De l’URSS aux USA, via Kaboul

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Il est vrai que les chiffres et le symbole sont remarquables. Les précisions que nous donne Mark Ames, de AlterNet, le 5 septembre 2009, nous suggèrent effectivement un terrible symbole. Aujourd’hui, le contingent US en Afghanistan dépasse de 5.000 hommes le contingent soviétique en Afghanistan (de 1980 à 1988).

«America now has more military personnel in Afghanistan than the Red Army had at the peak of the Soviet invasion and occupation of that country. According to a Congressional Research Service report, as of March of this year, the U.S. had 52,000 uniformed personnel and another 68,000 contractors in Afghanistan – a number that has likely grown given the blank check President Obama has written for what's now being called “Obama's War.”

»That makes 120,000 American military personnel fighting in Afghanistan, a figure higher than the Soviet peak troop figure of 115,000 during their catastrophic 9-year war. Just this week, General McChrystal, whom Obama appointed to command American forces in Afghanistan, is talking ofsending tens of thousands more American troops. At the height of the Soviet occupation,Western intelligence experts estimated that the Soviets had 115,000 troops in Afghanistan – but like America, the more troops and the longer the Soviets stayed, the more doomed their military mission became.

»We're also heading into the same casualty trap as the Soviets did. This summer has been the deadliest in the eight-year war for American troops. While the number of uniformed Americans killed in combat in Afghanistan may seem comparatively low – just over 800, most of those since 2007 – the Soviets also suffered relatively light casualties. Between December 1979 and February 1989, just 13,000 Soviets were killed in Afghanistan, a seemingly paltry figure when you compare it to the 20 million Soviets killed in World War Two, and the millions upon millions who died in the Civil War and Stalin's Terror. Unlike America, Russians have a reputation for tolerating appalling casualty figures – and yet the war in Afghanistan destroyed the Soviet Empire.»

Autre symbole qui frappe Washington et l’establishment, avec des effets politiques directs celui-là, la prise de position en faveur d’un retrait d’Afghanistan de George F. Will, la semaine dernière (le 4 septembre 2009 dans le Washington Post). Will est un des plus influents commentateurs conservateurs, hautement respecté, échappant aux chapelles trop marquées (s'il est en général perçu comme proche des néo-conservateurs, on ne peut en aucun cas le qualifier de néo-conservateur, notamment à cause d'une attitude très indépendante); également ferme et constant partisan de la politique expansionniste du système, impeccable “faucon”… Sa prise de position est perçue comme un coup de tonnerre, ressentie comme une trahison par les interventionnistes.

Hier, George F. Will s’expliquait une fois de plus, absolument pas sur la défensive, à propos de cette prise de position, sur ABC.News (le 6 septembre 2009). Il en rajoutai en annonçant qu’il pourrait rassembler autour de lui autant de généraux qu’il faudrait pour soutenir sa prise de position, et citant une lettre personnelle de complète approbation de son article du Washington Post, du général Krulak, ancien chef d’état-major du Corps des Marines. En même temps, Will s’en prenait aux néo-conservateurs qui l’ont eux-mêmes vivement attaqué pour sa prise de position.

Les néo-conservateurs, furieux et déchainés effectivement. Ils avaient en Will une référence constante de stabilité, voire une référence de respectabilité. Le changement de position de Will conduit Robert Kagan a publier une critique d’une violence rare, le 5 septembre 2009, sur “la double trahison de George Will”… (En effet, et comme en passant, mais avec une certaine logique, Will estime que les USA doivent quitter l’Irak sans tarder.)

«It's hard to imagine a more disastrous blow to vital American security interests than the double surrender George Will has proposed this week. To withdraw from Iraq and Afghanistan simultaneously would be to abandon American interests and allies in the Persian Gulf and the greater Middle East. The consequences of such a retreat would be to shift the balance of influence in the region decidedly away from pro-U.S. forces and in the direction of the most radical forces in Tehran, as well as toward al-Qaeda, Hamas, Hezbollah and the Taliban, to name just the most prominent beneficiaries. Longtime allies of the United States would either have to accommodate these radical forces and fall under their sway, or take matters into their own hands. What Will is proposing would constitute the largest strategic setback in American history.

»At a broader level, these withdrawals would signal to the world a new era of American isolationism. If we are willing to hand over Afghanistan and Iraq to radical terrorist forces, where would we not retreat?»

Ayez bien à l’esprit le mot important: “isolationnisme”, et réalisez une fois de plus la rapidité extrême, non seulement de l’échauffement et de l’approfondissement du débat, mais, plus encore, de l’évolution des idées alors qu’on ne fait que commencer à s’installer dans la nouvelle phase de la guerre. (Ou, selon l’amiral Mullen, président du Joint Chief of Staff, le véritable début de la guerre: «I recognize that we've been there over eight years. […] But this is the first time we've really resourced a strategy on both the civilian and military sides. So in certain ways, we're starting anew.»)

L’enjeu ne cesse d’être haussé, non plus en Afghanistan mais à Washington. La guerre a définitivement basculé, de Kaboul à Washington, avec, de plus en plus nettement dessinée, cette alternative extrêmement inconfortable:

• Rester en Afghanistan et poursuivre ce conflit que le public repousse en majorité, à propos de laquelle l’establishment s’est divisé en deux-trois semaines d’une manière radicale et inattendue (encore la vitesse des choses). C’est-à-dire se lancer dans une guerre extérieure, théoriquement “offensive” sur le terrain, qui devient de plus en plus “défensive” à Washington même, de la part du parti des interventionnistes, qui dit désormais: on ne peut partir sinon toute notre politique expansionniste et hégémonique est mise en cause. (Cela signifie, rester pour “défendre” une politique d’ores et déjà en lambeaux…)

• Quitter l’Afghanistan (en plus de quitter l’Irak), d’une façon ou l’autre, en trouvant l’une ou l’autre formule annexe de remplacement plus ou moins boiteuse (intervention aérienne par engins guidés, quelques groupes de “contre-guérilla”, etc.). Dans ce cas, et ceci à cause de la tournure qu’a pris le débat au niveau de la communication en transformant toute option de retrait en perception d’une déroute, l’opération serait aussitôt dénoncée, interprétée, et bientôt perçue effectivement comme une déroute des USA, un repli isolationniste, etc. On peut alors envisager des conséquences importantes sur la stabilité d’un régime qui est fondé depuis plusieurs décennies sur un interventionnisme extérieur massif.

«…[A]nd yet the war in Afghanistan destroyed the [American] Empire»? Une question de plus et une nouvelle crise en mode-turbo.


Mis en ligne le 7 septembre 2009 à 05H10