Innocence of Muslims : aux comploteurs les mains pleines

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Innocence of Muslims : aux comploteurs les mains pleines

Justin Raimondo n’a jamais ménagé sa tâche autour des complots, manipulations, coups fourrés et autres. Jamais il ne nous a paru pourtant emporté par l’ivresse de son propos, si bien que sa réflexion, quelle qu’en soit la conclusion et qu’on la partage ou non, comporte toujours un aspect enrichissant pour l’esprit du lecteur. C’est bien là l’essentiel et, cette fois encore, nous dirions même cette fois plus que jamais, il se plonge presque délicieusement dans l’imbroglio à la fois kafkaïesque et hollywoodien de l’étrange film sur “l’innocence des musulmans”, pour en sortir triomphalement, – énigme nullement résolue, cas nullement tranché mais l’esprit notablement aéré.

Ainsi, le 14 septembre 2012, sur Antiwar.com, Raimondo examine le cas de l’étrange film Innocence of Muslims… «The murder of US ambassador to Libya Christopher Stevens and three other US diplomats at the hands of rioters probably wasn’t just another case of Islamists-gone-wild. The circumstances surrounding this horrific incident — the riot was in reaction to a “film” supposedly made by a mysterious Israeli-American director under what is probably a pseudonym — point to a carefully staged and well-thought out event. The question is: staged by whom?...»

Là-dessus, Justin développe son enquête. Comme toujours, travail terriblement fouillé, avec les liens et les références qui importent. Il décortique l’histoire improbable de cette étrange production post-hollywoodienne, post-kafkaïesque

«The key question to ask about this incident, and the motives of the film’s makers, is this: what did it accomplish? The answer is that it drove a wedge between Washington and its newfound Islamist allies, specifically the governments of Libya and Egypt. That’s why Hillary was so quick to absolve Tripoli of any responsibility: but her mere assertion cannot hide the reality of the split, which is sure to widen.

»Who would want to undermine Washington’s tilt toward the Islamists, however “moderate”? In what country — aside from the Land of the Neocons — are the Patai-like views dramatized in Innocence commonly held? Which of our vaunted allies is all but openly rooting for Romney, and would have cause to rejoice in what has got to be the low point of Obama’s presidency, at least in foreign policy terms? The ingredients were all there: a volatile country, Libya, with well-armed radical Islamists running loose, the rise of the Muslim Brotherhood in Egypt, and a history of provocations aimed at Muslims specifically defaming and ridiculing the prophet Mohammed. All that was needed to produce outbreaks of violent rage was the right provocation...»

La principale réponse à la réponse de savoir qui a monté cette affaire à l’origine, d’une façon générale et stratégique, a été, principalement venue des USA, celle d’une opération des extrémistes, disons “d’al Qaïda” pour employer une explication générique. Justin Raimondo, qui a toujours été attentif aux manigances israéliennes, a donc cette autre hypothèse à offrir, qui est celle d’un “complot sioniste”, plus ou moins d’une mouvance du domaine, certainement anti-islamiste, etc. On observera qu’il ne défend pas la chose d’une manière forcenée, comme on le lit souvent dans une telle occurrence, mais plutôt avec un certain détachement. Peut-être que ce qui lui importe, c’est d’observer combien, dans la réalité des faits et sans préjuger du manipulateur, l’affaire gigantesque en cours est partie d’un élément aussi ironiquement dérisoire (notre souligné en gras dans sa conclusion)…

«The Obamaites have every reason to treat this as another al Qaeda plot, if only because the alternatives — including the utter failure and complete collapse of our pro-Sunni “turn” — are unmentionable. With two warships headed for the Libyan coast, a contingent of Marines to beef up embassy security, and a fleet of drones flying overhead supposedly seeking out the culprits, we have to invent a complicated terrorist plot to justify our actions. The funny thing is, it could all boil down to nothing more than the antics of a bunch of Southern California right-wing lunatics having their idea of fun with YouTube — a lark that ended in tragedy.»

