe du ciel – pour asseoir notre raisonnement d’un argument un peu plus sérieux qu’à l’habitude. Il s’agit de deux informations AFP, dans ce cas relayées par Defense News.

• D’abord, AFP a parlé avec le président brésilien Lula et Defense News publie quelques extraits de l’entretien ce 3 septembre 2009. Cet entretien a lieu trois jours avant la visite de Sarkozy au Brésil. On parle ici de la compétition très importante, au Brésil, pour le rééquipement de la force aérienne brésilienne en avions de combat, qui oppose le suédois Gripen, l’américain Super Hornet (F/A-18E/F) et le français Rafale.

Lula parle du Rafale . C’est-à-dire qu’il parle de la puissance du Brésil, de sa nécessaire souveraineté nationale, du rôle de la base technologique dans la souveraineté nationale, pour constater que les Français font une offre exceptionnelle à cet égard. Ce qu’il dit fait bien augurer – pour le moins – d’une vente de l’avion de combat français (décision prévue pour septembre, repoussée peut-être à octobre) au Brésil.

«France's offer to transfer technology to Brazil gives its Rafale fighter an “exceptional comparative advantage” in a competition to replace Brazil's fleet of fighter aircraft, President Luiz Inacio Lula da Silva told AFP on Sept. 2.

»“A country of Brazil's importance cannot buy a product from another country without technology transfer,” Lula said in an exclusive interview. “France has shown itself to be the most flexible country in terms of transferring technology, and evidently, this is an exceptional comparative advantage,” the Brazilian president said. […]

» “France is the only important country ready to discuss with us technology transfers in all these domains,” he said. “Brazil has drawn up a strategic defense plan. We are convinced ... that because of the Amazon, our deep-water offshore oil deposits, Brazil should have a defense industry in keeping with its size and importance,” Lula said.»

• La deuxième nouvelle paraîtra moins éclatante mais elle ne nous paraît pas moins importante parce qu’elle est tout aussi politique que la précédente. Il s’agit de la confirmation des Français de l’intérêt russe pour l’achat d’un porte-hélicoptères français de la classe Mistral. La confirmation a mis longtemps à venir et paraît à la fois un peu réticente et sans aucun doute extrêmement prudente. Il s’agit toujours de l’AFP dans Defense News, ce 3 septembre 2009.

«Russia has shown interest in buying a helicopter landing ship from France, marking a possible shift in Moscow's defense procurement thinking, a spokesman for the Ministry of Defense said Sept. 3. “Russia has expressed official interest in acquiring a Mistral class ship,” Laurent Teisseire told journalists at a weekly briefing. Russia's interest was “extremely general,” he said.»

Nous disons “à la fois un peu réticente et sans aucun doute extrêmement prudente”, par rapport à ce qui a été dit du côté russe à ce propos, il y a plus d’une semaine. Cela se passait à Oulan-Bator, le 26 août, selon une dépêche Novosti du même 26 août 2009 : «La Russie compte parvenir avant la fin d'année à un accord sur l'achat d'un porte-hélicoptère français de type Mistral pour ensuite construire conjointement trois ou quatre navires, a annoncé mercredi aux journalistes le chef d'Etat-major général russe Nikolaï Makarov. “Nous espérons conclure cette année un accord sur la construction en France et l'achat consécutif d'un navire de type Mistral”, a déclaré M.Makarov.»

Il a donc fallu aux Français huit jours pour confirmer une déclaration du chef d’état-major général russe à propos de son intérêt affirmé pour un système d’arme d’une puissance stratégique majeure, et d’une signification politique à mesure. La chose a donc, malgré les restrictions éventuelles, une signification politique, elle aussi et quoiqu’on en veuille et en pense. Pour ce commentaire, nous en restons à l’aspect plus général qu’a cette information mise en corrélation, disons-le encore une fois, avec les déclarations de Lula sur le Rafale.

L’axe Moscou-Brasilia, symbole de “la force des choses”

Nous ne parlons pas ici de quincaillerie, ni de comptes d’apothicaire à l’exportation, ni même de concurrence commerciale et industrielle. Nous parlons de la grande politique. Nous y sommes conduits par la simultanéité des deux nouvelles qui nous disent que la France a des chances, de grandes chances ici (Lula), des chances raisonnables là (le Mistral pour la Russie), de devenir exportatrice de systèmes d’arme de très hautes technologies vers deux pays d’une grande puissance, deux pays qui s’affirment ou se réaffirment chacun de leur côté, chacun à leur façon, contre l’ordre occidentaliste et américaniste, deux pays qui font partie du groupe BRIC dont a déjà entendu parler, notamment du côté d’Ekaterinbourg il y a deux mois et demie.

Nous ne parlons pas de quincaillerie parce que, dans ce cas, la quincaillerie n’a d’intérêt que dans la dimension politique, et de grande politique, qu’elle acquiert. L’armement est ce qu’il est et tient la place qu’il tient, conformément à la volonté du système américaniste dominant qui ne sait raisonner que selon une conception de force du monde (l’“idéal de puissance”). Qu’on aime ou qu’on n’aime pas la quincaillerie militaire, il faut y prendre garde, parce qu’elle est nécessaire dans la stratégie et la psychopolitique actuelles pour tenter d’affirmer une nation, une souveraineté et une identité; ou, plutôt, pour ne pas abdiquer sa souveraineté et son identité de nation, ce qui est le cas lorsqu’on est conduit à choisir, par crainte, par corruption, par stupidité ou par défaut, de la quincaillerie américaniste.

