Une journée de dupes dont il n'est pas nécessaire d'être dupe

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Une journée de dupes dont il n'est pas nécessaire d'être dupe

La phase actuelle et évidemment paroxystique de la crise syrienne a produit le 10 septembre 2013 (en partie 9 septembre aux USA à cause du décollage horaire) une “journée” [symbolique] étonnante, qu’on pourrait qualifier de “journée de dupes” sans pourtant être assuré en quoi que ce soit de savoir qui en est/sont la/les dupe(s) principalement. Nous irions même jusqu’à avancer, 1) qu’on ne parviendra sans doute pas à le déterminer (“qui est la dupe?”), pour aussitôt poursuivre en avançant 2) que cela n’a pas vraiment d’importance, car cette journée de dupes, et le nom de la dupe éventuellement, ne laisseront pas une trace essentielle dans le récit de cette séquence crisique. A côté de cela, nous importe essentiellement d’observer les tendances fondamentales et la façon dont elles ont évolué, et ce qu’il pourrait en résulter.

• ... D’ailleurs, nommer cette “journée” “journée de dupes”, c’est peut-être lui faire beaucoup d’honneur derrière l’apparence. Car ce fut d’abord une journée de chaos, une de plus, cette fois avec le chaos semblant dégager plusieurs directions qui rompaient à première vue avec l’habitude des grandes tendances, pour finalement dégager la sensation générale que ces grandes tendances restent tout de même respectées. Ainsi peut-on avancer que les grandes tendances, après et avec ce chaos initial, ont pu s’affirmer à nouveau, faisant penser que rien n’est fondamentalement changé et que la route vers un accord qui résoudrait la crise actuelle est non seulement loin d’être parcourue, mais, tout simplement, n’est peut-être pas vraiment ouverte. Aussi ne retiendrons-nous que certains points qui nous paraissent importants pour la suite.

• Il ne paraîtra pas nécessairement étonnant pour nos lecteurs que ces points “qui nous paraissent importants pour la suite” concernent d’abord les USA et la situation washingtonienne. Plus que jamais, nous affirmons que l’actuelle phase paroxystique de la crise syrienne comporte nettement deux “crises dans la crise”. La première, c’est la situation syrienne et ses nombreuses cruautés de tous les côtés et, autour d’elle, les agitations diplomatiques (plutôt que “le ballet diplomatique”), dont la proposition russe fait partie. Cette première “crise dans la crise” a été l’objet de diverses confusions et du rideau d’apparence rationnelle que donne l’agitation diplomatique, comme si l’on pouvait penser qu’il est question de rationalité politique dans cette affaire pour conduire à juger selon cette référence de l’évolution de l’un ou de l’autre, essentiellement du côté du bloc BAO. Non, finalement les grandes tendances ont été réaffirmées dans ce cas, et essentiellement la plus importante d’entre toutes et portant la responsabilité essentielles des caractères de la crise : l’intransigeance chronique du bloc BAO, dont on sait qu’elle est, tout aussi essentiellement, à son origine fondamentale, de nature psychologique et pathologique (voir ce 11 septembre 2013). Quoi qu’il en soit, il est assez vite apparu que la proposition russe, accueillie avec une faveur forcée par des esprits alimentés par une psychologie pathologiquement incapable d’envisager une autre issue que l’agression militaire, s’est rapidement heurtée aux habituelles manœuvres et exigences tendant à transformer un accord sur le chimique en un blanc-seing pour une attaque au moindre motif lié à des conditions extrêmement contraignantes, sinon insultantes, voire provocatrices pour la partie contractante, de l’accord envisagé. Les Russes ont réagi évidemment par un raidissement. (Un texte de Russia Today, le 11 septembre 2013, sur les débats de la Douma, montre que les Russes sont bien dans l’état d’esprit d’envisager la possibilité d’un conflit, et des mesures d’aide de la Russie à ses alliés dans ce cas.) Tout cela, qui se trouve débattu autour de la possibilité d’une résolution de l’ONU, augure assez mal de l’avenir de cet accord ... On voit mal où se trouve l’esprit nécessaire, non seulement à cet accord conduit à son terme dans des conditions acceptables, mais encore plus à la réunion Genève-II qui devrait idéalement suivre pour régler l’affaire syrienne.

• Obama se trouve, comme à son habitude, dans une position à multiples facettes, pleine de sinuosités et de voltefaces, assurant dans une même phrase tout et son contraire, intéressé par la proposition russe, envisageant effectivement de ne pas attaquer selon peut-être ses vœux secrets (et ceux de sa femme Michelle nous a-t-il confié lundi soir), attentif à ne pas déplaire aux super-faucons du Congrès et à rassurer l’opposition à la guerre qui ne cesse de s’affirmer au même Congrès, tout de même conduit à affirmer que les horreurs syriennes à charge du seul et unique Assad doivent être punies, et ainsi de suite. L’homme souple comme une marionnette en caoutchouc est un véritable kaléidoscope d’affirmations péremptoires. Il a renouvelé tout cela dans son discours d’hier soir, censé présenter les perspectives du plan russe et apparaissant surtout comme une réaffirmation de la guerre contre la Syrie ... Laquelle n’est pas vraiment une guerre, mais la frappe “incroyablement-réduite”-selon-Kerry (déclaration à Londres lundi). Antiwar.com résume la chose le 11 septembre 2013.

«After carving out four distinct positions yesterday on the Syrian chemical weapons disarmament deal, President Obama appeared to backtrack to number 3 today during his primetime address, making it very much an afterthought in a speech that appeared to mostly go back to last week’s arguments for attacking Syria. [...] The lack of new arguments is conspicuous, particularly with President Obama promising that after tonight’s speech Americans would “want to attack Syria,” and then rehashing arguments that have an overwhelming majority of Americans opposed to the war.»

