La crise grecque et le devoir d’insurrection

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La crise grecque et le devoir d’insurrection

L’UE est-elle devenue une entité fasciste, – qu’on qualifiera de “fascisme mou” grâce aux artifices du système de la communication, à l’aide des faiseurs de narrative, à la langue de bois en générale doucereuse (mais de plus en plus cassante), aux tirades démocrates dont la conviction a la substance d’un article en solde de Prisunic ? “Fascisme mou”, c’est le moindre qu’on puisse dire dans le chef de l’opinion que Jacques Sapir émet dans sa dernière chronique consacrée à la crise grecque, c’est-à-dire à la crise européenne, où l’entité européenne, égrégore devenue folle par ivresse de puissance (l’idéal de puissance) ne prend même plus la peine de dissimuler sa constitution et sa démarche absolument totalitaires, – ne prenant même plus cette peine, comme si son ivresse l’empêchait effectivement de se comprendre elle-même et la mettait hors de portée de toute velléité d'autocritique. Avec la crise grecque, l’UE est un bateau ivre, comme on est “ivre de puissance” plutôt que par un simple avatar de navigation du à des éléments naturels déchaînés. L’UE a construit sa crise toute seule, bien sûr dans le cadre du Système et à son incitation, mais sans facteur extérieur significatif qui l’exonérerait au moins en partie de sa responsabilité. Non, totalitaire elle est, totale est par conséquent sa responsabilité. Les apports extérieurs dans la responsabilité de la crise ne sont que les conséquences du comportement central de l’UE.

On trouve sur le site de Sapir, RussEurop, à la date du 15 juin 2015, une réflexion sur ce thème. Nous en donnons ici les extraits qui nous paraissent particulièrement significatifs (en supprimant les références pour ne pas alourdir notre propre texte, mais qu’on retrouve bien entendu dans le texte initial). Nous citons ce texte d’une façon substantielle, et selon un choix d’extraits qui, à notre sens, ne le dénaturent pas (on en jugera avec le texte initial) mais qui, au contraire, dégagent ce qui nous paraît de plus essentiel. Il s’agit de rien moins qu’un appel à une sorte de soulèvement contre une structure totalitaire, oppressive, illégitime, irresponsable et profondément déstructurante et dissolvante dans ses effets opérationnels, – c’est-à-dire diabolique dans la forme fondamentale qu’elle présente d’une entreprise dont le but ne paraît être désormais, n’est plus désormais, d’une manière fondamentale et absolument visible, qu'une agression totale contre le monde lui-même, ses aspects principiel, sa démarche de recherche d’harmonie et de justesse constitutive, de légitimité, de souveraineté bien sûr. L’UE en tant qu’entité, en tant qu’égrégore répétons le mot, est désormais une entreprise totalitaire maléfique, elle est désormais une ennemie sans retour du monde et de l’humanité. Delenda Est Cartago disait Caton l’Ancien ; la formule est d’actualité, si elle doit être adaptée aux moyens de l’époque, où en général la communication remplace le glaive mais n’en est pas moins une marque décisive de la puissance et de l’efficacité dans la bataille.

«Quelle image restera-t-il de l’Union européenne à la suite de la crise grecque ? [...] L’Union européenne, sans s’en rendre compte, a assumé le rôle de la défunte Union soviétique en développant l’équivalent d’une doctrine de la “souveraineté limitée”.

»Les conditions de gestion de cette crise [grecque] ont été désastreuses, mais c’est un désastre dont la Commission européenne porte l’entière responsabilité... [...] [Le] refus de la part de la Commission d’entendre ce que lui disait le gouvernement grec a conduit à la transformation de ces négociations en ce que le Ministre grec des Finances, M. Yanis Varoufakis, appelle une “guerre”... [...] [L’Union Européenne] s’est révélée telle qu’elle est en elle-même : une structure d’oppression et de répression, un ensemble profondément anti-démocratique. [...]

