L'Afghanistan, et le doute qui grandit

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La guerre en Afghanistan est d’abord une guerre anglo-saxonne, malgré tous les efforts faits pour tenter d’en changer l’état d’esprit initial; et c’est une “guerre” dont on se demande s’il s’agit bien d’une guerre… Il est inutile de rappeler ici toutes les interrogations et les incertitudes concernant le fondement et la signification d’un conflit qui a été l’objet de tous les montages médiatiques et virtualistes, qui a été déclenché à cause de 9/11 et comme s’il s’agissait d’une réponse à 9/11. Dès l’origine, la guerre d’Afghanistan, dont on se demande s’il s’agit d’une “guerre”, est l’objet d’une interrogation fondamentale sur sa substance même.

Aujourd’hui, il semblerait qu’on puisse distinguer un doute grandissant chez l’un des deux partenaires de la coalition anglo-saxonne. Les Anglais doutent sérieusement, notamment parce qu’ils ont subi des pertes plus importantes ces dernières semaines, que les opérations ont mis en évidence la faiblesse de leurs moyens en même temps que leur incapacité à en déployer plus. Ce doute s’exprime également, et fort gravement, dans le sentiment du public, selon The Independent de ce 28 juillet 2009.

«But today's ComRes survey suggests that the public mood is switching rapidly against the war – and that people do not believe it is worth sending reinforcements to Afghanistan.

»More than half of voters (52 per cent) want troops to be withdrawn from Afghanistan straight away, with 43 per cent disagreeing. Opposition to the military action is even stronger among women. By a margin of nearly two-to-one, the public believes that the Taliban cannot be defeated militarily. Fifty-eight per cent view the war as “unwinnable”, with 31 per cent disagreeing.

»There is overwhelming agreement – by 75 per cent to 16 per cent – that British troops in Afghanistan lack the equipment they require to perform their role safely. Despite that, 60 per cent of people do not think more troops and resources should be dispatched to the war zone. Just over one third (35 per cent) are in favour of reinforcements being sent in.

»The collapse in confidence in Britain's involvement in Afghanistan comes after the numbers killed in the action exceeded those who died in Iraq.»

Le même Independent argumente, dans son éditorial, en faveur du principe de négociations avec les talibans. Richard Norton-Taylor, dans The Guardian, également de ce 28 juillet 2009, affirme que les Américains et les Britanniques sont sur la voie d’ouvrir des négociations avec les talibans, – ou, dans tous les cas, avec “des” talibans.

«A concerted effort to start unprecedented talks between Taliban and British and American envoys was outlined yesterday in a significant change in tactics designed to bring about a breakthrough in the attritional, eight-year conflict in Afghanistan.

»Senior ministers and commanders on the ground believe they have created the right conditions to open up a dialogue with “second-tier” local leaders now the Taliban have been forced back in a swath of Helmand province. They are hoping that Britain's continuing military presence in Helmand, strengthened by the arrival of thousands of US troops, will encourage Taliban commanders to end the insurgency. There is even talk in London and Washington of a military “exit strategy”.»

Mary Dejevsky analyse le fondement de cette guerre, pour en constater, sans surprise excessive, la faiblesse, voire l’inexistence (dans The Independent, du même 28 juillet 2009). La formule est cruelle: «It's a war for our hearts and minds», selon l’expression que les services de relations publiques du Pentagone avait fabriquée pour définir le comportement des soldats lancés dans ces guerres absurdes et cruelles, qui devaient “conquérir les cœurs et les esprits” des populations concernées. Aujourd'hui, ce sont les coeurs et les esprits des peuples des nations qui partirent à la conquête des coeurs et des esprits des autres qu'il font songer à conquérir, – ce qui semble une démarche de plus en plus vaine, en même temps qu'elle décrit l'absurdité menée à son terme de cette affaire. Dejevsky fait rapidement et sans difficulté le procès d’une “guerre” qui n’en a jamais été une, en remontant aux origines, en observant que l’affaire afghane fut considérée comme un conflit au sens classique du terme, sans doute faussement, évidemment selon des considérations de circonstances et selon des montages politiques et psychologiques qu’on connaît bien:

«It can be argued that the attacks of 9/11 were of a different order, that they struck not just US interests, but its territory – though this is strictly true also of the embassy attacks. Politically, George Bush had no choice but to order a military response. But was he right to see an act of war where others might have seen a crime, best punished by a short, sharp and selective demonstration of force? With hindsight, it should be clear that the 9/11 plotters struck lucky. Our eight-year military campaign, and counting, risks sowing the seeds of new resentment, and nothing more.»

…Le doute grandit, et l’on peut se demander cette fois si le tournant n’est pas fondamental, dans tous les cas pour les Britanniques. La fragilité psychologique de l’engagement en Afghanistan est extraordinaire, tant ce conflit est faussaire depuis l’origine, sans aucune justification dans sa forme et selon ses modalités. Il est désormais totalement perçu comme “ingagnable”, quelles que soient les réalités sur le terrain, – mais, dans ce cas, perception largement et continuellement renforcée par les réalités sur le terrain.

La situation économique au Royaume-Uni, la situation sociale, les capacités budgétaires du gouvernement, bref la crise qui frappe le pays contribuent d’une façon décisive à cette évolution du sentiment britannique. C’est peut-être la circonstance conjoncturelle décisive. Au-delà de ce constat, on peut se demander si l’on peut concevoir la poursuite du conflit si les Britanniques décidaient, d’une façon ou l’autre, de réduire radicalement, voire de cesser leur engagement. Cela semble bien improbable, tant l’unité psychologique de la soi-disant “coalition” est, elle aussi, d’une extraordinaire fragilité. (Bien entendu, ce constat concerne essentiellement, voire exclusivement les USA. Cette remarque, venue presque naturellement, comme s'il n'était après tout pas nécessaire de la faire tant elle marque l'évidence, mesure le jugement stupéfait constant où l’on se trouve de la présence des autres pays, dont la France au premier chef, dans ce conflit : qu’y font-ils? Quel est leur but fondamental? Quel est leur espoir de quelque chose qui ressemble à une “victoire”? Se posent-ils seulement ces questions? Etc. Le silence, – hors les slogans sans intérêt, – qui accompagne ces questions répétées en vain est l’un des phénomènes très impressionnants de l’histoire de cette “guerre“.)

Peut-être, par le côté britannique, une course de vitesse a-t-elle commencé, entre d'une part la recherche d’un arrangement quelconque, avec tel ou tel parti des talibans, ou avec “les talibans” en général, pour permettre un retrait, et d'autre part une pression bientôt irrésistible pour un retrait. Ce qui est significatif, aujourd’hui, c’est la mise en pleine lumière de l’absence de substance de cette “guerre ”. Cette réalisation rend la chose de plus en plus insupportable.


Mis en ligne le 28 juillet 2009 à 05H35