La diplomatie russe se durcit-elle, – éventuellement avec la Chine?

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Le site de la chaîne TV Russia Today offrait une interview d’Alexander Cockburn (éditeur du site Counterpunch, frère de Patrick Cockburn, journaliste à The Independent), ce 26 août 2011. Le dernier paragraphe de cette intervention reproduisait une critique non dissimulée de la position de la Russie dans la crise libyenne…

«Russia also received its share of criticism from Cockburn. “[The campaign] has been a bad business throughout,” he said. “And I actually, personally, very much deplore the position that Russia took in the initial Security Council vote, they should have been against it from the start.”»

La politique russe, dans tous les cas celle qu’on a observée ces derniers mois, et sans aucun doute depuis plus longtemps (depuis le printemps 2010 et le tournant sur l’Iran, voire depuis la politique de conciliation avec les USA en 2009 ?), cette politique s’est manifestée vis-à-vis de la crise libyenne et elle se révèle effectivement très décevante par rapport à ce qu’est habituellement la position russe. Nous le notions le 5 juillet 2011, justement à propos de la Libye, de la Syrie, de l’Iran. Nous observions que cette décadence de la politique russe était essentiellement due, à notre sens, à la recherche par la Russie d’une adaptation et d’une certaine intégration dans le Système, c’est-à-dire principalement le bloc BAO, ignorant ainsi combien cette tendance recèle en fait une logique de paralysie au contraire de ce qu’on en attend.

Par contre, nous observions plus récemment qu’une intervention tonitruante de Poutine (“Les USA sont le parasite du monde”, le 2 août 2011) se démarquait nettement de cette tendance, en retrouvant une ligne “dure” à l’encontre du bloc BAO. Nous avions tendance à en faire un acte personnel de Poutine. Peut-être est-ce plus que cela, et s’agit-il d’un durcissement plus général de la politique russe.

…Cela écrit pour introduire la nouvelle du jour, de la diplomatie russe. Il s’agit d’une “contre-résolution” sur la Syrie introduite à l’ONU par la Russie, à partir d’un travail en coopération avec la Chine, et qui est destinée à contrer la résolution actuellement préparée par quelques pays du bloc BAO, dont évidemment la France, le Royaume-Uni et les USA. La résolution russe n’envisage pas de sanctions contre la Syrie et ne condamne pas la direction syrienne. (En même temps, les Russes annoncent un effort diplomatique majeur vers la Syrie, avec une importante visite à Damas, le 29 août, du vice-ministre des affaires étrangères, Mikhail Bogdanov.) Russia Today, rend compte ce 27 août 2011, de l’initiative russe à l’ONU.

«“Russia is looking for ways of leading Syria out of the crisis,” said Russia's permanent representative at the UN, Vitaly Churkin. Churkin believes that the approach of Russia’s Western partners on the Security Council to the solution of the Syrian crisis is “completely biased and is leaning exclusively on the Syrian government.”

»“It does not have anything about the need for dialogue, does not encourage a position for dialogue,” he said. “In fact, our concern is that it is going to push the more extreme, more destructive elements of the Syrian opposition towards stronger efforts in order to topple the Syrian government. So that is why we don’t at all like what our Western colleagues are trying to achieve by that resolution and we are proposing an alternative to that – to keep the Security Council involved but in a positive way.” […]

»At the same time Britain, France, Germany, Portugal and the United States formally presented their draft resolution, which was discussed earlier this week, to the Security Council. Their resolution calls for sanctions against Assad and some other senior officials who are believed to be personally responsible for civilian casualties.

»Russia and China refused to attend these informal talks, giving the understanding that they are working on other solutions for the Syrian crisis. As veto-wielding permanent members of the Security Council, Russia and China have the power to block any decision.»

Il s’agit d’une évolution notable de la position russe, et même de la position chinoise, par rapport aux précédentes occasions dans ce type de problèmes où Russie et Chine ne refusaient pas la coopération ou, au pire, se situaient dans l’attentisme pendant que le bloc BAO concoctait ses résolutions onusiennes. On peut spéculer sur le fait de savoir si la position russe, particulièrement (la Chine s’étant toujours tenue beaucoup plus en retrait), implique un changement d’orientation de la diplomatie russe. Les Russes ont pu mesurer, depuis 2010, voire depuis 2009, combien leur ralliement, en général partiel, parfois plus complet, aux lignes politiques US et du bloc BAO ne leur rapportaient que très peu d’avantages diplomatiques et leur coûtaient de plus en plus en termes d’influence et de capacités de pression.

L’expérience libyenne, enfin, doit être extrêmement amère pour les Russes (et les Chinois à cet égard), puisque leur abstention sur la résolution 1973 impliquait évidemment que les termes de cette résolution seraient respectées ; cette simple logique légaliste à laquelle Russes et Chinois ont adhéré implique moins de la naïveté que leur conception de la légalité internationale, et encore une certaine méconnaissance de l’esprit d’illégalité et de piraterie qui caractérise le bloc BAO. Depuis, on a pu mesurer les extraordinaires violations de cette résolution par tous les acteurs impliqués en Libye, ce qui constitue une leçon de dimension pour la diplomatie russe (et la diplomatie chinoise).

S’il y a effectivement un tournant de la diplomatie russe, sans doute de concert avec la Chine, il ne s’agit pas de mettre en place un cadre politique général alternatif, mais de se tenir dans une position de réserve méfiante, voire hostile, et une telle position largement connue, pour être le point de rassemblement des mécontents divers, selon les circonstances, face au bloc BAO. En termes d’avantages généraux, la Russie devrait largement s’y retrouver, et il serait logique de voir la Chine suivre cette voie. Dans tous les cas, il semble que l’on se trouve devant la possibilité d’un tournant en matière diplomatique, et il s’agit là, bien entendu, d’une des premières retombées majeures de l’évolution de la situation en Libye. Les prochaines élections présidentielles russes de 2012 (mais aussi, le grand congrès du Parti communiste chinois la même année, où les grandes orientations stratégiques pour la décennie doivent être définies), devraient donner une large place à cette question de l’orientation diplomatique russe, – cela, encore plus assurément si Poutine, dont le durcissement est manifeste, est candidat.


Mis en ligne le 27 août 2011 à 15H44