»L’Union européenne se présentait comme une construction nouvelle, ni un “super-Etat” ni une simple association. En affirmant péremptoirement, par la bouche de M. Barroso, que l’UE est un projet “sui generis”, les dirigeants européens s’exonèrent de tout contrôle démocratique et enterrent ainsi le principe de souveraineté nationale, mais sans le remplacer par un autre principe. C’est le fait du Prince dans toute sa nudité. Ceci fut réaffirmé, de manière plus brutale, par Jean-Claude Juncker, le successeur de l’ineffable Barroso à la tête de la commission européenne : “Il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités européens”. Cette révélatrice déclaration date de l’élection grecque du 25 janvier 2015, qui justement vit la victoire de SYRIZA. En quelques mots, tout est dit. Le Droit Constitutionnel, autrement dit les normes par lesquels nous nous donnons des règles afin d’organiser notre vie en communauté, se concentre normalement sur la question de la Souveraineté. Or, c’est cette question que les oligarques de Bruxelles et Francfort voudraient bien faire disparaître. On a bien vu le schéma mis au point, consciemment ou inconsciemment, à Bruxelles, et que révèle tant le discours de Barroso que la déclaration de Juncker n’a pas d’autres fins que d’exclure la souveraineté et de laisser les dirigeants de l’Union européenne sans contrôle démocratique sur leurs actes. Mais, la déclaration de Juncker va même plus loin. Elle refuse à un pays le droit de remettre en cause des décisions prises dans les traités. Nous sommes bien aujourd’hui dans le cadre d’une nouvelle “souveraineté limitée”. Ces termes reprennent le discours de l’Union soviétique par rapport aux pays de l’Est en 1968 lors de l’intervention du Pacte de Varsovie à Prague. Ils affectent de considérer les pays membres de l’Union européenne comme des colonies, ou plus précisément des “dominions”, dans le cadre du Commonwealth, dont la souveraineté était soumise à celle de la métropole (la Grande-Bretagne). Sauf qu’en l’occurrence, il n’y a pas de métropole. L’Union européenne serait donc un système colonial sans métropole. Et, peut-être, n’est-il qu’un colonialisme par procuration. Derrière la figure d’une Europe soi-disant unie, mais qui est aujourd’hui divisée dans les faits par les institutions européennes, on discerne la figure des Etats-Unis, pays auquel Bruxelles ne cesse de céder, comme on l’a vu sur la question du traité transatlantique ou TAFTA, ou encore en ce qui concerne la crie ukrainienne.

»Cette révélation de la vraie nature de l’Union européenne conduit certains auteurs à la comparer à un “fascisme mou”. Laurent de Sutter, professeur de droit et directeur de collection aux Presses universitaires de France, donne ainsi cette explication : “Ce délire généralisé, que manifestent les autorités européennes, doit être interrogé. Pourquoi se déploie-t-il de manière si impudique sous nos yeux ? Pourquoi continue-t-il à faire semblant de se trouver des raisons, lorsque ces raisons n’ont plus aucun sens – ne sont que des mots vides, des slogans creux et des logiques inconsistantes ? La réponse est simple : il s’agit bien de fascisme. Il s’agit de se donner une couverture idéologique de pure convention, un discours auquel on fait semblant d’adhérer, pour, en vérité, réaliser une autre opération”.

»Il convient alors d’en tirer toutes les conséquences, même si la formule de “fascisme mou” peut choquer. Il est clair aujourd’hui que le combat visant à recouvrer la souveraineté est un préalable essentiel. On ne pourra débattre des questions importantes qu’une fois que cette souveraineté sera rétablie et l’Etat reconstruit. C’est en cela qu’il faut saluer la décision, même si elle apparaît bien tardive, de Jean-Pierre Chevènement de quitter le MRC (qu’il avait fondé) pour se situer dans un espace de débat transcendant les “ …sensibilités historiques car on ne sortira pas la France de l’ornière sans cela”. Il est désormais clair que les divergences ne se feront plus sur un axe “droite-gauche”, du moins tant que la question de la souveraineté ne sera pas tranchée. “Il n’y a d’irrémédiable que la perte de l’Etat » avait dit Henri IV. Quand il fit cette déclaration devant les juges de Rouen, car un Parlement à l’époque était une assemblée de juges, il voulait faire comprendre qu’un intérêt supérieur s’imposait aux intérêts particuliers et que la poursuite par les individus de leurs buts légitimes ne devait pas se faire au détriment du but commun de la vie en société. En redonnant le sens de la Nation, il mit fin à la guerre civile. Nous en sommes là aujourd’hui. On peut le déplorer mais il faut le constater, et en tirer les conséquences qui s’imposent...»