• Pour pimenter le débat et en espérant que Justin tombera dessus, on ajoutera cette remarque d’un des chroniqueurs réguliers de PressTV.com, le site iranien. Il s’agit d’Ismail Salami, commentateur et auteur (Human Rights in Islam and Iran, Cradle of Civilization), universitaire, docteur en études shakespeariennes. Le 14 septembre 2012, Salami fait une analyse de divers documents anti-islamistes ou estimés tels, dont bien entendu le film Innocence of Muslims, mais aussi d’autres travaux ou montages du même genre ou soumis à la même sorte de critique. Il décrit ainsi en détails le canal qu’a suivi le documentaire de la chaîne TV britannique Channel 4 (Islam : the Untold Story), essentiellement avec le soutien d’organisations anti-islamistes à fortes connotations sionistes sinon proches des réseaux Gladio selon certains (Richard Cottrell, dans Gladio, NATO’s Dagger at the Heart of Europe), dont l’English Defense League (EDL), équivalent britannique de la Norwegian Defense League (NDL) à laquelle appartenait Anders Behring Breivik. Salimi cite, pour Innocence of Muslims, le pasteur Terry Jones, de Floride, célèbre pour ses autodafés réguliers de Coran… Puis il ajoute ceci :

«Spearheaded by calculated directives, Terry Jones is not a lunatic in the common sense of the word. Nor is he a sociopath. In fact, he is a trained Mossad agent tasked with pushing ahead a dangerous agenda in the Muslim world. In 2011, he burned copies of the Holy Qur’an and posted the video on the internet which provoked a very strong reaction, leading to the death of nine people.»

…Pour notre part, ce qui nous importe de remarquer, pour envisager un commentaire à ce propos, est que le développement de Raimondo s’appuie sur une donnée qui semble de plus en plus considérée comme acquise : la stratégie de l’administration Obama sous une forme structurée et conceptualisée, qui était et est de soutenir à fond les “modérés” islamistes partout (notamment les Frères Musulmans type-Morsi), pour “récupérer” le “printemps arabe” à moindres fais et peupler le monde arabe de pseudo-démocraties islamistes modérées, qui seraient également pro-américanistes… Pour notre part, nous n’avons jamais eu cette interprétation, dès lors qu’elle est présentée comme une stratégie délibérée qui serait en bonne partie à la base du “printemps arabe”. Certes, comme il est souvent répété, la CIA a financé nombre de groupes qu’on trouve dans la dynamique du “printemps arabe“, mais cela ne nous convainc nullement. Pour nous, dans cette occurrence, la question n’est nullement “Qui reçoit de l’argent de la CIA ?”, mais au contraire, et pour trouver enfin l’oiseau rare : “Qui ne reçoit pas de l’argent de la CIA ?” (dedefensa.org ! répondrions-nous avec une fierté insolente, – quoique, – il faudrait tout de même aller vérifier notre comptabilité, entre deux campagnes de donation.) Bref, un financement de la CIA n’est en rien la preuve de quoi que ce soit, de quelque participation active ou passive que ce soit à quoi que ce soit, surtout avec à l’esprit le trafic des C-17 de l’USAF chargés de palettes de billets de $100 à destination de l’Irak, de l’Afghanistan, du Moyen-Orient en général, etc., et les Quantitative Easing réguliers de BSB, l’honorable président de la Fed.

