Sont-ils les plus mauvais diplomates du monde ?

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…Non, car ils ne sont pas diplomates du tout, bien sûr, car ils ignorent le sens profond du concept de “diplomatie” qui est l’art de l’arrangement passant par la compréhension de l’autre autant que par la conscience de ses propres intérêts. Avec l’affaire du discours de Moubarak suivie de Washington (certitude de l’annonce de la démission, suivie d’un discours qui n’annonce pas la démission), on a sans doute, – c’est notre hypothèse, – une démonstration étonnante de plus de ce vide extraordinaire dans le comportement américaniste, qui s’explique par des caractères psychologiques tout à fait spécifiques.

Un article du Washington Post explique, ce 10 février 2011, comment le discours de Moubarak a pris les USA par surprise, parce que les USA semblaient complètement assurés que Moubarak y annoncerait sa démission. Nous retenons deux extraits de l’article, qui serviront à étayer notre commentaire.

«Rather than delivering the resignation that had been widely expected, Mubarak used a televised address to present himself as a mediator in Egypt's national drama. He also cast the Obama administration as an unwanted interloper in a political reform process that he insisted he would see through as head of state.

»Foreign intervention in Egypt is “shameful,” Mubarak said, adding that he would never accept it, “whatever the source might be or whatever the context it came in.” The remark was a tacit rebuke of the Obama administration, and in delivering it in a region where the United States has little popular support, Mubarak managed, at least temporarily, to place U.S. officials on the defensive as they seeks to midwife an “orderly transition” to free elections later this year. […]

»A former administration official involved in White House discussions on Egypt confirmed that Mubarak's decision came as a surprise. Before the speech, most officials expected a resignation, although there had been no clear signal from Cairo of what exactly Mubarak would say in his speech, said the official who insisted on anonymity in discussing internal policy debates.

»“The message out of Egypt refusing foreign diktats is pretty clear - and totally aimed at the United States,” said Jon B. Alterman, a senior fellow and director of the Middle East Program at the Center for Strategic and International Studies. “That gets Mubarak credit at home.” “One of the things that I think is often forgotten is that all of the Egyptians believe they are acting as patriots,” Alterman continued. “And it's hard for the United States to appear more patriotic than even the most hated Egyptian.”

»Joel Rubin, a former Egypt desk officer for the State Department, said Mubarak's speech put the administration in a box, essentially daring the United States to push him out. He said the White House has little choice now but to explore new ways to sway the Mubarak's behavior – perhaps including explicit calls for his departure.»

Notre commentaire

…Effectivement, notre hypothèse est que Washington était sûr, hier matin, que Moubarak allait annoncer sa démission. Comme on l’a vu par ailleurs, Leon Panetta, directeur de la CIA, l’annonçait avec une quasi-certitude aux sénateurs qui avaient sollicité son témoignage. Relevant cette erreur, Jason Ditz, de Antiwar.com, en tirait la conclusion que la CIA est décidément mal informée… Peut-être, en un sens, mais pas tellement parce qu’elle n’a pas les moyens de s’informer, mais parce qu’il ne lui importer pas tant de s’informer que d’informer les autres des décisions prises pour leur compte par les USA.

On sait bien entendu, ne serait-ce que parce que le contraire (non-ingérence des USA dans les affaires égyptiennes) est impensable, que les pressions ont été intenses, ces derniers jours, de la part des USA, sur les officiels égyptiens et sur Moubarak lui-même, avec des entretiens téléphoniques dramatiques, y compris entre Obama et Moubarak. Notre hypothèse est que ces interventions, cette ingérence constante, cette pression continuelle des USA ont été très fortement contre-productives et ont conduit Moubarak à durcir sa position, lui-même cédant à sa propre illusion, sinon son arrogance, à propos de la possibilité de conserver le pouvoir, en estimant que les pressions US renforçaient a contrario sa légitimité. Les pressions US lui ont permis dans tous les cas d’exposer le seul argument valable de son intervention, qui est la dénonciation des pressions étrangères “honteuses” (celles des USA, évidemment), et son refus de céder à ces pressions. C’était une façon de dire : “Si je cède et si je démissionne, ce sera, au-delà de moi, l’indépendance nationale de l’Egypte elle-même qui sera bafouée…” L’intervention furieuse, avant-hier, du ministre des affaires étrangères égyptien contre les ingérences US avait moins pour souci de protéger Moubarak que de permettre au personnel politique d’éventuellement obtenir en douceur son départ, si nécessaire, sans ces grossières interférences US qui n’ont effectivement pour effet que d’aviver son entêtement.

