Le JSF à la mer (très gros temps)

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Le JSF à la mer (très gros temps)

L’année s’était mal terminée pour le JSF, l’année commence mal pour le JSF. Nous parlons de 2009 et de 2010, successivement. Cette fois, l’attaque vient d’un des piliers du programme, l’U.S. Navy, accessoirement confirmée par un autre “pilier” extérieur, le Royaume-Uni. Elle concerne la version navale du chasseur, le F-35C.

• Le 12 janvier 2010, le site DoDBuzz de Colin Clark, largement considéré comme une très bonne source pour les questions de défense US, notamment pour ses contacts au Congrès, signale l’intrusion dans le dossier d’un rapport de l’U.S. Navy très défavorable au JSF pour des questions de coût, notamment d’utilisation opérationnelle (sans parler des difficultés techniques du programme). En gros, le rapport implique que l’U.S. Navy, dans ses contraintes budgétaires grandissantes, doit envisager pour maintenir son équipement aéronaval l’abandon du F-35C pour la poursuite du programme F-18 Super Hornet (dans sa version E/F dans tous les cas, peut-être dans de nouvelles versions). Le coût d’emploi du F-35C est présenté à 40% plus élevé que celui du F-18 dans ses versions actuelles. (Clark signale également que la Navy serait intéressée par la possibilité d’un nouvel avion de combat de 6ème génération, au-delà du JSF qui est dit “de cinquième génération”, démarche qui effacerait effectivement le JSF pour la Navy.)

«Congressional aides are beginning to wonder if the Navy should buy the carrier version of the Joint Strike Fighter, in light of the program’s rising price tag and its higher flight costs.

»“I’m growing more and more convinced that the Navy variant of the F-35 might not be worth buying. The program is sliding further and further to the right, as costs increase. When we have an 80 percent solution in active production, and significantly cheaper, the F-35C looks like a great candidate for cancellation,” said one congressional aide. “Gates has talked about choosing 75 percent solutions over expensive ‘exquisite’ systems and this is a perfect candidate.”

»For its part, the Navy, already worried it won’t have enough planes for its carrier fleet, has briefed senior Pentagon leaders that the Joint Strike Fighter program “will have a significant impact on naval aviation affordability in the FYDP and beyond.” A source who follows JSF closely quoted portions of the NavAir study, “Joint Programs TOC Affordability.” A congressional aide who has seen the report confirmed the information. The study was briefed to DoD leaders earlier this month.»

• Eric Palmer, sur son site ELP Defens(c)e, commente, ce 12 janvier 2010, le texte de Clark. Il rapporte les affirmations de Lockheed Martin, qui ne sont évidemment pas en accord avec le document de la Navy: «History is no help. Lockheed Martin has briefed on several occasions over the years that the F-35 is as cheap to maintain and sustain as a legacy fighter aircraft. Who is right? With all the other claims that have come up to be unproven by Lockheed Martin and the gone-native DOD F-35 program office; can we believe anything they say?»

• Concernant cette version F-35C pour porte-avions, autre nouvelle peu encourageante, venue d’un long article de Richard Norton-Taylor, spécialiste de défense du Guardian, ce 12 janvier 2010. Norton-Taylor confirme le principe de la décision, d’ores et déjà acquis écrit-il, de réduction de la commande de JSF par le Royaume-Uni, en même temps que le principe de réduction de deux à un nouveau porte-avions est également très sérieusement envisagé. La meilleure hypothèse (pour le JSF) est une réduction de commande de 142 à 70 exemplaires. «“The carriers are under real threat. There will certainly be a big reduction in JSF numbers,” a well-placed military source told the Guardian. “The carriers are about more fast jets. They are very hard to justify,” added a defence official, referring to a growing consensus that the RAF already has too many fast jets.»