Nos lecteurs savent parfaitement que nous avons nos instruments de travail, ce que nous appelons notre “arsenal dialectique”. Ils savent que, dans la recherche des forces qui ont conduit l’UE sur sa voie catastrophiques et qui sont donc la source originelle de notre crise européenne spécifique, on trouve moins qu’on le croit, sinon comme un relais, les États-Unis d’Amérique qui connaissent des crises similaires de contestation des forces qui nous gouvernent en nous opprimant (en ce moment, précisément, “la crise des traités” montre que les USA, loin de n’être que des instigateurs, sont d’abord des victimes, qu’ils le sont aussi bien que les pays européens) ; ils savent qu’on trouve ce que nous nommons le Système, l’entité suprême, l’égrégore qui a accouché des divers égrégores-relais dont l’UE en est une parmi d’autres du même acabit (comme le système américaniste dont dépendent les USA, justement, en est une autre). Mais cette réserve n’est pour l’instant qu’une divergence de perception qui n’a pas une importance fondamentale, face à la pression qu’exercent les crises immédiates et paroxystiques. La crise grecque est immédiate et paroxystique, c’est-à-dire que la crise de l'UE est immédiate et paroxystique. Il y a là la une cause pressante, une exigence qui ne souffre aucun délai, d’une mobilisation générale, – version postmoderne de notre “Aux armes, citoyens”, où, là encore, les “armes” seront adaptées aux affrontements de l’époque postmoderne qui sont d’abord de communication plus que de métal pur.

Cet état d’esprit, répétons-le pour bien fixer les dimensions de la crise, – ce que nous nommons la Grande Crise, ou crise d’effondrement du Système, et non pas la seule crise grecque qui est en fait la crise de l’UE, – est aujourd’hui partout en éclosion, en état d’urgence dans nombre de pays de ce que nous nommons le bloc BAO, parce qu’à côté des crises grecque et européenne éclatent et se propagent d’autres crises, les innombrables crises affectant tous les domaines, toutes les zones, toutes les activités humaines. Et les USA, répétons-le, ne sont pas les derniers à connaître cette sorte de remous, – car s’il existe une globalisation hors de toutes les concurrences et antagonismes prédateurs, et qui devrait réussir aujourd’hui en montrant quelque vertu, ce devrait être évidemment celle de la révolte et de l’insurrection. Un intellectuel comme Chris Hedges, ancien Prix Pulitzer et ancien journaliste à ce parangon de la presse-Système qu'est le New York Times, auteur du récent Wages of Rebellion: The Moral Imperative of Revolt, y tient un discours où, lui aussi, il exhorte chacun à remplir son “devoir d’insurrection”. (Voir InfomationClearingHouse, DVD d’une intervention du 8 juin au Town Hall de Seattle, mis en ligne le 14 juin 2015 : «Today, with the unprecedented level of global wealth inequality and the power of corporate and government elites to make decisions that negatively impact the mass of people on the planet, the imperative for revolt is greater than ever. But when will it come? What will it look like?»)

Face à ce déferlement, il existe également une logique, sinon du renoncement, du moins de la prétention à la lucidité fataliste et qui se pare volontiers de réalisme, qui est de dire que contre le Système (contre la direction-Système des USA, contre l’UE, etc.), il n’y a rien à faire parce qu’il y a tant de puissance contre nous. Pour la puissance c’est l’évidence puisque le Système, en permanente dynamique de surpuissance, est un Tout qui embrasse notre univers, – là aussi, globalisation achevée. (A ce degré d’universalité et de surpuissance, même la Russie, la Chine, les BRICS & Cie, en font partie d’une façon ou l’autre.) D’une part, on connaît notre logique à nous, qui est d’affirmer qu’l n’y a rien à attendre de vases plans de destruction du Système puisque le Système ne peut être détruit que par lui-même (dynamique surpuissance-autodestruction), et qu’il est en très bonne position sur la voie de son effondrement en train de se faire. D’autre part, cette logique de la pseudo-lucidité fataliste, qui prétendrait donner une leçon de rationalité (du type “il est inutile de rêver”) est en soi absurde puisque suicidaire : si le Système n’était pas détruit selon cette conception, l’alternative n’est pas notre asservissement, notre soumission ou quelque autre chose de cette sorte qui impliquerait de continuer à vivre tant bien que mal, mais bien notre très rapide destruction totale, – spirituelle, psychologique, intellectuelle et enfin physique, – au sens même du “néantissement”. Il n’y a strictement aucun choix : il faut accomplir son devoir d’insurrection sans s’interroger une seconde sur “nos chances” “de l’emporter” (interrogation et projet absurdes puisque le Système se charge de tout, notamment de sa propre destruction), simplement en tenant cette position par la seule force du caractère, – être et se trouver dans la position de De Gaulle le 18 juin 1940 à Londres, rien de moins.

En attendant, ce que nous signale le texte de Sapir, avec d’autres démarche de cette sorte qui ne cessent de s’accumuler, c’est la montée du sentiment de l’insurrection contre l’UE, de plus en pers perçue pour ce qu’elle est, – une imposture, une entité illégitime et effectivement fasciste, un égrégore des destruction. Le Système dans sa représentation européenne à visage découvert.


Mis en ligne le 16 juin 2015 à 11H19