• Le même texte d’Antiwar.com conclut sur ce paragraphe : «The president capped off the speech by claiming that he is now supporting a Congressional delay of the votes authorizing the war, though of course those delays already came simply because he didn’t have the votes.» Il y a là un cas intéressant. Obama prend à son compte la décision de retarder le vote du Sénat, comme s’il l’avait initiée, comme une mesure de sagesse pour mieux étudier la proposition russe, alors que cette décision a été chronologiquement prise avant l’annonce de la proposition russe, et a tout à voir avec la panique de la direction du Sénat de voir les perspectives d’un vote comme de plus en plus catastrophiques (c’est-à-dire opposé aux propositions présidentielles). Le 10 septembre 2013, Justin Raimondo s’attachait précisément à ce tour de passe-passe.

«We are told a Kerry gaffe, an impressive display of Putin’s diplomatic jiu-jitsu, and – most of all – the “credible threat” of war led to what the Obamaites and their media cheerleaders are hailing as a great victory for this administration. A look at the timeline of events, however, effectively debunks the official narrative.

»The key development here wasn’t Kerry’s fumble and the Russian interception but the announcement by majority leader Harry Reid that the Senate vote on the war resolution would be delayed: the War Party simply didn’t have the votes. What the administration discovered, to their horror, was that the more they made their case to the American people the less support they had: every time Kerry opened his mouth, their poll numbers went down a few points, and a few more members of Congress came out against intervention.

»Reid didn’t decide to cancel the Senate vote due to Putin’s diplomatic deus ex machina: as important Democratic Senators defected to the peace camp hours before Reid’s announcement, panic set in. With calls against outnumbering those in favor by over 100-to-1, not even the legendary power of AIPAC could intimidate legislators into swimming against such a tide.»

Ainsi reste posée la question fondamentale de la séquence : la position du Congrès sur l’attaque contre la Syrie, surtout à la Chambre mais aussi, semble-t-il désormais, au Sénat. Cela promet nombre de manœuvres, mais dans un climat, comme le souligne avec jubilation Raimondo, qui est pour l’instant très défavorable à l’administration et au War Party. Ce processus est extrêmement important parce qu’il laisse ouvert ce qu’il y a de plus fondamental dans cet épisode crisique, qui est l’émergence d’un puissant courant antiguerre, à la fois populaire et parlementaire, au cœur même du pouvoir qui est le centre de la machinerie belliciste et interventionniste du bloc BAO et du Système. On ne fait pas de prévision ici, pour ne pas avancer que cela promet quoi que ce soit dans un sens ou l’autre, mais on observe que se poursuit ainsi un débat extrêmement déstabilisant pour le Système.

• Dans les innombrables auditions, déclarations, etc., de cette vraie-fausse “journée de dupes”, nous retiendrons une déclaration faite, semble-t-il, devant la commission des forces armées du Sénat, dans le cadre des débats et auditions sur la crise en cours, et qui a peu marqué les manchettes des organes de la presse-Système. Elles sont rapportées par Noah Ackerman, du Guardian, dans l’article qui tient à jour les minutes du déroulement de cette “journée de dupes” (le 10 septembre 2013). Le compte-rendu note : «US secretary of defense Chuck Hagel and General Martin Dempsey, chairman of the joint chiefs of staff, said strikes on Syria would be an “act of war,” notwithstanding Kerry's repeated assurances that the Obama administration is “not asking to go to war.”» Dans le détail de son rapport sur ces témoignages, Ackerman notait :

«Hagel appears not to be buying Kerry's declaration that the Obama administration is not asking Congress to go to war. “We can dance around definitions,” Hagel says. But “anytime you use military authority or power, that's some aspect of war.” [...] Dempsey: “I have said in previous testimony that the strike would be an act of war.”»

Ces déclarations, d’ailleurs parfaitement coordonnées et montrant l’unité de vue entre les civils et les militaires au Pentagone (au contraire d’autres agences ou ministères au sein du gouvernement Obama), constituent une discrète mais très importante affirmation. Elles renforcent la perception d’une position très nette du Pentagone, en gros opposé à une attaque contre la Syrie, au plus extrême décidé à mettre le gouvernement et surtout le Congrès devant toutes les conséquences d’une attaque. Ces déclarations, faites au Congrès, s’adressent d’abord au Congrès dans le déroulement de ses débats actuels. Elles divergent complètement, dans la lettre et surtout dans l’esprit, de la ligne suivie par l’administration Obama pour “vendre” son projet d’attaque au Congrès et, éventuellement, de l’affirmation d’Obama qu’il peut se passer d’un accord du Congrès pour attaquer. L’un et l’autre, Hagel et Dempsey complémentairement, disent que n’importe quel type d’attaque, y compris l’attaque “incroyablement réduite” selon l’affirmation inimitable de Kerry, constitue un acte de guerre, avec toutes les conséquences, législatives, politiques et militaires qu’on peut attendre. Pour l’immédiat, elles tendent à renforcer l’opposition au Congrès à un soutien à Obama ; pour le terme à venir très vite, elles tiennent ouverte la possibilité d’une brèche importante au sein du gouvernement ... A posteriori, elles donnent du crédit aux rumeurs de menaces de démission de Hagel et de Dempsey en cas d’attaque sans l’accord du Congrès, qui ont pu contribuer à conduire Obama à demander au Congrès d’intervenir, et qui pourraient ressurgir dans un cas de figure de l’évolution de la situation ramenant au premier plan la possibilité d’une attaque US sans l’accord du Congrès.


Mis en ligne le 11 septembre 2013 à 18H26