Est-ce un marteau-pilon pour écraser une mouche?

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Certes, la mouche est de haute volée puisqu’il s’agit de propositions d’une sous-commission de la Chambre des Représentants. Tout de même, menacer d’ores et déjà d’opposer un veto à une loi aussi importante que celle du budget FY2010 du Pentagone qui sortira des débats du Congrès, sans doute vers octobre ou novembre, à partir de dispositions qui semblent mineures en volume d’argent et qui, de toutes les façons, ne sont pas encore arrêtées… Conclusion évidente: la mouche est plus importante qu’il n’y paraîtrait à première vue.

L’affaire est déjà évoquée très précisément dans notre F&C du 20 juin 2009. Elle se concrétise par une intervention exceptionnelle, non pas du Pentagone, mais de la Maison-Blanche puisqu’il s’agit d’un document de l’Office of Management and Budget (OMB), directement rattaché à la Maison Blanche. L’OMB l’a envoyé à la Chambre, qui l’a aussitôt publié, le même jour, soit le 24 juin 2009. Il s’agit d’un Statement of Administration Policy concernant le projet de loi budgétaire de la Chambre sur le budget du Pentagone (FY2010). Le document apprécie chaleureusement le travail et la coopération de la Chambre; puis il remarque que des changements ont été apportés à 12 programmes, ce qui n'est guère apprécié; pour deux d’entre eux, le documents ne prend pas de gants puisqu’il avertit que si ces changements sont conservés jusqu’au bout du processus législatif et inscrit dans le projet de loi du Congrès sur le budget du Pentagone, il y aura veto de la présidence. Pas de surprise, après tout ce qu’on vous a dit, pour désigner les deux points en itige: il s’agit des dispositions concernant le F-22 et le F-35 (JSF).

Voici les deux interventions, avec souligné dans le document original (la menace de veto, – soulignée en gras par nous).

«F-22 Advance Procurement: The Administration strongly objects to the provisions in the bill authorizing $369 million in advanced procurement funds for F-22s in FY 2011. The collective judgment of the Service Chiefs and Secretaries of the military departments suggests that a final program of record of 187 F-22s is sufficient to meet operational requirements. If the final bill presented to the President contains this provision, the President's senior advisors would recommend a veto.

»F-35 Joint Strike Fighter Program: The Administration strongly objects to the addition of $603 million for development and procurement of the alternative engine program, and the requirement for the Department to fund the alternative engine progra in future budget requests to the President. These changes will delay the fielding of the Joint Strike Fighter (JSF) capability and capacity, adversely impacting the Department's overall strike fighter inventory. In addition, the Administration objects to provisions of the bill that mandate an alternative engine program for the JSF. The current engine is performing well with more than 11,000 test hours. Expenditures on a second engine are unnecessary and impede the progress of the overall JSF program. Alleged risks of a fleet-wide grounding due to a single engine are exaggerated. The Air Force currently has several fleets that operate on a single-engine source. The Administration also objects to the limit on the obligation of overall JSF development funding to 75% of the amount authorized until Department of Defense (DOD) has obligated all funds provided in FY 2010 for the alternative engine program. If the final bill presented to the President would seriously disrupt the F-35 program, the President's senior advisors would recommend a veto.»

Il s’agit d’une intervention exceptionnelle qui, d’un certain point de vue, pourrait être perçu comme une ingérence de l’exécutif dans le processus législatif. Y a-t-il un précédent de cet ordre, de cette importance, à ce stade du processus législatif? Pas à notre connaissance, mais nous ne possédons certainement pas toutes les informations passées sur le complexe processus législatif aux USA; il ne s’agit donc que d’une estimation, soumise éventuellement à démenti. Quoi qu’il en soit, l’importance de l’acte de l’exécutif, lui, est avéré. Il s’agit d’une pression extraordinaire sur le Congrès, qui met en évidence l’importance à mesure que représentent, pour l’administration, les cas conjoints du F-22 et du F-35. Il est confirmé une fois de plus que cette bataille à propos des avions de combat est le centre de la grande bataille qui a lieu autour du Pentagone et de son avenir.

