Les bons voeux du Pentagone à Obama: l'affaire F-22 (et JSF)

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La situation difficile du Pentagone et la façon dont l’administration Obama va l’appréhender est un des domaines politiques importants de l’entrée en fonction de la nouvelle présidence. Les délais en cause impliquent que la première affaire importante sera le cas du chasseur F-22 Raptor, – et, par conséquence directe, celui du programme JSF/F-35. Un article de presse aborde cette question sous cet angle du calendrier politique, – du quotidien Star Telegram de Fort Worth, au Texas, particulièrement intéressé par et proche de cette affaire puisque Fort Worth est le siège de l’usine (anciennement celle de General Dynamics produisant le F-16) qui produit les avions de combat de Lockheed Martin (le F-22 et le F-35, en plus du F-16). L’article renvoie à une conférence organisée par Reuters une décade auparavant; voir, notamment un article du 19 décembre de Reuters, sur le même sujet.

L’article publié le 31 décembre 2008 par le Star Telegram présente effectivement ce cas symbolique et pressant de la situation du Pentagone et de l’action de l’administration Obama.

«Sometime during his first couple of months in office, President-elect Barack Obama will have to confront one of his first big decisions about U.S. defense policy and budgets. [...] Obama and his as-yet-unnamed circle of top defense advisers will have to determine whether to continue spending roughly $4 billion a year to buy F-22 Raptor fighter jets built by Lockheed Martin. […]

»Jim McAleese, a consultant with close ties to the Air Force, told a Reuters conference in Washington last week that the service was putting “all its political capital” into buying more F-22s beyond the 183 on order. “I think the Air Force will work very hard to build a consensus” around the idea of buying 60 more F-22s under a three-year agreement, McAleese said.

»Time is of the essence, according to the Air Force and Lockheed, which says it needs hundreds of millions of dollars soon to keep the F-22 production line up and running. If the line begins to shut down and then is restarted, F-22 advocates say it would add hundreds of millions of dollars to the cost of buying more planes.»

Le même article du journal de Fort Worth rapporte des déclarations d’un consultant célèbre pour sa proximité de l’USAF et du Pentagone, mais aussi des milieux industriels. Il s’agit de l’inaltérable Loren B. Thompson, du Lexington Institute, lequel Thompson est un relais privilégié de et entre l’USAF et Lockheed Martin. Ses déclarations semblent confirmer la possibilité, voire la probabilité d’une soixantaine de F-22 en plus pour l’USAF, répartis sur trois années. Thompson met en cause Gordon England, pour avoir voulu “tuer” le programme F-22 à ses 183 exemplaires actuels; le jugement assez abrupt et accusateur semblerait montrer, selon les nuances politiques à prendre en compte et par rapport aux accointances de Thompson, qu’une sorte de consensus est en train de se former entre Lockheed Martin, l’USAF et le Pentagone, et le Congrès, pour soutenir l’option de 60 exemplaires du F-22 en plus; cela pourrait former une issue (temporaire) acceptable par l’administration Obama. En attendant, England (qui quitte opportunément le Pentagone) serait désigné comme le responsable du brutal affrontement au Pentagone à propos du F-22, depuis juin dernier; il l’est effectivement, mais il devient en plus un bouc émissaire pour exonérer de la responsabilité du désordre les autres responsables (notamment Gates), prêtant aimablement son dos pour qu’on puisse y organiser une paix temporaire à propos du F-22.

Voici les oracles de Loren B.

«Loren Thompson, a defense analyst with the Lexington Institute think tank and a consultant to Lockheed with close ties to the Air Force, said in a recent op-ed piece that while defense purchases shouldn’t be justified by the jobs they create, killing the F-22 could potentially affect thousands of jobs, directly and indirectly. Maintaining F-22 production, Thompson said, is important “because the U.S. still has a big commercial aerospace sector benefiting from the economies of scale created by suppliers and labor forces serving both public and private markets.” […]

»“There’s no question that Gordon England has tried to kill the F-22,” Thompson said in an interview. England’s view is supported by a number of recent position papers from think tanks offering advice to Obama, and TheNew York Times editorial page has weighed in against the Raptor.

