JSF et F-22: l’équipe Obama entre dans la danse

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JSF et F-22: l’équipe Obama entre dans la danse

20 janvier 2009 — Les indications continuent à s’additionner pour confirmer que la question des avions de combat modernes sera le premier grand débat de l’administration Obama dans les affaires de défense. La “question des avions de combat modernes” concerne essentiellement le F-22 et le JSF, ou F-35, deux avions de combat produits par Lockheed Martin (LM) et dont on sait l’importance politique de leurs destins respectifs, outre l’aspect militaire de la chose.

Un communiqué du département d’Etat du 16 janvier 2009 (mis en ligne sur le site defense-aerospace.com le 19 janvier) nous apporte des indications à ce propos, complété par d’autres publications dans le même sens. Mais ce communiqué vaut qu’on s’y attache; il est en soi bien inhabituel et, dans tous les cas, et si l’on se risque à certaines hypothèses, notablement révélateur. Il mélange des déclarations d’officiels de l’administration Obama récemment nommés, devant le Congrès le 15 janvier, et des déclarations commentées du général Charles R. Davis, de l’USAF, chef du JSF Program Office jusqu’au 15 décembre 2008, au cours d’une conférence à la Brookings Institution le même 15 janvier. Davis nous annonce pleine de bonnes nouvelles, que le JSF marche bien, que le soutien est fort au Congrès, que les trois forces qui vont l’utiliser (USAF, Marine corps, Navy) sont absolument enthousiastes («support from all three services has never been stronger»), pour les pays coopérants aussi, et ainsi de suite. Nous sommes dans “JSFland“, annexe loué par LM et le Pentagone de Disneyland.

…Puis, une petite précision, que le rédacteur en chef du site defense-aerospace.com, Giovanni de Brigandi, s’est permis de souligner en observant que c’est la première fois que nous obtenons une confirmation officielle que le coût officiel du JSF sera, au jour d’ aujourd’hui et en attendant mieux, notablement plus élevé que prévu officiellement, jusqu’ici et imperturbablement ($40-$55 millions): «Davis conceded he gets many questions about the F-35’s cost – expected to be $80 million to $90 million, depending on the variant – and delivery schedule. And if fewer aircraft are built, each will cost even more. “We lose two airplanes in our [fiscal 2009] appropriation, and every other one of the airplanes being bought in that year goes up $3 million,” he said.»

En passant, et c’est toujours bon à savoir, Davis confirme le caractère hyper-centralisé du programme, cette fois pour le soutien logistique, donc la dépendance absolument totale de tous les “propriétaires” de JSF du soutien US (on se demande vraiment avec une inquiétude marquée d’une perplexité ironique où les Britanniques vont trouver dans ce corset de fer leur fameuse “souveraineté opérationnelle”, condition sine qua non de leur achat du JSF); le comble, ou bien non la simple logique de l’esprit américaniste, est que Davis présente cela comme l’un des plus formidables avantages du JSF, notamment grâce à la réduction de coût que cela entraine, comme on peut le voir avec le prix de l’avion. On est vraiment dans JSFland.

«The F-35 program represents the first time in military procurement history that the United States has partnered with another nation to build an aircraft from the ground up. “We believe that the coalition that was put in place when they signed up for this program is probably stronger than ever now,” Davis said.

»This partnership, he said, brings the concept of coalition integration to a whole new level. In addition to funding and developing the F-35 together, the partners plan to use a single system to sustain it – sharing spares and repair capabilities to reduce costs. “There is something very unique that Joint Strike Fighter offers that other programs I have seen do not,” he said.»

A côté de cette “ode au JSF” du général Davis, on trouve dans le communiqué du département d’Etat, inséré dans le corps du texte un rapide compte-rendu de la déposition au Congrès du nouveau n°2 du Pentagone, William Lynn. Lynn remplace Gordon England, partisan acharné du JSF et adversaire également acharné du F-22, et donc l’homme qui a établi une concurrence opérationnelle directe entre les deux avions, au profit du JSF de son point de vue certes.