Notre sentiment a donc été et reste qu’il y a eu au démarrage du “printemps” en 2010-2011 une période de panique initiale, et d’ailleurs générale, puisque partagée par le monde politique du bloc BAO en général (voir le 7 février 2011, le 17 février 2011, le 22 février 2011), tout cela ayant d’ailleurs été opérationnalisé en live par le chaos indescriptible de Washington lors de la démission de Moubarak (voir le 7 février 2011 et le 11 février 2011). Après ces premières péripéties et pour poursuivre l’exemple archétypique de l’Égypte, la politique washingtonienne a été simplement de soutenir toutes les parties prenantes, y compris les Frères Musulmans bien entendu, y compris par les habituels moyens sonnants et trébuchants continués, bien entendu. De tout cela nous est sortie une stratégie par “rétroactivité”, consistant à soutenir à fond les Frères Musulmans lorsque ceux-ci s’imposèrent comme première force politique du pays, autant que se confirmait le soutien aux militaires (SCAF) qui assuraient effectivement le pouvoir, et ainsi de suite. Les militaires semblant écartés, la “stratégie rétroactive” se trouve ainsi réduite à son aspect fondamental de soutien aux islamistes “modérés”. Des schémas assez semblables à celui de l’égyptien sont suivis en général lorsque la situation l’impose, avec des dérogations certaines quand des intérêts impératifs l’imposent (cas du Bahrain, où le pouvoir est soutenu par les USA malgré la répression en cours, essentiellement à cause de la présence du quartier-général de la Vème Flotte dans ce pays). En bref, la “stratégie” se résume à une espèce d’adaptation aux circonstances, en tentant de faire en sorte d’empêcher l’arrivée au pouvoir d’une faction ou d’un groupe hostile aux USA, et en favorisant au contraire les factions et groupes qui semblent favorables… On appréciera la grande sagesse de la chose.

Mais non, pourtant, la narrative de plus en plus établie est bien qu’il y a et qu’il y a eu cette stratégie dans le chef de l’administration Obama, quasiment dès l’origine. Raimondo rend bien compte de cette appréciation lorsqu’il écrit : «The idea is to co-opt the “Arab Spring,” and use its energy to install moderate and pro-Western regimes on the Turkish model. After the fall of Egypt’s Hosni Mubarak, the new strategy went into high gear with the Libyan intervention. Initially hailed as a great triumph of Obamaite diplomacy and resolve, the Libyan “revolution” — managed in part by the departed Ambassador Stevens — subsumed radical elements under its broad tent. As critics of the US role pointed out at the time, these elements dominated the military wing of the “transitional” governing council, which was populated with Western-educated liberals who had no guns to back them up.»

Mais enfin, et après tout pourquoi pas, si l’esprit tient tant à rationnaliser les évènements ? Ce qui est en effet remarquable, c’est que cette narrative triomphe dans cette démarche de rationalisation au moment où la “stratégie-qui-n’existait-pas” devenue “stratégie triomphante” dans la narrative en cours s’avère aussitôt ne plus triompher du tout et, au contraire, s’effondrer. D’une part, le courant extrémiste s’affirme partout, moins par le succès des groupes extrémistes que par la radicalisation des réactions de communication dues à diverses initiatives du bloc BAO, notamment au niveau de la communication là aussi (les productions cinématographiques post-hollywoodiennes) ; d’autre part, les pouvoirs islamistes “modérés”, prétendument piliers et soutiens de la “stratégie” américaniste, s’en éloignent à mesure, pour prendre en compte cette radicalisation (version officielle) ou, plus simplement, parce qu’ils n’y ont jamais adhérée. Après tout, si l’acceptation d’une narrative d’une vision et d’un plan stratégiques US se paye de l’effondrement de cette vision et ce plan, acclamons et la vision, et le plan…Pour le reste, on sait bien quelle est la réalité. Par exemple ceci, comme l’écrit Fedor Lukyanov, rédacteur-en-chef de Rossiya v Globalnoy Politike, le 13 septembre : «The Middle East is undergoing a tectonic shift, fundamental changes whose outlines have only just begun to emerge. Both Usamah Bin-Ladin and George Bush took part in creating the preconditions for them, but what has begun has its own logic, and the scenario hardly depends on external forces. Changes in the Middle East will put an end to illusions that the world of the 21st century can be organized according to a simple and comprehensible pattern.»


Mis en ligne le 15 septembre 2012 à 13H29

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