»Obama is a smart politician and, Thompson said, will probably pick other defense battles to fight that will produce greater budgetary savings than shutting down F-22 production. Plus, senior Democrats on the House Armed Services Committee are supporters of the program. “Why would Obama want to get into an argument with these people?” Thompson said.»

Les échos de la conférence donnée par Reuters, où diverses personnalités intervinrent pour faire le point sur le sort du F-22, permettent de fixer certains faits intéressants. Il y est aussi question de notre JSF/F-35, dont England voulait accélérer le rythme de production, et liquidant par conséquent le F-22 pour laisser toute sa dotation budgétaire au F-35. («England, the former head of General Dynamics and Lockheed’s Fort Worth plant, has said repeatedly that the Air Force does not need more F-22s and has worked to accelerate purchases of the F-35 joint strike fighter. In a recent interview with the Star-Telegram, England said the Pentagon’s limited funds for aircraft need to be spent on speeding F-35 development and production.»)

Voici les points qu’on peut retirer de l’article Reuters:

• L’USAF, y compris l’USAF “réformée” après la liquidation en juin 2008 d’une direction trop “pro-F-22”, veut au moins 60 F-22 de plus sur trois ans. Elle va mettre tout son poids politique pour les avoir. Le sentiment général semble être qu’elle les aura, parce que England s’en va, parce que Gates n’est pas vraiment contre, parce que le Congrès est pour, etc.

• L’USAF estime avoir l’argent nécessaire pour fabriquer sa tranche de 20 F-22 de plus pour l’année budgétaire 2010 (FY2010), dont la dotation est déjà décidée. «Jim McAleese, […] said the service was counting on receiving $10 billion in additional funding as part of an expected $57 billion increase in the Pentagon's overall base budget for fiscal 2010 that begins Oct. 1 next year»). Cette question du financement des F-22 “en plus” est en suspens pour la suite (les années fiscales 2011 et 2012): «The Air Force said it could not comment on budget matters ahead of the 2010 budget plan being sent to Congress.»

• Pour autant, annonce l’USAF, qui tient à paraître la plus vertueuse possible, le développement et la production du JSF seront accélérés («McAleese said the Air Force had also agreed to accelerate its purchases of 1,763 F-35 fighter jets to assuage Navy and Marine Corps concerns that future cuts in Air Force orders could drive up the cost of each F-35 that they planned to buy»). Le cas très délicat de la concurrence entre le F-22 et le F-35 est écarté, par simple ignorance volontaire et arrangeante: dans le “meilleur des mondes” ainsi dépeint par les relais de l’USAF, F-22 et F-35 sont les meilleurs amis du monde.

Ces diverses précisions mélangent harmonieusement la réalité et la fiction, en permettant tout de même de faire un point sur la situation des deux grands programmes d’avion de combat aux USA. Première réalité: cette affaire militaro-politique (sort du F-22, rapports du F-22 et du F-35) pèsera d’un très grand poids politique pour les débuts de l’administration Obama; deuxième réalité: l’USAF tient au F-22, à une soixantaine de F-22 supplémentaires en trois ans et, peut-être, sans doute, avec une option sur l’avenir pour poursuivre au-delà si les circonstances s’y prêtent ou l’“exigent”; troisième réalité: l’évolution semble bien aller vers une acceptation de principe des F-22 supplémentaires.

Côté fiction, maintenant. C’en est une, en effet, d’entendre l’USAF affirmer que la question budgétaire (financement des F-22 de plus) est réglée en principe, et d’une manière formelle pour le budget FY2010. Bien des choses peuvent se passer dans les mois (les semaines) qui viennent, y compris pour le budget FY2010; ce budget est certes devant le Congrès, pour décision en février 2009, mais le Congrès peut l’amender, comme l’administration Obama peut le faire également, et le fera sans aucun doute, puisque ce budget vient de l’administration Bush. La seconde fiction est d’affirmer sans autre forme de procès, comme si la chose dépendait simplement d’une décision, qu’on accélérera le programme F-35; une telle décision demande de l’argent et l’on retombe alors dans le même cas que précédemment décrit. La conclusion de ce point de vue est que la “patate chaude”, particulièrement brûlante, de l’affaire F-22-F-35 est en train d’être gracieusement transférée à l’administration Obama.


Mis en ligne le 2 janvier 2009 à 17H25

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