«Earlier yesterday, William Lynn, Obama’s deputy defense secretary nominee, told the Senate Armed Services Committee it would be “very difficult” for the Defense Department to keep all its weapons systems development programs on track in tight budget times. Lynn said at his confirmation hearing he’ll push for a speedy Quadrennial Defense Review to set priorities through fiscal 2015, and expects the tactical aviation force modernization issue to play heavily in those considerations.

»In written responses submitted to the committee, Lynn recognized the capabilities of both the F-22 and F-35 aircraft – particularly when considered together. “The F-22 is the most advanced tactical fighter in the world and, when combined with the F-35 Joint Strike Fighter, will provide the nation with the most capable mix of fifth-generation aircraft available for the foreseeable future,” he said.

»The F-22, to replace the legacy F-15 fleet, brings “tremendous capability” and is a critical element of the department’s overall tactical aircraft force structure, Lynn said. The F-35, on the other hand, “will provide the foundation for the department’s tactical air force structure.” […] So the big question, he said, is determining the appropriate mix between the two aircraft. “If confirmed, I would expect this to be a key issue for the early strategy and program-budget reviews that the department will conduct over the next few months,” he said.»

Ces quelques mots nous en disent beaucoup, et d’une façon qui, d’ores et déjà, établit une distance avec l’administration Bush dans cette affaire, en même temps qu'ils esquissent les grandes lignes de l'action de cette administration au Pentagone. Enumérons quelques points d’interprétation.

• Lynn annonce que l’administration veut faire de la prochaine Quadriennal Defense Review (QDR) sans doute prévue pour début 2010/courant 2010 un document majeur pour les grands choix stratégiques du Pentagone jusqu’en 2015, cela dans une optique de forte restriction des dépenses puisqu’il nous annonce qu’il sera “très difficile” de poursuivre le développement de tous les systèmes en cours de développement. Il semble que cette QDR sera un des leviers essentiels de l’administration Obama pour tenter de changer les choses au Pentagone (bon vent). Et, dans cette QDR, la “question des avions de combat modernes” tiendra une place centrale. Honneur donc au F-22 et au F-35/JSF.

• Certes, dit Lynn, les deux avions, le F-22 et le F-35, sont les meilleurs du monde. Il fallait s’y attendre… Sauf, que nous ne nous attendions pas précisément à ce que le F-22 soit salué avec le même enthousiasme que l’est le F-35. C’est une nouveauté par rapport à 2008, qui marque la distance entre Lynn et England. Lynn poursuit dans cette voie puisqu’il expose que la question centrale est de savoir quel “mélange” des deux avions il faut avoir en activité. La position n’est donc plus, comme au temps d'England: le F-22 est fini, place au F-35; mais bien: les deux programmes existent, quelles places respectives et coordonnées leur donner?

• En effet, Lynn se sépare également de la ligne England en abandonnant l’opposition F-22 versus F-35 pour en revenir à la formule initiale F-35 complémentaire du F-22. (Dans cet ordre, puisqu’en rétablissant cette situation, Lynn rétablit implicitement la hiérarchie: le F-22 est le chasseur “haut de gamme”, le F-35, plutôt de la catégorie en-dessous pour la puissance; en effet, le F-22 est désigné comme «the most advanced tactical fighter in the world», alors que le F-35 existe, donc avec la hiérarchie impliquée.)

• Le résultat est que l’antagonisme opérationnel F-22 versus F-35 inventé par la fine équipe England-Young est pulvérisé; pulvérisé également, l’argument sorti miraculeusement de JSFland l’année dernière d’un F-35 supérieur au F-22 et, donc, supérieur à tout ce qui peut être conçu par l’esprit humain aujourd’hui, et donc le JSF maître des cieux pour les siècles à venir et ainsi de suite.

(A noter que cette intervention de Lynn a marqué qu'il est le véritable représentant de l'administration Obama au Pentagone. Plutôt que n°2, nous dirions qu'il est “n°1bis”. Il semble que le schéma d'un Gates assurant vraiment une transition, même assez longue, mais en laissant se mettre en place la politique Obama sans intervenir, semble assez convenir à la situation.)