Cette règle que certains jugeront détestable est intangible dans les relations internationales. Celui qui rejette la quincaillerie au nom d’une idéologie morale et antimilitariste fait le lit de la puissance américaniste parce qu’il laisse le champ libre à l’inéluctable – céder au bout du compte à la nécessité stratégique de s’en équiper et, pour avoir refusé d’aborder le problème dans sa complexité, en arriver à céder aux pressions américanistes devenues irrésistibles dans ce cas. La seule alternative sérieuse aujourd’hui à la pression du système et du complexe militaro-industriel qui est derrière, dans ce domaine de l’armement, c’est la France. Seul ce pays possède à la fois une industrie d’armement puissante et d’un niveau technologique presque unique au monde, et une tradition de souveraineté et d’identité qui fait qu’elle respecte celles des autres et fait de tout transfert de ses armements et des technologies qui vont avec vers un autre un moyen pour cet autre de renforcer sa propre souveraineté et sa propre identité. Les déclarations de Lula, cet homme qui commence à mesurer précisément ce qu’est le danger du système de l’américanisme, sont suffisamment éloquentes à cet égard.

Le Brésil et la Russie sont deux pays qui, pour des raisons différentes et selon des approches différentes, sont sur la première ligne de bataille contre le système de l’américanisme. Ne nous demandez pas d’énoncer une théorie politique, voire d’évoquer un complot d’alliance, parce que nous pensons que là parle “la force des choses” – mot du général de Gaulle pour désigner la puissance de l’Histoire – et que “la force des choses” commence à parler d’une façon tonitruante pour enfin mettre en pleine lumière la réalité de ce système américaniste pourri par les termites et au bord de l’effondrement. Les deux transactions évoquées sont à des degrés de réalisation différents, elles peuvent même paraître, dans les esprits fort courts d’un ministère français de la défense qui n’a jamais eu une pareille insignifiance à sa tête, d’esprits différents. Du point de vue essentiel de la politique du monde, celle qui répond à l’Histoire et non aux calculs des comptables qui nous dirigent, elles répondent du même esprit.

Pour la France, nous ne dirons pas que “c’est une chance”, cela suivi du cliquetis des calculettes des comptables à l’exportation, voire même des roucoulades du chauvinisme satisfait sur la valeur du matériel français. (Il est préférable, pour s’y retrouver, de ne pas confondre calculette et chauvinisme avec la nécessité structurante de la souveraineté et de l’identité d’une nation, ou alors c’est qu’on ne comprend rien aux choses fondamentales.) Ceci (l’exportation) et cela (l’incomparable qualité de l’armement français, beaucoup plus efficace et intégré que l’armement US) existent; ce n’est pas le propos même si c’est le moyen. Pour la France, ces deux nouvelles de possibles exportations vers le Brésil et la Russie ouvrent (rouvrent) la voie, dans une époque critique, caractérisée par une “structure crisique”, à la réaffirmation de son rôle historique, voire métahistorique, de pourvoyeuse de souveraineté et d’identité. (Répétons-le: pour elle et pour les autres.) Ne demandez pas aux actuels dirigeants français de vous expliquer cela, c’est comme si vous leur demandiez de parler la langue de Chateaubriand. (“Quel château?”, disent-ils.) Eux n’ont que peu d’importance, mais il se trouve que les circonstances, qui les dominent tant, font que la France continue à compter pour l’essentiel – en un sens, et sans hésiter, malgré les Français, et, surtout, malgré des élites françaises dont la médiocrité et la pauvreté d’esprit sont un prodige sans précédent. (Soyons juste: “prodige” surtout, que la France puisse encore jouer ce rôle malgré cette médiocrité et cette pauvreté; mais aussi, reconnaissance de la puissance de “la force des choses”.)

Nous dirions même que les circonstances de l’Histoire (“force des choses”) font que la France devra – malgré “bling-bling” et le retour dans l’OTAN, ces dérisions sans conséquence – tenir de plus en plus ce rôle. La chose est bien plus forte que ceux qui la dirigent, – par ailleurs, ceux-là, sensibles aux calculettes de l’exportation et aux roucoulades du chauvinisme satisfait, donc qui s’exécuteront sans comprendre ni discuter. Ce pays qui est l’un des plus avancés du système de l’américanisme, qui est, derrière les apparences et par le biais de ses élites, le plus sensible par fascination dérisoire aux chimères du système, est inéluctablement conduit à jouer un rôle de résistant de première ligne aux derniers sursauts d’agression de la déroute catastrophique du système déstructurant de l’américanisme. Ces marchés d’armement sont un moyen puissant de cette résistance. C’est sans doute une remarquable occurrence où la quincaillerie, malgré le poids de son coût et l’inutilité fondamentale de son usage dans le monde guerrier d’aujourd’hui, s’avère comme un formidable moyen politique de résistance à la plus terrible menace qui ait jamais pesé sur la civilisation. L’axe Moscou-Brasilia (énoncé ici comme symbole de l’événement, on le comprend) passe donc par Paris.


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