Quel effet aura cette initiative extraordinaire de l’administration Obama? Il est très difficile de donner une estimation raisonnable, dans la mesure où cette affaire est déjà sortie du domaine technique pour entrer dans le domaine beaucoup plus délicat et très politique de l’affrontement des pouvoirs. Le président de la sous-commission qui a pris ces décisions, Neil Abercombrie (un démocrate, comme Obama), a déjà situé l’enjeu, en précisant qu’il était assuré d’avoir la majorité de la Chambre derrière lui: «It's not a Democrat or Republican thing at all, but rather a Congress versus the executive in terms of who's in charge. […] The Constitution says very clearly that Congress is in charge. The Defense Department is there to execute [what Congress decides.] I'm committed to get the Defense Department to do what it was supposed to do in the first place. We cannot allow the executive to run roughshod over congressional responsibility. They need to learn who's in charge. The Congress is.»

Le Sénat n’a pas la même position que la Chambre sur ces questions, comme on l’a vu le 24 juin 2009, mais là aussi il faut sortir du domaine technique pour envisager les perspectives. Pour le Sénat aussi, le fait même de cette menace de veto constitue un fait politique important qui, justement, nous fait sortir du seul domaine technique des décisions. Là aussi, on doit être prudent pour envisager l’avenir. D’un autre côté, il semble qu’il faille devoir envisager, pour l’instant, une alternative radicale classique, tant l’administration Obama (Gates) semble déterminée dans cette affaire.

• Ou bien, le Congrès estime que l’enjeu ne vaut pas une bataille politique avec un président très populaire et un secrétaire à la défense efficace, avec lequel lui-même (le Congrès) s’entend bien (jusqu’ici). Il cède parce qu’il ne se sent pas assez en position de force et parce qu’il ne voit aucun intérêt à envenimer ses relations avec l’exécutif. La majorité démocrate, réagissant à une analyse politique, sinon politicienne, pourrait craindre que les républicains profitent d’une telle querelle en divisant l’exécutif et sa majorité démocrate, cela à un an des élections mid-term où le parti qui vient de prendre le présidence (et le Congrès) craint toujours une réaction de dépit des électeurs.

• Ou bien, le Congrès estime que ses prérogatives fondamentales sont menacées. La logique est alors simple: si l’on cède sur ce point, le Congrès sera totalement déforcé pour exercer ses prérogatives, notamment et essentiellement sur le budget du Pentagone. (Dieu sait si le budget du Pentagone est un favori pour les parlementaires, pour rajouter telle ou telle dépense qui satisfait les électeurs de tel ou tel sénateur, ou tel ou tel représentant.) Par conséquent, il ne faut pas céder...

On devrait retenir également l’hypothèse d’un compromis entre exécutif et législatif, qui est souvent l’issue la plus probable, en ménageant les intérêts, et “la face”, de l’un et de l’autre. Mais il y a la question de la position extraordinairement déterminée de l’administration. Est-ce simple tactique, amenant éventuellement à la recherche d’un compromis si l’affaire s’envenime? Ou bien s’agit-il d’une position définitive? Questions pour l’instant sans réponses.

(Bien entendu, nous raisonnons ici sur la seule hypothèse du fait du veto, qui, dans de telles conditions, serait effectivement perçu comme une déclaration de guerre. Quant aux effets du veto, – c’est-à-dire la possibilité que le Congrès réunisse deux tiers de ses voix pour repousser ce veto, – la spéculation est encore moins possible et l’on se trouve devant trop de complications pour ne pas entrer dans le domaine de la politique-fiction. Laissons cela pour plus tard.)


Mis en ligne le 25 juin 2009 à 18H55