Clemons et la mort de Kaczynski

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Clemons et la mort de Kaczynski

Nous nous attachons ici à la présentation que fait Steve Clemons, sur son site The Washington Note le 10 avril 2010, de la catastrophe de Smolensk et de la mort du président polonais Kaczynski. Le ton y est tragique, et l’événement présenté comme une occasion ratée d’une grande réconciliation russo-polonaise.

«Poland and Russia were attempting to get beyond the painful historical scars rooted in the execution by the Soviet NKVD of 21,768 senior Polish military officers, government officials and intellectuals. President Kaczynski and his delegation were traveling to Russia to a commemorative service honoring those who had been killed seventy years ago near Katyn in a joint Russia-Poland service. […]

»Clearly, what was meant to be a much more public confession by Russian leaders and acknowledgment and reset opportunity for Poles and Russians together at this memorial service will now be a tragedy squared.»

Le Sunday Times du 11 avril 2010 met en évidence l’émotion, sinon la sensibilité extrême déployées, à l’occasion de cette catastrophe d’un vol amenant une délégation officielle pour une deuxième commémoration de Katyn (après celle du 7 avril). Lech Walesa, par exemple, ne fait pas moins que comparer cette catastrophe au massacre de Katyn lui-même…

«Lech Walesa, the former president, highlighted a grim irony when he said that the “elite of Poland” had been struck down, just as they had been 70 years ago.»

Cette catastrophe qui frappe la direction polonaise doit être ressentie comme toute catastrophe, avec affliction et désolation si l’on veut. Pour autant, elle ne justifie pas le torrent d’émotions confinant parfois à la sensiblerie dont l’on trouve le témoignage dans certains organes de presse, jusqu’à l’évocation d’un “complot” russe, ou le rappel de la mort du général Sikorski en 1943 dans ce qui fut souvent jugé comme le résultat d’un sabotage de son avion par les Soviétiques. Ils sont bien peu à rappeler que le président Kaczynski, l’un des deux “jumeaux terribles” de la politique polonaise, ne jouait plus aucun rôle dans la politique polonaise, sinon de frein et d’obstacle constants au gouvernement de Donald Tusk. Lech Walesa lui-même avait eu des mots particulièrement durs pour les jumeaux Kaczynski, les considérant comme des intrigants et des imposteurs qui ont joué un rôle maléfique dans la direction de la Pologne, après avoir eu des rapports épouvantables avec eux lorsqu’il était président de la république polonaise. On comprend qu’on pleure ces morts, on comprendrait moins qu’on en fasse une catastrophe politique pas loin du soupçon que le brouillard pourrait être un complot russe de plus, et plus encore une catastrophe symbolique de la fatalité entre les deux pays de s’opposer, – comme le voudraient certains.

Mais le plus étonnant est certainement le billet de Steve Clemons. Il est rédigé comme si Kaczynski dirigeait la seule délégation polonaise aux cérémonies de Katyn, celle qui allait permettre un mouvement de rapprochement décisif entre la Pologne et la Russie, ignorant ainsi complètement le seul évènement réel de réconciliation russo-polonaise à l’occasion de la commémoration, qui a eu effectivement lieu le 7 avril 2010 à Katyn, avec Donald Tusk et Vladimir Poutine (notre F&C du 8 avril 2010). Quant à Kaczynski, s’il dirigeait une délégation le 10 avril, c’est parce qu’il n’avait pas voulu participer à la cérémonie du 7 avril et cautionner la politique de Tusk. La réalité est donc extrêmement différente de ce que nous dit Clemons, sinon le contraire. Kaczynski n’était pas venu à Katyn pour un acte de rapprochement avec les Russes, mais bien pour marquer une autre célébration polonaise, une célébration polonaise seule, marquant ainsi la persistance, dans son chef, de son attitude hostile à l’encontre des Russes.

Il s’agit, dans le chef de Clemons, homme pourtant remarquablement informé, très bien introduit dans les milieux washingtoniens et suivant avec attention la politique internationale, d’une de ces absences, d’un de ces “trous” qui marquent souvent la politique américaniste. La commémoration commune Poutine-Tusk de Katyn du 7 avril est passée pratiquement inaperçue à Washington et n’a constitué en rien un événement politique. Pour Washington, Varsovie est une “affaire” réglée. La mauvaise humeur polonaise après l’abandon de la base des anti-missiles BMDE ayant été “rachetée” par le détachement itinérant d’un bataillon de missiles Patriot, il ne fait nul doute que le Pologne reste dans le camp US. Aucune attention particulière n’a été apportée à la commémoration du 7 avril, si même elle a été actée. Du coup, avec la mort de Kaczynski, qui est, elle, un événement qui ne peut tout de même passer inaperçu, la conclusion que tireront les services de planification du département d’Etat sera que la réconciliation symbolique Pologne-Russie est compromise durablement à cause de cet accident. Cela ne déplaira pas aux Américains, qui continueront à dormir sur leurs deux oreilles à cet égard.

De leur côté, les Russes n’ont pas manqué de donner une ampleur exceptionnelle à leur réaction officielle devant ce lugubre événement, en même temps que se manifestait une réaction populaire spontanée dans ce sens, en Russie également. Medvedev a adressé un message au peuple polonais et a institué ce jour (12 avril 2010) jour national de deuil en Russie, comme en Pologne. Poutine a été mis à la tête de la commission d’enquête sur l’accident, il s’est rendu aussitôt à Smolensk où se rendait également le Premier ministre polonais Tusk. Les deux hommes ont rendu hommage au président polonais et aux autres morts, de concert, improvisant une cérémonie russo-polonaise qui sembla, dans cette circonstance tragique, confirmer la cérémonie du 7 avril. Les Russes ont tout fait pour que l’événement tragique, plutôt qu’éloigner la Russie et la Pologne, au contraire rapproche les deux pays. Jaroslaw Kurski, rédacteur en chef adjoint de Gazeta Wyborcza, observe ce matin, 12 avril 2010, dans le Guardian, que la réaction des Russes à la catastrophe de Smolensk rend possible une réconciliation russo-polonaise solennelle, à l’égal de celle de la France et de l’Allemagne avec de Gaulle et Adenauer.

Outre d’observer cet aspect de coïncidence tragique de l’événement, un esprit cynique, c’est-à-dire ne dissimulant pas son réalisme, ajouterait qu’il a été politiquement et humainement appréhendé d’une façon qui renforce peut-être décisivement la démarche politique russo-polonaise, marquée par la cérémonie du 7 avril, pour un rapprochement entre les deux pays. En ce sens, l’événement (la catastrophe) est encore plus important et prend une dimension politique qui concerne l’Europe elle-même.

 

Mis en ligne le 12 avril 2010 à 05H23