Bahrein et un Pentagone sans avertissement…

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Si l’on analyse et commente l’invasion paraît-il amicale du Bahrein par l’Arabie, il vient naturellement sous la plume que le gouvernement US, et, particulièrement, le Pentagone, étaient non seulement avertis mais avaient donné, – plus ou moins contraints, peut-être, – leur accord à l’opération. C’est ce que nous avions supposé nous-mêmes, plus par habitude que par l’effet d’une réflexion approfondie sur un aspect du sujet qui était de toutes les façons accessoire par rapport au point de vue choisi pour traiter ce sujet dans cette occurrence de l'analyse référencée. Finalement, il semble bien qu’il n’en ait rien été.

On retrouve la trace de cette affirmation, notamment dans plusieurs textes de Reuters, bien informé à cet égard, selon laquelle non seulement les USA n’ont pas eu leur mot à dire sur le cas, mais qu’ils n’étaient même pas informés, – dans tous les cas par les acteurs de cette affaire (Arabie et Bahrein) qui sont des alliés proches des USA, – des modalités de l’intervention saoudienne ; cela, malgré les visites très récentes à Bahrein de l’amiral Mullen, président du comité des chefs d’état-major, et de Robert Gates, secrétaire à la défense.

D’une dépêche Reuters du 14 mars 2011 :

«Analysts saw the troop movement as a mark of concern in Saudi Arabia that concessions by Bahrain's monarchy could inspire the conservative Sunni kingdom's own Shi'ite minority. Shi'ites make up about 15 percent of the population in Saudi Arabia, a key U.S. ally and the world's top exporter of oil.

»Saudi protests have mostly taken place in the Eastern Province, where the oil industry is based and which is home to most of the Shi'ites in the Sunni kingdom. As the neighbours are joined by a bridge, the risks of contagion are lost on no one.

»Political analysts said the Saudi military move suggested Bahrain's royal family had decided to reject repeated U.S. pleas, made most recently by visiting U.S. Defense Secretary Robert Gates on Saturday, for a more conciliatory approach.

»“There has been a struggle in terms of policy advice between U.S. and Saudi Arabia,” said Marina Ottaway, head of the Middle East Program at the Carnegie Endowment for International Peace. “The U.S. has been trying to get the Bahraini government to respond by negotiation, by reform and by dialogue. The Saudis have been saying that they have to put the uprising down. They have decided to listen to the Saudis.”»

Le 15 mars 2011, Reuters, à nouveau, donne dans une dépêche d’analyse générale d’autres précisions sur cette question.

«The United States has urged Saudi Arabia, the world's top oil exporter and a key U.S. ally in the Gulf Arab region, to show restraint, though analysts said the escalation showed the limits of U.S. influence when internal security was threatened. […] Although Washington is a close ally of Bahrain, U.S. officials said they had been given any prior warning that Saudi or other forces from the region would deploy to the island. […]

»The deployment of 1,000 Saudi troops, at the request of Bahrain's Sunni royal family, came two days after U.S. Defense Secretary Robert Gates visited the island kingdom and pressed its rulers to implement political reforms to defuse tensions with the Shi'ite Muslim majority. The Pentagon said neither Gates nor Admiral Mike Mullen, chairman of the Joint Chiefs of Staff who also recently visited Bahrain, had been given any indication that Saudi or other forces from the region would deploy to Bahrain.»

Une autre source, sans aucun doute fort respectable, Patrick Cockburn de The Independentr (le 16 mars 2011), écrit à ce propos en ajoutant l’élément d’une accusation iranienne : «Iran claims that the US dragged Saudi Arabia into invading while the Pentagon denies that it had any advance warning of Saudi military intervention. But Bahrain is a vital US ally because it is home to the US Navy's Fifth Fleet and the US has been far more supportive of the ruling al-Khalifa family than it was of President Hosni Mubarak of Egypt or President Zine El Abidine Ben Ali of Tunisia. The White House has publicly called on the government of Bahrain to enter a dialogue with the opposition.»

Ces diverses précisions semblent effectivement décrire de façon convaincante les différentes positions des “partenaires” saoudien, bahreïni et US. Il s’avèrerait donc que les deux alliés parmi les plus privilégiés des USA dans cette région si sensible pour les intérêts des USA, en font essentiellement à leur tête et n’écoutent guère les suggestions US, sinon pour les rejeter fort abruptement. Cette hypothèse est beaucoup plus fondée et, par ailleurs, beaucoup moins politique que l’on croit (du moins, pour ce qui est de la définition de la position US).

Il est intéressant, à cet égard, de lire l’analyse de Nick Turse, de TomDispatch.com, le site de Tom Engelhardt, ce 15 mars 2011. Turse analyse la situation de Bahrein par rapport aux USA et, surtout, la façon dont les USA arment Bahrein et la façon dont les USA ont évolué et ont modifié leur position par rapport aux événements de Bahrein, depuis plus d’un mois, et particulièrement depuis le 14 février, lorsque ces événements ont pris une tournure sérieuse. C’est ce jour-là que les forces de la monarchie “absolue” de Bahrein réagirent avec une vigueur notable, employant notamment des hélicoptères d’attaque contre les protestataires.

