Du “regime change” au “regime alteration

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La “nouvelle” politique (stratégie) US vis-à-vis du Moyen-Orient et de ce qui s’y passe pourrait se définir comme “un pas en avant, deux à quatre demi-pas en arrière”… Car il y a, selon le Wall Street Journal du 5 mars 2011, une véritable “nouvelle politique”, ou plutôt une stratégie pour le Moyen-Orient qui vient d'être définie («After weeks of internal debate on how to respond to uprisings in the Arab world, the Obama administration is settling on a Middle East strategy…»).

Précisions sur cette “nouvelle stratégie”, qui nous apprend que la fameuse consigne des années 2000 “régime change” est remplacée par une consigne toute en nuances nébuleuses, qui a nom “regime alteration” : «[H]elp keep longtime allies who are willing to reform in power, even if that means the full democratic demands of their newly emboldened citizens might have to wait. Instead of pushing for immediate regime change – as it did to varying degrees in Egypt and now Libya – the U.S. is urging protesters from Bahrain to Morocco to work with existing rulers toward what some officials and diplomats are now calling “regime alteration.”»

L’article détaille ensuite l’offensive “furieuse” de lobbying de la part essentiellement des pays du Golfe et de l’Arabie, furieux notamment après les manifestations initiales de soutien de l’administration Obama aux révoltés de Bahrein. Sans surprise, cette offensive est soutenue par les lobbies pétroliers.

«The approach has emerged amid furious lobbying of the administration by Arab governments, who were alarmed that President Barack Obama had abandoned Egyptian President Hosni Mubarak and worried that, if the U.S. did the same to the beleaguered king of Bahrain, a chain of revolts could sweep them from power, too, and further upend the region's stability.

»The strategy also comes in the face of domestic U.S. criticism that the administration sent mixed messages at first in Egypt, tentatively backing Mr. Mubarak before deciding to throw its full support behind the protesters demanding his ouster. Likewise in Bahrain, the U.S. decision to throw a lifeline to the ruling family came after sharp criticism of its handling of protests there…»

Bien entendu, l’élément primordial de cette évolution de la stratégie US tient dans les puissants intérêts (pétrole et points d'appui militaires) qui lient ces pays arabes et Washington, tous ces pays étant effectivement partie intégrante du Système. Le Pentagone a des sueurs froides en pensant que Bahrein pourrait voir la période de trouble actuel déboucher sur la chute du gouvernement alors que l’île est le quartier-général de la 5ème Flotte de l’U.S. Navy. Divers arguments de cette sorte sont avancés pour les autres pays, jusqu’à l’Arabie dont on comprend l’importance pour les intérêts US.

Pourtant, tout cela est nuancé de réserves de poids, qui ont été exprimées par diverses sources officielles, et qui tiennent, d’une part au comportement des protestataires dans ces divers pays, d’autre part à la façon dont les divers régimes autocratiques concernés appliqueront les réformes que Washington estiment nécessaires pour donner le vernis de “démocratisation” qui semble convenable dans les circonstances… «Officials said the administration's response in Bahrain, Yemen and elsewhere could change if people take to the streets en masse, rejecting offers made at the negotiating table, or if the U.S.-backed governments crack down violently. Indeed, administration officials say the White House is not “unconditionally” behind the monarchy in Bahrain, and has made clear that the U.S. expected to see quick progress on reforms and restraint by security forces.»

Il n’est pas assuré du tout, et l’on jurerait même du contraire, que cette “stratégie” marche. Si tout le monde s’entend sur les principes, il reste à voir comment ils seront appliqués. De ce point de vue, l’affaire pourrait être autrement complexe, et surtout confuse, selon la spécialité washingtonienne où chaque centre de pouvoir joue son propre jeu. Ainsi en est-il de l’Iran et du rôle que joue ce pays dans la chaîne crisique, qui s'inscrivent nécessairement dans la nouvelle stratégie, alors qu’en début de semaine dernière des sources officielles à la Maison-Blanche avaient assuré qu’une ligne commune sur cette question avait été établie, sans d’ailleurs dévoiler laquelle. Cet extrait d’une analyse de CNN.com du 5 mars 2011 ne nous convainc pas de la justesse de la nouvelle concernant cette unification.

«However, the Obama administration has sent mixed messages on Iran's actual role in the unrest that has taken over much of the Middle East and parts of Africa.