Comment danser avec le JSF?

Le reste du monde, notre cher ROW (Rest Of the World), a intérêt à suivre avec attention la bagarre qui commence à prendre forme. Elle n’est pas sectorielle, elle est fondamentale: l’affaire F-22-JSF, même si elle concerne une catégorie très spécifique parmi la vaste panoplie des systèmes d’arme, est au centre des débats du Pentagone, – à propos du Pentagone et de sa catastrophique destinée budgétaire et bureaucratique. Cette centralité, et la publicité qui va avec, dans le temps d’une crise systémique qui tire de tous les côtés, sont des facteurs essentiels qui touchent diversement les deux protagonistes. (D’où l’intérêt sollicité par nous de ROW, puisqu’il paraît que ROW, ou une partie de ROW est partie prenante du programme JSF.)

Pour le F-22, c’est tout bénéfice, simplement parce que le programme n’a rien à perdre. On a annoncé sa mort à plusieurs reprises tout au long de la deuxième partie de 2008. Les affirmations de William Lynn impliquent quasi-automatiquement qu’il doit survivre, dans tous les cas dans sa capacité de production, au moins jusqu’à la QDR-2010 qui doit décider de faire des relations entre le F-22 et le F-35 un fondement des orientations stratégiques du Pentagone; par conséquent, il faudra, en mars 2009 qui est la date extrême de l’actuelle programmation “budgétisée”, prendre une décision de poursuite de la chaine de production d’une façon ou l’autre. Pour le F-22, c’est une victoire. On sent d’ores et déjà le moral remonter chez ses partisans, dans l’USAF bien sûr, mais au Congrès également où l’on ne manque pas de vous dire qu’entre 20.000 et 70.000 emplois dépendent de ce programme, – ce n’est pas un mince argument, par les temps qui courent.

La position du programme JSF telle que l’ont arrangée ses partisans type England-Young fait qu’une “victoire” du F-22 est nécessairement un revers pour le JSF. Les déclarations de Lynn ont un petit goût réformiste, consistant à envisager de tout remettre à plat pour réexaminer les positions des uns et des autres, – cela, qui n’augure rien de définitif ni d’hostile pour le JSF, certes, mais qui constitue une défaite de facto pour le JSF. Tout ce qui est délai (même quelques mois), réévaluation (même flatteuse), réexamen (même victorieux), mise en concurrence (même en position de supériorité), etc., est une défaite pour le JSF, qui est par essence le programme absolu qui doit aller toujours plus vite, toujours plus loin, toujours plus haut, sans la moindre restriction de personne et avec le soutien de tout le monde.

Il faudrait aussi s’interroger sur la raison d’être de ce communiqué du département d’Etat. Il est rare que ce digne ministère s’abaisse à mentionner une audition d’un haut fonctionnaire-nommé du Pentagone, et des déclarations d’un général préparant son futur passage chez Lockheed Martin, à propos de quelque chose, justement, d’aussi “sectoriel” qu’un programme d’armement. C’est alors qu’effectivement le JSF n’est pas un programme comme les autres, et que le digne département d’Etat s’intéresse à son sort parce qu’i est nécessaire qu’il le fasse, comme on fait d'une chose très importante qui a besoin de soutien. Aussi le communiqué est-il un signal que la tension est grande aujourd’hui autour du JSF; aussi peut-on faire l’hypothèse qu’il sert à rassurer les coopérants étrangers, mais d’une façon plutôt ambigüe, parce qu’en même temps il mentionne et semble donc authentifier un prix en forte augmentation de l’avion, il rapporte des déclarations montrant que l’administration Obama entend tout de même “évaluer” le programme et ainsi de suite?

C’est sans doute que le département d’Etat, un peu comme tout le monde à Washington, ne sait pour l’instant sur quel pied danser à Washington à propos de ce programme JSF. C'est certainement que s'ouvre une nouvelle époque, pleine d'incertitudes et de surprises.


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