Notre commentaire

@PAYANT Malheureux JSF… La présence de l’U.S. Navy dans le programme est essentielle pour maintenir la fiction d’un programme d’avion de combat universel. Il va bien entendu sans dire que si l’U.S. Navy s’orientait vers un abandon de sa commande de F-35C, les Britanniques seraient trop heureux d’avoir une “obligation” extérieure à eux, sans se mettre politiquement à dos les USA, pour abandonner complètement une commande de F-35C qui deviendrait quasiment impossible à satisfaire à cause des coûts; d’ailleurs, il est probable qu’un retrait de l’U.S. Navy signifierait l’abandon pur et simple du F-35C. Les Britanniques n’insisteraient pas trop pour avoir tout de même une pincée de F-35A (version USAF) pour la RAF. Quant à la version ADAC/V pour les Marines (F-35B), résisterait-elle à un choix de l’U.S. Navy d’abandon du JSF, quand on connaît les liens structurels et opérationnels, évidemment à l’avantage de la Navy, qui tiennent ces deux services? On en doute… Inutile d’ajouter que ces scénarios-catastrophe qui ne cessent de prendre du corps contribueraient à une augmentation catastrophique des coûts du JSF, du prix à l’exemplaire, etc. On a déjà souvent écrit que le JSF est un programme extraordinairement tendu, une architecture énorme et absolument instable – le cas typique du “too big to fall” qui peut s’effondrer brusquement en cas de changement structurel vers l’affaiblissement. Le retrait d’un pilier comme l’U.S. Navy entraînerait en réalité une menace d’effondrement total du programme.

Nous n’en sommes pas encore là. Il ne s’agit que d’un rapport, et certains en contestent la validité. Mais c’est un rapport de plus, et tous ces rapports qui se succèdent sont défavorables au JSF. Il ne s’agit encore que de la période des essais de l’avion, qui accumule les retards et les dépassements de coûts, qui ne cesse de reculer la période effective d’entrée en service et de disposition opérationnelle réelle. (Au-delà de 2015-2016 si tout va bien.) Déjà, dans le budget FY2011, une somme destinée à la production a été transférée vers le poste “tests et évaluation”. Le paradoxe possible est que le JSF qui a été lancé sur l’idée brillante de l’absence de prototypes spécifiques, selon le processus que l’on passait directement à la production avec les premiers avions de production expérimentant avec la certitude de succès qu’on imagine toute la construction virtuelle de l’avion, de ses performances et de ses capacités – le JSF pourrait paradoxalement se retrouver avec une flotte impressionnante de prototypes. Si les transferts de fonds se poursuivaient, un nombre de plus en plus important d’avions de production/prototypes deviendraient de purs prototypes, sans pour autant rien garantir, ni du succès, ni de l’avenir du programme.

Il faut observer que la position de la Navy rejoint une attitude historique. Les auteurs réformistes Sprey-Wheeler ont rappelé (voir le 25 décembre 2009) le comportement de la Navy vis-à-vis de la précédente tentative d’un avion “commun” à tous les services armées, le F-111. C’est la Navy qui était sortie du programme, d’une façon qui peut faire penser qu’elle l’avait saboté pour son compte (pour sa version), refusant un avion qui ne fût pas de sa propre conception. La même aventure pourrait bien se reproduire et l’annonce que la Navy songe à des nouveaux projets d’avions suppléant ou/et dépassant le JSF rappelle effectivement l’aventure du F-14 TomCat développé en secret et sorti opportunément par la Navy pour compléter et rendre acceptable son abandon du F-111.

Un homme est particulièrement mal à l’aise dans ce climat et face à ces perspectives éventuelles. Finalement, Gates reste au moins jusqu’à la fin 2010 au Pentagone. Il s’était engagé à fond pour le JSF, il n’y a pas si longtemps. Il se retrouve devant un programme devenu de plus en plus un boulet pour tout le monde, jusques et y compris pour le Pentagone. Et pour lui, donc!

 

Mis en ligne le 14 janvier 2010 à 06H28

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