«On February 14th, reacting to a growing protest movement with violence, Bahrain’s security forces killed one demonstrator and wounded 25 others. In the days of continued unrest that followed, reports reached the White House that Bahraini troops had fired on pro-democracy protesters from helicopters. (Bahraini officials responded that witnesses had mistaken a telephoto lens on a camera for a weapon.) Bahrain’s army also reportedly opened fire on ambulances that came to tend to the wounded and mourners who had dropped to their knees to pray.

»“We call on restraint from the government,” Secretary of State Hillary Clinton said in the wake of Bahrain’s crackdown. “We urge a return to a process that will result in real, meaningful changes for the people there.” President Obama was even more forceful in remarks addressing state violence in Bahrain, Libya, and Yemen: “The United States condemns the use of violence by governments against peaceful protesters in those countries, and wherever else it may occur.”

»Word then emerged that, under the provisions of a law known as the Leahy Amendment, the administration was actively reviewing whether military aid to various units or branches of Bahrain’s security forces should be cut off due to human-rights violations. “There's evidence now that abuses have occurred,” a senior congressional aide told the Wall Street Journal in response to video footage of police and military violence in Bahrain. “The question is specifically which units committed those abuses and whether or not any of our assistance was used by them.”

»In the weeks since, Washington has markedly softened its tone. According to a recent report by Julian Barnes and Adam Entous in the Wall Street Journal, this resulted from a lobbying campaign directed at top officials at the Pentagon and the less powerful State Department by emissaries of Bahraini King Hamad bin Isa al-Khalifa and his allies in the Middle East. In the end, the Arab lobby ensured that, when it came to Bahrain, the White House wouldn’t support “regime change,” as in Egypt or Tunisia, but a strategy of theoretical future reform some diplomats are now calling “regime alteration.”»

Ce récit de l’évolution de la réaction de Washington vis-à-vis de Bahrein a quelque chose de subtilement stupéfiant. L’on sait, dès les premiers graves affrontements à Manama (14 février), que les intérêts stratégiques les plus directs des USA sont en cause. Il suffit de lire la presse, comme vous et moi, pour noter que Bahrein est le port d’attache de la 5ème Flotte de l’U.S. Navy, – ce que doivent avoir également noté, nous l’espérons mais c’est moins sûr, les stratèges et les planificateurs du Pentagone. Pourtant, nous apprennent Turse et le Wall Street Journal, il faut une action du “puissant” lobby des pays du Golfe pour que Washington s’aperçoive (?) effectivement que la 5ème Flotte est basée à Bahrein, c’est confirmé, et que ses intérêts stratégiques sont trop puissants pour qu’on laisse aller la révolte voire qu'on l'encourage en proclamant la nécessité du respect des droits de l’homme («this… resulted from a lobbying campaign directed at top officials at the Pentagon and the less powerful State Department by emissaries of Bahraini King Hamad bin Isa al-Khalifa and his allies in the Middle East») ; tout cela débouchant, remarquable évolution de virtuose, sur l’accouchement autour du 5 mars dans les couloirs bureaucratiques du Pentagone d’une nouvelle doctrine du type “je te soutiens un peu, beaucoup, pas du tout, un peu, beaucoup…”, sous le beau nom de “regime alteration” (plutôt que “regime change”, qui fait brouillon).

Dans ce cadre considéré de ce point de vue de l’appréciation de la vigueur d’esprit et de la souplesse de réaction du monstre (le Pentagone, alias Moby Dick), il devient non seulement vraisemblable mais évident, sinon impératif d’admettre que les USA n’ont joué aucun rôle dans l’épisode Arabie-Bahrein de la crise ; qu’on a repoussé, du côté des princes et des cheikhs, les conseils US aussi précis et structurés qu’un brouillard d’automne d’une approche soft mais ferme de la contestation au Bahrein (taper avec douceur sur les protestataires, reprendre d’une façon ferme et autoritaire le contrôle des affaires en annonçant qu’on satisfait des revendications de ces mêmes protestataires, etc.) ; qu’on n’a même pas informé ces mêmes USA des modalités des plans d’“invasion” amicale du Bahrein par un détachement de l’armée saoudienne appuyé sur les résolutions du Conseil de Coopération du Golfe. Il semble bien qu’il soit désormais assurés que les princes et les cheikhs, retors et angoissés devant la situation de leurs fortunes, aient bien compris la façon dont “fonctionne” le géant impuissant et paralysé que sont Washington et le Pentagone. Ce ne sont pas les arguments stratégiques et les plans habiles et machiavéliques de domination qui importent, mais les mécanismes d’influence des lobbies et des groupes d’intérêts particuliers auprès de cette masse informe de puissance inerte qui observe les crises de la chaîne crisique, sans rien voir, sans réagir et sans y rien comprendre.

L’affaire de l’intervention saoudienne à Bahrein nous montre une fois de plus l’influence déclinante de la machinerie américaniste, mais encore plus par paralysie de la volonté et de la psychologie que par la seule cause de l’effondrement de la puissance américaniste, – par ailleurs effective, que l'on se rassure. La seule chose qui fonctionne, c’est le système de la communication dans sa manufacture des discours contradictoires du président Obama, prince fascinant de l’impuissance placé à la tête du Système dont la crise se trouve accélérée par cette même impuissance psychologique ; également, dans sa manufacture des avertissements répétés de Robert Gates, qui ne sont marqués que par une seule préoccupation, – surtout, surtout, plus aucun engagement extérieur de quelque sorte que ce soit.


Mise en ligne le 16 mars 2011 à 06H07

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