On retrouve ici une de ces plus étranges attitudes US. Alors que les USA reconnaissent qu’ils ont peu de moyens de pression d’un effet immédiat sur les dirigeants égyptiens dans cette période explosive et volatile, alors qu’ils admettent implicitement une certaine impuissance dans leur influence, ils agissent tout de même comme si cette absence et cette impuissance n’existaient pas ; ils agissent comme s’ils disposaient toujours de moyens de pression et d’une grande influence. Le résultat de ces interventions d’ingérence d’une complète impudence sans la puissance habituelle qui les justifie et les rend irrésistibles dans le chef des USA, est évidemment inverse à celui qui est recherché. Les dirigeants qui tentent éventuellement d’obtenir des concessions de Moubarak pour sauver l’essentiel du régime face à la contestation, sont furieux de ces interventions US qui n’ont pour résultat que de renforcer Moubarak dans sa détermination de ne pas partir.

Pourquoi les USA font-ils cela ? Simplement, parce que la psychologie américaniste interdit à leur personnel, y compris les plus hauts placés, de concevoir une autre approche. Même dans une position éprouvée d’impuissance, les USA ne peuvent se percevoir comme autrement que cette puissance irrésistible et moralement justifiée de tous ses actes qu’ils proclament à leur avantage. Les traits psychologique de l’inculpabilité et surtout de l’indéfectibilité (du mot “indéfectible”: «Qui ne peut défaillir, être pris en défaut»), leur interdisent de se juger impuissants, dénués de la plus grande puissance d’influence qu’on reconnaît d’habitude aux USA, coupables d’un quelconque abus parce qu’ils pratiquent, à juste titre leur semble-t-il, une ingérence sans aucun frein chez les autres. Même abattus, même sans pouvoir, même complètement erronés dans leurs évaluations, les USA ne peuvent se penser autrement qu’irrésistibles et ne peuvent imaginer de mettre un frein à leur action impérative. C’est dans ce cas que la formidable puissance psychologique de l’américanisme, qui est cette sensation d’inculpabilité, cette sorte d’évidence de l’impunité de soi quels que soient les actes qu’on pose, qui constitue un formidable avantage à mesure dans les temps normaux de la puissance américaniste, se retourne contre l’américanisme en devenant absolument insupportable aux autres puissances, en obtenant des effets inverses à ceux qui sont recherchés, etc.

Ainsi disons-nous que la CIA de Panetta, dans ces heures fiévreuses, a moins eu affaire à de mauvaises informations, ou de fausses informations sur le discours de Moubarak, qu’elle n’est intervenue impérativement en “conseillant” avec toute sa puissance possible, par tous les réseaux qu’elle possède, que Moubarak démissionne. Ces pressions ont finalement été interprétées par la CIA elle-même, non pour ce qu’elles furent, mais pour de l’information objective ; puisque la CIA “ordonnait” que Moubarak démissionne, on pouvait considérer comme une information sûre que Moubarak annoncerait sa démission… Cette sorte d’hypothèse doit d’autant plus être considérée dans les situations très intenses, très pressantes, comme l’a été la journée d’hier, lorsque l’absence de recul ne laisse plus aucune place à la moindre possibilité de contrôler ses réflexes psychologiques, lorsque les spécificités psychologiques s’expriment sans frein.


Mis en ligne le 11 février 2011 à 13H43