Le JSF et le cœur du sujet

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Bill Sweetman a eu accès au dernier rapport du Dr Michael Gilmore, directeur au Pentagone des services dits “Operational Test & Evaluation”, sur l’évolution du programme JSF. Il s’agit de l’analyse de la situation du programme au stade de développement et d’évaluation réelle (vols d’essai).

Il se confirme : 1) qu’on ne peut réduire le programme au concept “noir et blanc” qui tend à se développer ces derniers temps (le F-35B à décollage vertical va mal, les F-35A et F-35C conventionnels pour l’USAF et la Navy vont bien) ; 2) que le principal problème du JSF est le logiciel (software), c’est-à-dire l’habillage électronique, ou plus largement dit, la “pensée électronique” sous forme de système qui conduit l’existence et l’activité de l’avion.

Sweetman écrit, dans Ares (Aviation Week & Space Technology), le 13 janvier 2011.

«The F-35B short take-off, vertical landing variant of the Joint Strike Fighter may not complete flight sciences testing and shipboard integration until late 2016, even if current efforts to resolve design problems are successful, according to the latest report from the Pentagon's Director of Operational Test & Evaluation, Dr Michael Gilmore. The report has not been officially released as yet but a copy was made available to Ares. […]

»The DOT&E also reports that the latest date for the completion of development testing on the F-35A and F-35C, in early 2016, will not be met unless Block 2 and 3 software is delivered on time and other "critical" problems, including issues with the JSF's helmet-mounted display system, are resolved. But the mission systems flight test schedule "still contains significant uncertainty", the report says.

»Rather than the rapid software development schedule originally planned, the DOT&E report now says that “the F-35 mission systems software development and test is tending towards familiar historical patterns of extended development, discovery in flight test, and deferrals to later increments.” […]

»For all variants, earlier plans to achieve flight test goals by raising the sortie rate to 10-12 flights per month per aircraft “are not achievable”, the report says, until reliability and maintainability are improved.

»Mission system software is the biggest problem. Currently, the only software for which a test program has been approved is Block 0.5 - but the Block 0.5 effort has failed, since the program office has deemed it unsuitable for training.

»The Block 1 test program plan has been completed and is now being reviewed, and the Block 2 plan is in the initial draft stage, as part of a comprehensive replanning effort. "Completion by early 2016 is possible provided further delays in delivery of Block 2 and Block 3 software are not incurred, and the program can overcome the helmet mounted display problem before Block 2 flight test must begin," the report says.»

Notre commentaire

@PAYANT Nous avons toujours pensé que le JSF était plus qu’un avion de combat ; qu’il était même plus qu’une “stratégie industrielle” à lui tout seul, comme l’annonçait dès 2000 Richard Aboulafia, et même plus qu’une tentative idéologique au profit de l’American Dream aux abois. Par ses dimensions, ses ambitions, ses caractères, etc., le programme JSF représente, synthétise, résume à lui seul le paroxysme de la modernité dans sa dimension du système du technologisme, – paroxysme, avec triomphe attendu et définitivement acté, et chute soudaine quoique sans surprise pour certains. Le JSF est à la fois le Triomphe et la Chute.

Selon ce que devrait être la raison, c’est-à-dire une fonction équilibrée et pratique déterminant le jugement des faits à partir de l’inspiration que donne l’intuition haute, les aventures du B-2 (développement commencé en 1979-1980) et du F-22 (développement commencé en 1983), largement entamées et déjà pleines d’enseignement lors de l’origine conceptuelle du JSF (en 1994), auraient dû conduire le programme JSF sur une voie fondamentalement différente de celle qui lui fut assignée. (Bien entendu, il s’agit d’une remarque absolument théorique et sans aucune assise réaliste car c’est tout le développement d’au moins deux siècles et plus, du système du technologisme, qui n’aurait pas dû être conduit, selon cette hypothèse d’une raison non pervertie.) C’est le contraire qui fut conduit, accentuant encore plus la tendance, d’ailleurs en cours depuis l’origine du système du technologisme. Disons, pour simplifier, qu’on peut comptabiliser cette tendance au nombre de lignes code de l’“habillage électronique” passant (nous ne sommes pas sûrs des chiffres selon la diversité champêtre des sources, mais l’ordre de grandeur est là et bien là), – de 4 millions de lignes (pour le F-22) à autour de 20 millions pour une version du JSF (avec une relative duplication entre les versions). Bien entendu, l’utilisation de l’ensemble des technologies furtives complique à l’infini l’intégration de cet “habillage électronique”, son bon fonctionnement, le destin de l’avion et, finalement, son existence même en temps qu’artefact opérationnel.

Lorsque le rapport du DOT&E écrit que «the F-35 mission systems software development and test is tending towards familiar historical patterns of extended development, discovery in flight test, and deferrals to later increments», il dit à la fois vrai et faux. Il dit vrai dans la mesure où nous trouvons l’habituel processus de l’assurance initiale des bureaux d’étude pour la mise au point de l’avion, bientôt révisée dans le sens de l’allongement de la multiplication des difficultés lors de la confrontation avec la réalité. Mais, avec le JSF, il n’y a pas loin d’une différence de nature… Il y a une telle assurance de départ avec la construction d’un monde totalement virtualiste dont les fondations sont la domination absolue du système du technologisme représenté par le JSF, et une telle dégradation, un tel effondrement des prévisions, jusqu’à la perspective de l’implosion catastrophique du programme en autant de monstrueuses scories n’ayant plus aucun sens, qu’on doit admettre qu’on assiste à un événement grandiose, voire tout simplement sublime. Le JSF est vraiment le “son et lumière” de la catastrophe du technologisme, par ailleurs conduite à son terme dans les détails de la navigation par l’aveuglement du personnel bureaucratique du Système. Devant une catastrophe d’une telle nature, appuyée sur l’impuissance en pleine démonstration de l’imbroglio technologique que constitue les lignes de code par dizaines de millions pour faire fonctionner l’“habillage électronique”, il est évident qu’apparaissent des questions fondamentales sur les perspectives de blocage décisif du système du technologisme. Le JSF est-il le démonstrateur de la chose ? Comme il y eut, aux beaux temps de la puissance technologique, des “démonstrateurs technologiques” (comme furent le YF-16 et le YF-17 [prédécesseur du F-18], dans les années 1973-1974) qui mettaient en application des nouvelles technologies, peut-être y aurait-il le programme JSF comme “démonstrateur de la fin du technologisme”, dont la tâche serait de nous démontrer que l’impasse est confirmée, la paralysie diagnostiquée, l’impuissance définitivement actée.

Lorsqu’il nous parle, à propos du JSF, de «[t]he woeful inefficiency of many portions of the United States defence industry, and procurement bureaucracy… […] Many […] United States programs display similar symptoms, with overpriced and frequently underperforming products», le Dr. Kopp ne croit pas si bien écrire. Ce à quoi nous convie le programme JSF, c’est au naufrage d’une des plus grandes ambitions de la modernité, bien plus encore que des USA, que du monde de l’aéronautique et du monde de l’armement. Le JSF, avec son ambition incroyable d’exister simplement par la grâce de millions de lignes code comme s’il s’agissait d’oxygène, sans autre référence à la réalité, marque le crépuscule de cette espérance d’une stupéfiante vanité de remplacer la création du monde par la création des lignes codes…


Mis en ligne le 14 janvier 2011 à 11H42