»Secretary of State Hillary Clinton rang the alarm bell this week when she told senators that Iran has made efforts to “influence évents” and coordinate with opposition movements in Egypt, Bahrain and Yemen through their proxies, such as Hezbollah and Hamas. “So either directly or through proxies, they are constantly trying to influence events,” she said Wednesday. “They have a very diplomatic foreign policy outreach.”

»But just a day before, at a joint news conference with Defense Secretary Robert Gates, America's top military official called Iran the “real loser” amid the unrest. “They've had no hand in the change sweeping the region, except the one they have used to slap back their own people,” Adm. Mike Mullen, chairman of the Joint Chiefs of Staff said. “ ... And while I do not share the same worry that others harbor about Iran's role in fomenting the unrest, we are seeing no indications of any credible influence from Tehran in that regard.” […]

»So does Iran have a hand in the tumult, or is it simply marveling in the chaos?...»

Cette description rapide de la “stratégie” US vis-à-vis de l’Iran dans le cadre général de la crise répond de ce que sera la “stratégie” déterminée pour les Etats amis et pétroliers, avec l’ensemble de points d’appui militaires qui va avec, du Golfe et alentour. En élaborant sa “nouvelle stratégie” au moment où les troubles menacent notamment et particulièrement l’Arabie, en insistant sur le fait qu'elle concerne surtout les Etats pétroliers du Golfe et qu’elle a été élaborée sous la pression de leurs lobbies (avec l’aide puissante d’Israël et du sien, de lobby), l’administration Obama ridiculise par avance cette “nouvelle stratégie” et la rend complètement inefficace : on comprend d’une façon éclatante qu’il ne s’agit plus d’une “stratégie pour le Moyen-Orient”, correspondant à une politique de sécurité nationale d’une administration prétendant présenter la diversité d’une politique nationale, mais d’une “stratégie pour le pétrole du Moyen-Orient” (avec les points d’appui militaires) correspondant aux pressions de certains lobbies parfaitement identifiés ; en substance, ce n’est pas une surprise puisque ce fut toujours le cas de facto, mais on doit constater qu’on n’y trouve plus l’habillage dialectique et l’habileté diplomatique qui permettaient effectivement, dans les anciennes “stratégies”, de dissimuler les intérêts des lobbies derrière une rhétorique générale, à la fois politique et morale. (On ajoutera pour la chronique qu’il est question également dans cette “stratégie”, et assez curieusement, du gentil Maroc, dont on se demande ce qu’il vient faire dans cette galère, – le Maroc ainsi couvert de fleurs : «a similar message to Morocco's King Mohammed VI, another key Arab ally facing unrest, calling the North African country “a model of economic, social, and political reform.”»)

Deux facteurs vont effectivement affecter gravement cette “nouvelle stratégie” ainsi mise à nu, portant dans tous les sens son discrédit.

• Le premier de ces facteurs est justement cette intervention spécialement pour les pays du Golfe, les Etats “amis et pétroliers”. L’intervention US pour les pétroliers, pour le pétrole, etc., donne à l’intérêt affiché de l’administration Obama pour la “démocratisation” une odeur huileuse et, par conséquent, nécessairement suspecte pour ceux qui ont l’odorat fin. Cette attitude va considérablement accroître le discrédit de l’administration US dans les milieux d’opposition des pays arabes en pleine agitation, si tant est qu’il y ait encore crédit. La question de l’intérêt politique US, de la “démocratisation”, est simplement ramenée à la question du pétrole, ce qui compromet tous les efforts assez erratiques des USA faits à l’intention des pays arabes non pétroliers.

• Pour autant, rien n’est tout à fait clair, et c’est bien dans la manière de BHO, qui tient malgré tout à ménager la chèvre et le chou, même si le chou est de bien peu de poids face au poids du pétrole. Le soutien aux pouvoirs des Etats pétroliers est assorti de conditions, certes assez vagues mais qui seront néanmoins répétées, affaiblissant d’autant ces pouvoirs alors qu’on entend absolument les renforcer. Ces conditions ambigües n’empêcheront évidemment pas l’action des lobbies mais aussi la manifestation des intérêts divergents des centres de pouvoir, introduisant une situation de désordre dont on a souvent l’exemple dans la politique US, surtout ces dernières années. Nous aurons donc encore plus de ces divergences habituelles, concurrences, etc., entre la Maison-Blanche, le département d’Etat, le Pentagone, les amis israéliens et tutti quanti, les uns et les autres insistant sur leurs domaines de prédilection qui sont souvent opposés, selon les circonstances.


Mis en ligne le 7 mars 2011 à 04H47